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Full text of "Œuvres complètes de Eugène Scribe"

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ŒUVI\ES COIV^PLETES 



DE 



EUGÈNE SGRJBE 



DE l'académie française 



I^BSEI^VE DE TOUS DI\OITS 

I 

- { 
En France et à l'Étranger 



œUYI^S COJV^PLETES 

Eugène' sci\ibe 



PARAIS 

E. DENTU, LIBR^AIR^E- ÉDITEUR^ 

PALAIS-BOTAL, 17-19, GALEB 



\ 




Soc. an. d'imp. P. DUPONT, D^ Paris. — (Cl.) aia.4.80. 



LA C H A XXSas 

MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 

OPERA-COMIQUE EN UN ACTE 

'j oJnptnoYuoa ,3 i^ K A I fl /. I/. 

En société avec M. H^IbsArÈèleiri ^airaziM 

MUSIQUE DE J. OF?^'NBACH. 



Th£atrb des Bouffes-Parisiens. ^ 19 Avril 1858. 



SciiBf. — Œuvres complètes. IV"»» Série. — 18»n« Vol. — 1 

r- - - - »» 



PERSONNAGES. ACTEURS. 



GUI DO, fils à'rm négociant de Trieste MM. Ta y ad. 

DIG-DIG, jongleur indien Dtsimi. 

MARIANNE, gouvernante de Guido : . . . . Mlles Maciî. 

MINETTE, chatte de Guido Taotir. 

A Biberach, en Souabe. 



LA CHATTE 

MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 



tt ehaDbn ds Gnido. — Au fond, une bIcAts, avec une peliM ccoùia «le- 



(luldtilr. An-deai 



SCENE PREMIERE. 

HAKUJOffi, Hole, «iftH iDprii d< Il lobEa et trisatiDt: ella Uent 

Notre, maître ne revienl pasl... Depuis ce matin qu'il 
court loule la ville de Biberach, il n'aura rien trouvé, c'est 
sûrl... Pauvre Guide I le *pliis beau jeune homme de loulc 
la Soaabe... (Jn jeune homme si bon, si aimable, qui avait 
tant d'amis, quand il avait de l'argent!.., ils sont tous partis; 
et de tous ceux qui dînaient à la maison, il n'est resté que 
notre chatte... cette pauvre Minette, qui dort là, sur mes 
genoux, el dont il fondra se séparer aussi I La cuisinière du 



OPERAS-COMIQUES 



gouverneur m'en a déjà offert trois florins, que j'ai refu- 
sés I... trois florins!... la fourrure seule vaut cela... sans 
compter son caractère! Est-ce pour elle?... car cependant 
je serai bien obligée d'en venir là... par intérêt... nous 
n'avons pas même de quoi la nourrir... Entends-tu, Minette, 
tu ne seras pas à plaindre... c'est moi! parce que les chattes 
c'est la passion des vieilles gouvernantes... et, depuis la mort 
démon mari, je peux dire... foi d'honnête femme, que c'est 
le seul attachement que je me sois permis. 

(Elle a été placer Minette endormie sur le lit de repos dont un des rî- 
d«aaz teulemeot est Mtr'onTert, de manière qne la chatte n'est plus 
Tne dei spectateurs.) 

COUPLETS. 
Premier couplet. 

Le ciel voulut, dans sa sagesse, 
Que notre cœur en tout temps s'attachât. 
Jeune, on est tendre, et quand vient la vieillesse. 
Afin d'aimer, on aime encor son chat ! 
Des chats pourtant le naturel est traître, 

lis trompent qui sait les chérir. 
C'est pour cela qu'on les aime peut-être : 

Des amants c'est un souvenir ! 

Deuxième couplet. 

Las! pauvres femmes que nous sommes, 
Toujours victim's de nos attachements. 
Nous écoutons les fleurettes des hommes 
Qui dans un jour font mille autres serments. 
Gomm' ces messieurs, les chats, par la fenêtre. 

Se sauv'nt pour ne plus revenir. 
C'est pour cela qu'on les aitne peut-être : 

Des amants c'est un souvenir; 
Oui, pour cela, nous les aimons peut-être : 

Des amants c'est un souvenir ! 

GUIDO, en dehors. 

Marianne! Marianne! 



'* 



LÀ GHATTIfi METAMORPHOSEE EN FEMME Ô 

MARIANNE. 

Ah! mon Dieu! c*est notre maître!... ne lui parlons pas 
de ridée de vendre Minette ; car il Taime tant qu*il se lais- 
serait plutôt mourir de faim. 

GUIDO, on dehori. 

Marianne! Marianne! 

MARIANNE ra ourrir. 

Voilà... voilà!... 

SCÈNE II. 
MARIANNE, GUIDO. 

GUIDO. 

C'est heureux!... j'ai cru que vous aussi, Marianne, vous 
alliez me laisser à la porte. 

MARIANNE. 

C'est que j'avais peur de réveiller Minette. 

GUIDO, d'an air lombro. 

Pauvre petite!... elle dort?... elle fait bien!... et moi 
aussi, je voudrais, dormir... dormir toujours!... d'abord, 
qui dort dîne... c'est une économie; et puis on a un autre 
plaisir plus vif encore s'il est possible... 

MARIANNE. 

Et lequel ? 

GUIDO. 

C'est de ne plus voir les hommes!... et dans mon état 
de misanthropie, Marianne, je ne peux plus les envisager. 

MARIANNE. 

Est-il possible ! Vous n'avez donc rien obtenu des débi- 
teurs de votre père? 

GUIDO. 

Ah! bien oui... «Si tu avais vu les mines allongées qu'ils 



6 OPÉRAS-GOMIQUEB 



TT ■- 



m'ont faites!... L'.un ne me reconnaissait pas!... L'autre 
avait fait' de mauvaises affaires!... puis ils disparaissaie'nt:.. 
impossible 4e les rejoindre... car, depuis qu'ils ont eu des , 
malheurs, tous mes débiteurs ont voiture! et moi, je suis, 
à pied! 

MARIANNE. 

Mais pourquoi avoir refusé d'écrire à votre oncle, qui 
habitait cette ville et qui était riche? 

GUIDO, virement. 

Mon oncle, Marianne... Je vous ai défendu de prononcer 
son nom devant moi!... C'est lui... c'est cet honnête négo- 
ciant qui a ruiné mon père avec ses .comptes... à parties 
doubles... D'ailleurs, il aurait eu de la peine à me répon- 
dre... puisqu'il est mort... 

MARIANNE. ' ' . ' 

Il fallait s'adresser à son intendant, monsieur Schalgg. : 

GUIDO. 

Cet astucieux personnage... qui, quand j'étais petit... s'a- 
musait toujours à mes dépens?..-. M'a-t-il attrapé des fois, 
celui-là!.,, mais il ne m'y reprendra plus. - 

MARIANNE. 

Mais au moins, votre jeune cousine, avec laquelle autre- 
fois vous avez été élevé, et qui est, dit-on, si espiègle,- si .' 
maligne, et pourtant si bonne?... elle voulait réparer les torts 
de son père... elle vous avait fait proposer sa :nia«i..'. elle 
a tout tenté pour vous voir... vous avez toujours refusé. 

GUIDO. 

• Et je refuserai toujours. . . 

MARIANNE. 

Et pourquoi, je vous le demande ? 

GUIDO. 

Pour deux raisons... la première, je te l'ai déjà dite, 
parce que je suis misanthrope; et la seconde.,. - - ' -. 



LA CHATTE MÉTAUORPBOSÉB BN FEMME 1 

f , . I - '■ 

MARIANNE. 

Ehbiea? 

auiDo. 
Je ne te la dirai pas. 

^ MARIANNE. 

Alors, c'est comme si vous n*en aviez qu'une. 

GUIDO. 

Ma seconde raison... etc*est la plus forte... c'est que j'ai 
une passion dans le cœur. 

MARIANNE. 

Kt pour qui, grand Dieu? Pour quelque jeune demoi- 
selle?... 

GUIDO, d*an air sombre. 

Non. 

MARIANNE. 

Pour quelque veuve? 

GUIDO. 

Non. 

MARIANNE. 

ciel! c'est pour quelque femme mariée?... 

GUIDO, avec effort. 

Non... mais tu ne le sauras jamais, ni toi ni personne au 
monde!... Moi qui te parle, je ne suis pas même sûr de 
le savoir. 

r MARIANNE. 

C'est donc quelque chose de bien terrible? 

.' GUIDO. 

Si terrible... que, vois-tu, Marianne, je serais amoureux 
de toi si c'était possible, je mets tout au pis, que ça ne se- 
rait rien auprès I... 

MARIANNE. 

Qu'est-ce que ça signifie? . . . . 



s HKUH OPÉRAS-COMIQUES 



. GUIDO. 

Brisons là... Marianne, de deux choses Tune : ou tu me 
comprends, et alors nous nous entendons; ou bien, tu ne 
me comprends pas, et alors nous sommes d'accord, parce 
que je ne me comprends pas moi-même. 

MARIANNE. 

Ah ! mon Dieu I mon Dieu ! Vous qui êtes un si bon jeune 
homme, faut-il vous voir perdre ainsi Tesprit ! 

GUIDO, froidemeot. 

Je n'ai rien perdu, Marianne... mais laisse-moi seul... 
l^^sg^ippi nourrir mes rêveries et ma mélancolie. 

(n s'assied è gauche.) 
MARIANNE. 

Oui, monsieur... nourrissez- vous. 

(EUe Ta prendre un panier dans le fond.) 
GUIDO. 

A propos de ça, qu'est-ce que tu as pour déjeuner? 

MARIANNE, revenant à la ganche de Goido. 

Hélas ! je n'ai rien. 

GUIDO. 

Pour nous deux? 

lli] on MARIANNE. 

obQïli, monsieur. 

GUIDO. 

Ça suffît, je n'en demande pas davantage... (Avec sentiment.) 
Tâche seulement que la meilleure part soit pour Minette. 

MARIANNE. 

XII Comment! monsieur. . 

"'^^ GUIDO. ^ 

Moi, j'ai des idées de philosophie qui me soutiennent... 
mais elle... pauvre petite!... Occupe-toi de sa pâtée... c'est 
l'essentiel. 



LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 9 

MARIANNE. 

Oui, monsieur... (a part.) Oh! je n'y tiens plus... je vais 
retrouver la cuisinière du gouverneur, et vendre cette 
pauvre chatte. 

(Elle sort par la porte à gauohe de T acteur.) 

SCÈNE m. 

GUIDO, seul. 

Elle est sortie!... elle me laisse enfin... et maintenant que 
je suis seul... dirai-je la cause de mes tourments? (s'aranfiant 

an bord da théâtre comme pour parler, et s'arrêtent.) Non... je ne la 

dirai pas, et Tobjet môme de cette passion folle, désor- 
donnée, absurde... Tignorera toujours!... (s'approchant du ut 
de repos qui est a|i fond.) Elle est là... qu'elle est gracieuse et 
gentille! Sa petite tête posée sur sa petite patte!... Pauvre 
petite Minon!... petit l'amour!... (Douloureusement.) Elle ne me 
répond pas... est-ce qu'elle est morte? Minette, oh! dieux!... 

Minette... non... non... (Passant U main sur sa tète et sur sa bon 

che.) Elle a fait comme ça... puis comme ça!... On vient. 

(Fermant les deux rideaux.) Dieux!... Si^l'on m'avaît VU... il 

n'en faudrait pas davantage pour compromettre... (Aperce- 
vant pig-Dig.) Un étranger I quelle drôle de figure, et quel 
diable de costume ! 

SCÈNE IV. 

GUIDO, DIG-DIG, en indien. 
D1G-DI6, saluant à l'orientale. 

N'est-ce point au jeune Guido que j'ai l'honneur de 
parler ? 

GUIDO. 

A lui-même!... je suis ce jeune Guido. 

1. 



1-0 OPÉRAS^GOMIQUES I 

DIG-DIG, à part. 

Il m'a • Tair aussi naïf qu'autrefois, et je crois que je 
pourrai... 

^ GUIDO. 

Mais on n'entre pas ainsi chez les g6ns, quand on ne les 
connaît pas. 

DIG'DIG, d'un ton mielleux. 

La connaissance sera bientôt faite, ô mon fils... et vous 
ne vous repentirez point de ma visite!... Mon costume vous 
indique assez que je ne suis point Européen... Je suis 
Indien... Votre père a fait autrefois des affaires avec des 
négociants de la Compagnie des Indes, mes compatriotes, 
e». • . 

GUIDO, à part. 

Je vois ce que c'est... quelques lettres de change arrié- 
rées... (Haut.) Monsieur, j*ai renoncé au commerce des 
hommes, et surtout aux hommes de commerce, et si c*est 
de l'argent à donner... 

OIG-DIG, lui présentant une bourse. 

Au contraire... c'est une centaine de florins à recevoir... 
d'un Indien comme moi... débiteur de votre père! 

GUIDO. 

Qu'est-ce que vous me faites l'honneur de me dire?... 

DIG-DIG. 

Gela vous déride, ô mon fils !... Le monde entier en est là. 

(Faisant sonner la bourse.) 

COUPLETS. 
Premier couplet» 

.Tin, tin, tin, tin. 
Joyeux tocsin! 
Que veut l'Indien, 
Ou l'Italien, 
Le Péruvien, 



LA GHATTB HÉTAMOHPUOSÛfi, EN FBMME H 



Le Parisien, 
L*épicurien, 
Le. bohémien, 
Et le chrétien 
Et le païen?... 

(Faisant sonner la boarse*) 
Tin, tin, tin, tin! 
Contre les maux de la vie, 
La fiëvre ou la calomnie, 
La bonne philosophie 
Et le meilleur médecin.,. 
C'est.. 

(Faisant sonner la bourse.) 
Tin, tin, tin, tin! 
Que ce doux tocsin 
Résonne un matin. 
Tin, tin, tin, tin, 
n chasse soudain 
Misère et chagrin! 

(Tontes les fois que Dlg-Dig fait sonner la boarse, Gnido arance la main 
pour la prendre. Dig-Dig la retire aussitôt, ce jea continue pendant le 
second couplet.) 

Deuxième couplet. 

Tin, tin, tin, tin. 

Joyeux tocsin ! 

Jeune tendron 

A l'œil fripon 

Vous fait faux bond 

Pour uù doublon ! 

Au sol fécond 

De l'Orégon 

Que cherchait donc 

Christoph* Colomb? 
(Faisant sonner la bourse.) 

Tin, tin, tin, tin! 
Au diable la gloriole, 
L'amour et la faribole! 
La véritable boussole 



12 OPBRÂS-GOHIQUES 



Qui gouverne le destin, 
C'est... 

(Faisant sonner la bourse.) 
Tin, tin, tin, tin! 
Que ce doux tocsin . 
Résonne un matin, 
Tin, tin, tin, tin, 
Il chasse soudain 
Misère et chagrin! 

(il loi donne la bourse.) 



Voilà. 



GUIDO. 

Ma foi, c*est bien de l'argent qui m'arrive de Tautre 
monde... Mettons cela dans ma caisse, (ii met la bourse que 

loi a donnée Dig-Dig dans le coffre qui est sur la table.) Ce n'eSt pas 

la place qui manque!... Ah! monsieur est Indien! .. Et 
comment vous trouvez-vous en Allemagne?... enSouabe?... 

DIG-DIG. 

Mon fils, l'homme est un voyageur... Tel que vous me 
voyez, je suis né dans le royaume de Cachemire... Mon père, 
qui était un bonze de troisième classe, m'avait placé dans 
le temple de Kandahar auprès du grand Gouron de Ca- 
chemire. 

GUIDO, nyeo respect. 

Auprès du grand Gouron!... Il a vu le Gouron... Vous 
avez vu le Gouron... 

(il baise la manche de Dig-Dig.) 
DIG-DIG. 

t 

Très-souvent; mais l'amour des voyages m'a pris... J'ai 
vu la France... J'ai vu Paris. 

■m 

GUIDO. 

Beau pays! pour un savant tel que vous!... 

DIG-DlG. 

Pays superbe! où je serais mort de faim, si je ne m'étais 



LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 13 

/ 

rappelé les tours d'adresse que l'on possède dans notre 
patrie... et sous le nom de Dig-Dig, jongleur indien... car 
dans ce pays tous les jongleurs réussissent... j'ai eu l'hon- 
neur de faire courir tout Paris... Enfin, je suis venu me 
fixer dans cette ville, où je jouis d'une certaine considéra- 
lion... J'y enseigne la danse, l'astronomie et l'escamotage... 
ce qui ne m'empêche pas de me livrer à mon étude favo- 
rite, le grand œuvre de Brahma... la transmutation des 
âmes. 

6UID0, TiYement. 

La transmutation des âmes ! 

DIG-DIG. 

C'est un des dogmes de notre croyance; car vous savez 
sans doute ce que c'est que la métempsycose? 

GUIDO. 

Parbleu!... si je le sais. 

DIG-DIG, 

Quand notre existence finit... selon nos bonnes ou mau- 
vaises actions... nous devenons ours, moutons, bécasses, 
et cceterUf et cœtera!... Système consolant, culte admi- 
rable... qui nous fait, dans chaque animal, aimer notre 
semblable ! Je vous parle ainsi, parce que je pense bien 
qu'un garçon d'esprit tel que vous doit croire à la métemp- 
sycose. 

GUIDO. 

Si j'y crois!... certainement!... D'abord, comme dit le 
docteur Faust, que je citerai toujours, si ça n'est qu'im- 
possible, ça se peut. 

DIG-DIG. 

Comment! si ça se peut?... Moi qui vous parle, je me 
rappelle parfaitement avoir été girafe. 

GUIDO. 

Vous avez été girafe ? 



14 OPÉRAS-COHiQUES 

DI6-DI6. 

Pendant vingt ans, en Egypte !... puis, chameau... 

GUIDO. 

Vraiment ! Eh bien ! il vous en reste encore quelque 
chose. 

DIG-DIG. 

Je ne dis pas I... Mais vous, rien qu'en vous voyant, je 
pourrais vous dire... Vous avez dû être mouton. ' 

GUIDO, froidemeot. 

C'est possible !... 

DIG-DIG. 

. Un beau mouton ! 

GUIDO. 

Je le croirais assez... D'abord je l'aime beaucoup... ce 
qui est peut-être un reste d'égoïsme !... Ensuite, la facilité 
que j'ai toujours eue à me laisser manger la laine sur le... 
Ah I mon Dieu ! quand j'y pense... puisque vous êtes si 
savant, j'ai une demande à vous faire... une demande d'où 
dépend le bonheur de ma vie. 

DIG-DIG. 

Parlez, mon fils. 

GUIDO. 

Vous saurez que j'ai ici une chatte charmante... un an- 
gora magnifique ! . . . 

DIG-DIG. 

Je la connais. 

GUIDO, aT«c une nnonce de jalousie* 

Comment ? vous la connaissez 1 

DIG-DIG. 

Je l'ai souvent admirée, quand Marianne , votre vieille 
gouvernante, la portait sur son bras. J'ai même fait causer 
cette brave femme plusieurs fois, et j'en sais sur vous plus 
que vous ne croyez. 



LÀ CHATTE MÉTAMORPHOÔÉE EN FEUMB 15 



GUIOO. 

Eh bien ! dites-moi, qu'est-ce que vous pensez de Mi- 
nette? qu'est-ce que ça doit être î 

DIG-DI6. 

C'est bien' aisé à voir! à l'esprit qui brille dans ses 
yeux... à la grâce qui anime tous ses mouvements, je vous 
dirai, mon cher, que cette enveloppe cache la jeune fille 
la plus jolie et la plus malicieuse. 

GUIDO, arec transport» 

Dieu ! que me dites-vous là?... tout s'explique mainte- 
nant... et l'instinct de l'amour n'est point une chimère 1 
Apprenez que mon cœur avait deviné sa métamorphose, et 
que cette jeune fille si aimable... si gracieuse... je l'aime... 
je l'adore... 

DIG-DIG. 

b serait possible ! 

GUIQO. 

Et c'en est fait du jeune Guido, si vous ne m'enseignez 
pas quelque moyen, quelque secret... il doit y en avoir... 
ô vénérable Indien ! 

DIG-DIG, avec mystère. 

Chut! je ne dis pas non... Vous sentez bien qu'on n'a pas 
été, pendant dix ans, près du Gouron sans avoir escamoté 
quelques-uns de ses secrets... et j'ai là une amulette dont 
la vertu est infaillible pour opérer la traosmigration des 
âmes à volonté. 

(il montre, ane bagm.) 
GUIDO. 

En vérité ! ^ 

DIG-DIG. 

Il suffit de* la frotter en prononçant trois fois le nom de 
Brahfloa, 



16 OPéRAS-COmQUBS 

GVIDO. 

Âh I mon ami ! mon cher ami l si vous vouliez i;Qe la 
céder... tout ce que j'ai... mon sang, ma vie... 

DIG-DIG. 

Je ne vous cache pas que c'est fort cher... ce sont des 
articles qui manquent dans le commerce... et à moins de 
deux cents florins... 

GUIDO, allant au coffre. 

Tenez, tenez, en voilà déjà cent... ils ne seront pas res- 
tés longtemps en caisse... et pour le reste, je vous ferai 
mon billet. 

DIG~DIG. 

Dieu I quelle tète ! et quelle imagination !... si c'est ainsi 
que vous faites toutes vos affaires, ô mon fils !... Tenez... 
prenez... 

GUIDO, prenant la ba^e. 

Elle est à moi î... quel bonheur! 

(n court au lit où repose Minette.) 
DIG-DIG, r arrêtant. 

Prenez garde, prenez garde ! vous ne savez pas ce que 
vous désirez, et avant la fin du jour, vous vous repentirez 
peut-être d'avoir fait usage de ce talisman ! songez-y bien, 
ô jeune imprudent ! 

Avant que ta voix anime 

Cet être qui te charma, 

Rappelle-toi la maxime 

Que nous prescrivit Brahml. 

Cette maxime profonde. 

Livre trois, premier verset : 

<t Ne dérangez pas le monde, 

« Laissez chacun comme il est. » {Bis.) 

(oig.Dig salue graTement et sort en disant :} 

Ne vous dérangez donc pas, je vous en prie. 



LA CUATTB MÉTAMORPHOSÉB EN VEHHB 11 



SCENE V. 

GUIDO, seul, et repëtanU 

No dérangez pas le monde... 
Mais au contraire on le remet 
Gomme il était ! 

(Tenant l'amalette et faisant nn pas ters la lit*) 
Minette! chère Minette! 
Moment d'espoir et de bonhear ! 

(s* arrêtant ayec troable.) 
Eh! mais une crainte secrète... 
On dirait que j'ai peur ! 
(S'excitant*) 
Non! non! 

INVOCATION. 

Dieu puissant du Gange ! 
Toi par qui tout se change, 
Gelle que j'aime est là, 
A mes yeux, montre-la, * 

Brahma ! Brahma ! Brahma ! 
(En prononçant ces mots, il frotte la bagne, et tout à coup les rideaux du 
lit s'oarrant snr un roalement de timbales.) 

SCÈNE VI. 

GUIDO, MINETTE) en jeune fille yêtne de blanc, coachée sur le lit 

et endormie. 

GUIDO, très ému, parlant. 

Une femme ! ô prodige ! 

(Elle s*é?eille, se regarde avec étonnement et descend du lit.) 

DUO. 

GUIDO, n'osant s'approcher. 
la plus charmante des chattes!... 
Elle est bien mieux comme cela. 



18 OPÉRAS-COMIQUES 

MINETTE, faisant quelques pas areo crainte. 

Hier, je marchais à quatre pattes, 
Et sur mes deux pieds me voilà ! 

6UID0. 
Je n*ose lui parler. 

MINETTE) étendant ses bras dont elle senJ>le ehereker la fourrure. 

Plus rien ! 

(Les regardant.) 

Et cependant... c'est mieux! c'est bien! 

GUIDO. 
Pst, pst!... Minette! 

MINETTE, se retournant. 

Qui m'appelle? 
C'est mon maître ! Guido !... 

GUIDO y enchanté. . 

Mon nom... 
Elle se le rappelle ! 
* (Minette lui tend la main.) 

Ah ! que c'est doux ! ah ! que c'est bon ! 

MINETTE. 

Di'eux ! quelle existence nouvelle ! 

(Touchant sa tête.) 
Mille sentiments nouveaux! là!... 

(Touchant son cœur.) 

' Puis là... Qui donc m'expliquera 

Ce miracle qui mè confond ? 
Oh ! comme il bat !... Guido ! qui suis-je donc?... 

GUIDO. 

Ce que le ciel a formé de plus beau !... 
Un diamant, une perle, un joyau, 

Une fleur qui charme notre âme! 

Une femme enfin !... une femme!... 

MINETTE. 

Une femme, moi ! quel bonheur !.. 



LA CHATTE MÉTAtfORPKOSéE EK FEIfIfE t9 



GUIDO. 

Oui, je lis dans ton cœur, 

Allons-nous être heureux!... 
Vivre ensemble! toujours... tous deux! 

Tout ce que tu voudras, 
Tu l'obtiendras! 
Demande ce qui peut te plaire. 
Que veux-tu d'abord ? 

MINETTE. 

Un miroir !... 

GUIDO. 

Un miroir ! 

(Sonriant.) 
C'est une femme, la chose est claire. 

MINETTE. 

Je veux me voir. 

GUIDO. 

Dans un instant. 
(a lai-mème.) 
Serrons bien mon cher talisman. 
Il met TamuleUe dans le coffre et ta prendre un petit miroir do toilette.) 

MINETTE. 

Eh ! bien donc ? 

GUIDO. 

Le voilà. 

MINETTE. 

Ah! 

GUIDO. 

Ah! 

Ensemble. 

(Pendant cet ensemble. Minette regarde devant et derrière le miroir en 

jonant comme les chats.) 
MINETTE. 
Est-ce bien moi 



i 



^0 0PÉRAB*G0MIQUE8 

Qae j'aperçoi ? 
Ce n'est pas moi ; 
Si fait, c'est moi! 
Oui, je le voi, 
Oh! c'est bien moi, 
Œil caressant, 
Teint rose et blanc, 
Lèvre en corail 
Et dent d'émail. 
Oh ! c'est bien moi 
Que j'aperçoi, 
Jamais 
Je n'avais 
Vu mes traits, 
Et pourtant je les reconnais. 

GUIDO. 

Est-ce bien toi 
Que j'aperçoi ? 
Redis-le-moi, 
Oh ! c'est bien toi! 
Regarde- moi ; 
Oui, c'est bien toi : 
Œil caressant, 
Teint rose et blanc. 
Lèvre en corail 
Et dent d'émail. 
Oh ! c'est bien toi 
Que j'aperçoi. 
Jamais 
Je n'avais 
Vu ses traits, 
Et pourtant je les reconnais ! 
(Sairont tous ses mouvements.) 
femmes ! la coquetterie 
Chez vous commence avec la vie ! 

MINETTE) jonant arec le miroir. 
Oh ! que c'est gentil, un miroir, 
Et qu'on est heureux de se voir 1 



{ i j 



LK CHATTE MÉTAUÛRPHOSéB EN FEMME SI 

GUIDO, lui reprenant le miroir. 

C'est assez Voccuper de toi, 
Allons, allons, regarde-moi. 

MINETTE. ^ 

Toi?... 

GUIDO. 

Moi! 
MINETTE. 

Oui... non! 

6UID0| tendrement. 
Regarde-moi. 

MINETTE, reprenant le miroir et se regardant. 

Non, non. 

Ensemble, 

MINETTE, même jeu. 
Est-ce bien moi, etc. 

GUIDO. 

Est-ce bien toi, etc. 
MINETTE, se tournant yers lui. 

Je suis jolie, n'est-ce -pas? 

GUIDO, se croisant les bras. 

Elle me demande cela, à moi!... charmante! 

MINETTE. 

C'est ce qui me semblait I mais au premier coup d'œil on 
craint de se tromper. 

GUIDO, la regardant. 

II faut convenir que j'ai joliment réussi... Tous ces char- 
mes-là, c'est mon ouvrage. 

MINETTE, posant le miroir sur la table. 

Ah! tant mieux! je tien remercie... Mais je vous deman- 
derai, monsieur, pourquoi vous ne m'avez pas faite plus 
grande? 



'< X 



ââ OPÉRàS-COMIQOBS ..... 

GUIDO. 

Là ! ce que c'est que Tambition ! tout à Theure elle n'était 

pas plus haute que ça. (Mettant la main contre terre.) Déjà deS 

idées de grandeur! ^ 

MINETTE. 
Non... seulement comme cela. (Se levant sur la pointe dos 

pieds.) Rien qu'un peu, je l'en prie ! Qu'est-ce que cela te 
coûte? 

GUIDO. 

Je ne peux plus; ce ne sont pas de ces ouvrages qu'on 
retouche à volonté ! 

MINETTE. 

Ah bien!... tu n'es pas complaisant. 

GUIDO. 

Et toi... si tu n'es pas contente, tu es bien difficile! 

MINETTE, loi tendant la main en Mariant. 

Ah ! oui, pardon, je suis une ingrate ! 

Gurao. 

D'ailleurs, de quoi te plains-tu? N*es-tn pas ce que la 
étais autrefois? 

MINETTE. 

Non, jamais je n'ai été femme... c'est la première fois! 

GUIDO. 

Bah! 

MINETTE. 

Mais, en revanche, j'ai été bien d'autres choses ! (caîdo fait 
un mouvement.) Oui, monsieur. Est-cc que vous ne vous sou- 
venez pas de ce que vous avez été, vous? 

GUIDO. 

Mais dame!... je croyais avoir toujours été ce que je suis: 
un jeune homme aimable. 

MINETTE. 

Oh! moi, je ne dirais pas au juste... mais je me, rappelle 



LA GHATTK MÉTAMORPHOSÉE SN FEMME ^ 

— ■* - - - - — - - - — - 

confusément... il y a bien longtemps, bienl(»igtemps... oui, 
j*ai été d'abord une petite fleur des champs... une petite 
marguerite. 

GUIDO. 

Tiens! une petite Marguerite... c'était gentil, ça! 

MINETTE. 

Pas trop : toujours exposée au soleil... le moyen de 
rester fraîche et jolie ! Aussi, chaque jour, j'adressais ma 
prière à Brahma. 

AIR. 

Brahma, Brahma, Brahma, 
Change-moi, Brahma ! 

Mon bon Brahma ^ 

Par toi j'espère 

Ce bonheur-là, 
Puisque ta voix, déjà, déjà, 

 ma prière 

Me transforma. 

Sois satisfaite ! 

Répond Brahma. 

Et, crac ! voilà 

Qu'en alouette 

Il me changea. 
Soudain, quittant le sol, 
Dans Tair je prends mon vol, 
Imitant les bémols 

Des rossignols* 
Mais un jour, au miroir, 
Le désir de me voir 
Me fit prendre aux filets ; 

Et je disais : 
Ah ! change-moi, Brahma, 

Mon bon Brahma ! 
Oui, je réclame ce bonheur-là. 

Soudain, voilà 

Qu'en jeune chatte 

Il me changea. . , 



24 0PKRAS-C0HIQUB8 .r/ ', 

De moi l'on raffolait, 
Chacun me cajolait, 
Toujours du pain mollet 

Et du bon lait ! 
Mais les chjats, ont, dit-on. 
Le naturel félon. 
Pour eux j'en rougissais, 
Et je disais : 
Change-moi, Brahma, 
Mon bon Brahma ! 
, Par toi, j'espère 

Ce bonheur-là, . 
Puisque ta voix, déjà,*déjà, 
A ma prière 
Me transforma. 
Soudain, voilà. 
Qu'en une femme il me changea ! 
Mais cette fois, restons-en là. 

Brahma, Brahma, 
Ne changeons plus, restons-en là! 

GUIDO. 

On vient... c'est sans doute ma vieille gouvernante... 
qu'elle ne puisse pas soupçonner ton ancienne condition) 

MINETTE. 

Sois tranquille ; je suis discrète. 

GUIDO. 

Et elle est discrète encore ! Quand je me la serais faite 
moi-môme... Chut! la voici I 

■ 

SCÈNE VII. 

Les mêmes ; MARIANNE, portant un panier. 
MARIANNE, à part. 

C'est fini; le marché est conclu : je l'ai vendue pour trois 
florins; mais je n'aurai jamais le courage de... (iiaut.) Que 
vois-je... une femme en ces lieux! 



LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 25 

(a l'entrée de Marianne, Minette se place à la droite de Goido, et eher- 
ohe à se cacher aux yeux de la goayemante.) 

GUIDO. 

Te voilà bien étonnée, ma pauvre Marianne! C'est... 
c'est... la fille d'un ancien ami de mon père... qui arrive 
à l'instant même... d'Angleterre. 

(Pendant ce temps, Marianne a déposé snr la table ce qu'elle portait.) 

MARIANNE, regardant Guido. 

D'Angleterre? 

GUIDO. 

Oui> une jeune ladyl... comme elle était sans asile, je lui 
en ai offert un... ellç logera avec nous. 

MARIANNE. 

Avec nous! (posant son panier.) Ah bien! par exemple, voici 
du nouveau! 

MINETTE, è part. 

C'est le déjeuner qu'elle rapporte... c'est de la crème : 
ah! tant mieux! 

(ei1« passe sa langue snr ses lèrres.) 
MARIANNE. 

Comment! not' maître... vous qui aviez renoncé aux 
femmes ! 

GUIDO. 

Ah! celle-ci! quelle différence!... c'est d'une toute autre 
espèce... C'est la candeur! l'innocence même! 

MARIANNE, avec ironie. 
Et elle arrive d'Angleterre ! (Elle porte le coffre dans la cham- 
bre à droite, et commence à mettre sur la table tout ce qu'il faut pour 

déjeuner.) Je vois ce que c'est... Monsieur est las de mes 
services... C'est une jeune gouvernante qu'il lui faut... Mais 
en là voyant de cet âge-là, Dieu sait ce qu'on en dira... 
On ne vous épargnera pas les propos, ni les coups de patte. 

IV. — xviii. â 






26. OpéRAS-COMIQUBS 



GUIDO, regardant Minette. 

Pour ce qui est de ça, nous ne les craignons pas... et 
nous sommes là pour y répondre, (a Minette.) N'est-ce pas, 
chère amie? 

MARIANNE, allant à lui. 

Chère amie! qu'est-ce que j'entends là? serait-ce par ha- 
sard... la passion... que vous ne vouliez pas m'avouer ce 
matin? 

GUIDO. 

Juste, c'est elle! (a part.) Elle ne croit pas si bien devi- 
ner. (Haut.) Oui, ma chère Marianne, c'est là cette femme 
charmante, dont le bon ton, la grâce et les manières distin- 
guées... Ah!... qu'est-ce qu'elle fait donc là! 

(il se retourne et aperçoit Minette, qui Vest approchée tout doucement 
de la table, trempant ses doigts dans la crème, et les portant à sa 
bonche comme les chats.) 

MINETTE, à part. 

. Dieux ! que c'est bon, de la crème ! 

MARIANNE, la voyant et se récriant* 

Oh! voyez donc, monsieur! 

GUIDO, bas à Minette. 

. Quelle distraction ! Minette ! . 

MARIANNE, arec ironie. 

C'est probablement un usage d'Angleterre. 

GUIDO, avec hnmeur. 

Oui, oui... dans ce pays-là... on ne mange pas comme... 

(voulant détourner la conversation et regardant la table.) MaiS quel 

déjeuner, Marianne! toi qui n'avais pas d'argent... comment 
às-tu fait ? 

MARIANNE, avec humeur. 

Comment j'ai fait?... Il l'a bien fallu... j'ai vendu notre 
chatte pour trois florins. 



LÀ CHATTE MKTAMORPHOSÉE EN FEMME 27 



GUIDO. : 

Par exemple! sans me consulter! 

MARIANNE. 

Ah! bien oui. (Regardant Minette.) Yous avez maintenant 
bien d'autres choses à penser !... Je l'ai vendue à la femme 
du gouviprneur... une femme très-sensible... qui aime beau- 
coup les chats. 

MINETTE, à part. 

Me vendre ! c'est drôle ! 

MARIANNE. 

C'est pour amuser son fils... un jeune homme de dix-huit 
ans, de la plus belle espérance. 

' MINETTE, à part. 

Et à un jeune homme encore ! 

GUIDO, avec colère d'abord. 

Comment!... (se calmant.) Eh bien ! à la bonne heure, puis- 
que le fils du gouverneur l'a achetée... qu'il vienne la pren- 
dre, (a part.) s'il peut la reconnaître ! 

MARUNNE, A elle-même. 

Moi qui croyais que ça allait le désoler... quelle insensi- 
bilité! 

GUIDO, à Minette. 

Allons, chère amie, déjeunons. 

(il lui fait signe de s'asseoir vis-à-vis de lui. il loi verse de la crème, et 
lui montre comment il faut tremper son pain, ce que Minette imite gau- 
chement et maladroitement.) 

TKIO. 

Ensemble. 
GUIDO et MINETTE. 

Repas charmant, plaisir extrême! 
Se trouver là. tous deux! tous deux! 
Pouvoir se dire ici : je t'aime I 
Avec les yeux! 



S8 OPÉRAB-GOMIQUES 



MARIANNE, les regardant et mangeant ion moreean de pain. 
Pauvre Minette I à peine extrême! 
Il faut nous séparer tous deux, 
Et pour toi l'ingrat n'a pas même 
y De larme aux yeux! 

MINETTE, qui a Terté son lait dans son assiette et le barant. 
C'est bon ! merci. 

MARIANNE. 

Dans son assiette!... 
Quoi, milady! 
GUIDO, bas, lui faisant signe. 
Vh. mais... Minette, 
Non! pas ainsi. 



MINETTE, l'imitant. 
C'est bien... merci. 



(U lui montre.) 



MARIANNE, se moqnant. 
C'est fort joli! 
Quelles manières 
Singulières ! 

GUIDO, è part. 

Quel embarras! 

MINETTE, faisant la moue de loin à Marianne. 
Hum! vieille prude! 

GdIDO, à part. 

Elle n'a pas 
Encore l'babitude 
De diner à table. 

(Bas è Marianne*) 
Attends donc! 

(Haut.) 

Point de bon repas sans cbanson. 

(a Minette.) 
Sauriez-yous quelque polonaise ? 

MINETTE. 

Non! 



LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 29 

GUIDO. 

Une gigue anglaise ? 

MINETTE. 

Mon Dieu, non ! 

(cherchant.) 
Je me souvien 
D'un petit air indien. 

GUIDO, Tivement. 
Nous l'écoutons... très-bien ! 

CHANSON, 
MINETTE. 
Premier couplet. 

Dans une pagode indienne, 
Bayadére aux longs cheveux, 
Aux cils noirs comme l'ébône, 
A Tœii tendre et langoureux. 
Doucement chantait ainsi : 

« bel ami ! 

« mon chéri ! 
« Quand la nuit couvre nos bois, 

a Viens à ma voix 

« Comme autrefois: 

« Miaou I miaou 1 
« N*entends-tu pas ce chant hindou ? 

« Miaou! miaou! 
« Reviens k moi, bel Acajou ! » 

Ensemble. 
MARIANNE. 

Miaou ! miaou ! 
Quel est donc ce chant hindou ? 

GUIDO. 

Miaou ! miaou ! 
Cest la langue do Vichnou ! 
(Aox mots de miaou, Marianne regarde de tons côtés, comme si elle entendait 
un chat et parait fort étonnée ; Guido fait dea aigaes désespérés à Mi- 

2. 



30 OPIÊRÀS-GOliriQUKS 



n«Ue, puis se remet è^toorire è Marianne, comme pour lui donner le 
cliange.) 

MINETTE, continuant. 

Deuxième couplet, 

« Je le vois, ton âme oublie 
M Tes serments et mon bonheur, 
« Les accents de ton amie 
« N'arrivent plus à ton cœur ! 
u Une autre te plaît donc mieux ? 

« Soyez heureux 

« Loin de mes yeux! 
« Mais si tu le repentais, 

« Je te plaindrais 

(( El te dirais : 

« Miaou ! miaou ! 
a r^'cntends-tu pas ce chant hindou ? 

a Miaou I miaou ! 
« Reviens à moi, bel Acajou! » 

GUIDO, applaudissant et regardant Marianne. 
Elle chante tr6s gentiment ! 

MARIANNE, ironiquement. 
Oui. 

GUIDO, à Minette. 

C'est charmant ! 

MARIANNE, à Minette. 
Oh!... oui... charmant. 

GUIDO, voyant Minette lécher son assiutte. 
Que fait-elle? oh! là là! 

MARIANNE, la montrant à Guido. 
Mais voyez donc ! 

GUibo, désolé. 
Nous y voilà! 

MARIANNE. 

Encore ! 



LA CHATTE IféTAMORPHOSÉE' EN FËHME 31^ 



MINETTE, aT«c impatience. 
Ah! 

GUIDO, avec colèro. 
Ah! 

TOUS TROIS. 
Ah! 

EHsemble, 
MARIANNE. 

C'est épouvantable) 
C'est abominable! 
Ça me fait souffrir 
Comme un vrai martyr. 
Une jeune fille, 
Qui toujours sautille, 

Frétille, 

Sautille, 
• Frétille, 

Sautille, 
Je n'y puis tenir. 
J'aime mieux partir! 

MINETTE. 

C'est insupportable, 
C'est abominable ! ' 

Oui, c'est trop souffrir 
Comme, un vrai martyr. 
Une vieille fille, 
Qui toujours babille, 

Babille, 

Babille, 

Babille, 

Babille, 
Je n'y puis tenir, 
Vous pouvez sortir! 

GUIDO. 

C'est insupportable, 
Je me donne au diable! 
Ah ! c'est trop souffrir 



32 OPéRAS-GOMIQtlBS 

Gomme un vrai martyr. 
Chacune babille, 
Tout mon sang pétille, 

Pétille, 

Pétille, 

Pétille, 

Pétille, 
Je n'y puis tenir, 
C'est pour en mourir! 

MARIANNE, arec colère et irooie. 

Oui... je craindrais d'être indiscrète. 
Je sors... 

(cherchant des yeax.) 
Hais où donc est Minette ? 

MINETTE, se levant étoardiment. 
Me voici! 

MARIANNE, te retournant.. 

Hein? 



Chut! 



GUIDO, bas et retenant Minette. 
MARIANNE. 

Plait-il? 

GUIDO, lui montrant le fond. 

Je dis que je la vois d'ici. 

MARIANNE. 

Où donc? dans mon panier? 
(Elle prend son panier à ourrage qui renferme des pelotes de laine et de 

coton.) 

GUIDO, à part. 
Oui, cherche!... à moins d'être sorcier! 
(Une pelote de laine s'est ôchapp<^e du panier, Minette se 1ère, court après, 
et joue arec toutes les autres en los déridant comme les chats.) 

MARIANNE, criant et la poursuivant. 

Eh bien ! eh bi^ ! mademoiselle ! 



LÀ CHATTE UéTAMORPHOSSB BN FEMME S3 



MINETTE, se léchant. 

Laissez- moi!... 

GUIDO, è Minette. 
Finis donc! 

MARIANNE. 

Quelle horreur! 

6UID0, à Marianne. 

Finis donc! 

MINETTE, frappant da pied. 

On ne peut pas s'amuser avec elle ! 

MARIANNE, ramasiant ses pelotons. 
Mes laines ! mon coton ! 
(Minette s'approche de la cage et reut jouer arec les oiseaux.} 

MINETTE, secouant la cage* 
Oh ! ces petits I 
Qu'ils sont gentils ! 

(Elle ranrerse la cage, qui tombe à terre. ^ 

MARIANNE, / courant. 

Miséricorde!... et mon serin! 

6urD0« 
Autre querelle^... 

MINETTE, frappant du pied. 

On ne peut pas s*amuser avec elle! 

MARIANNE, la menaçant. 
Maudit lutin ! 

* MINETTE, de même. 
Esprit taquin! 

GUIDO, furieux. 

Ah ! j'en perds la tête, à la fin ! 

Ensemble, 
MARIANNE. 

C'est épouvantable, etc. 



34 ' OPÉRAS-C0MIQUÉ8 ' ' • 

MINETTE. ' 

f 

C'est insupportable, etc. 

GUIDO. 

C'est insupportable! etc. 
(Marianne sort en colère et entre dans sa chambre, à droite.) 

SCÈNE VIII. 
GUIDO, MINETTE. 

GUIDO, â part. 

■ , . - 

Allons ! nous voilà déjà en révolution ! Joli début ! 

(il s'assied à droite du public.) 
MtNETTE, d'un air de triomphe. 

Elle s'éloigne; tant mieux!... jusqu'à son retour nous se- 
rons tranquilles, au moins! (a Ouido.) Eh bien ! tu parais 
fâché. 

GUIDO. 

Venez ici, Minette, venez ici, mam'zeîle] (Minette s'appro- 
che.) Qu'est-ce que vous avez fait là? Pourquoi avez-vous 
touché à ses serins de Canârie? Elle aime ses serins, cette 
femme. 

MINETTE. 

Aussi, elle est trop difficile à vivre, (o'un ton caressant.) Et 
je suis bien sûre que vous ne voudrez pas me refuser la 
première grâce que je vous demande ? ^ 

(Elle lui prend la main et la caresse.) 
GUIDO, à part. 

C'est ça... patte c(e velours! 

MINETTE. 

Guido, mon ami, mon bon ami, dites-lui de s'en aller! 

GUIDO. 

S'en aller!... cette bonne Marianne, qui vous a élevée! 



LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 35 



MINETTE. 

Je l'aimerai toujours... mais loin d'ici. 

(Elle pAsse plusieurs fois la main par-dessus son oreille.) 

GUIDO, A part. 

» 

Allons!... nous allons avoir de l'orage ! (D'un air piqué.) Mi- 
neUe, vous n'avez pas réfléchi à ce que vous demandez! 

MINETTE, le câlinant avec sa main. 

Mon ami! 

GUIDO, avec dignité. 

Minette, vous me faites de la peine ! 

MINETTE. 

Vous me refusez... allez, je ne vous aime plus! 

(Elle lui donne un eoap de griffe sur la main.) 
GUIDO. 

Dieu! que c'est traître! (a part.) Ah çà! elle a conservé de 
singulières manières ! Il faudra là-dessus que je lui fasse 
la morale... ou du moins que je lui fasse les ongles. (Haut.) 
Ma chère, vous. m'avez fait du mal. 

MINETTE, s'éloîgnant. 

Laissez-moi, monsieur, ne me parlez plus, puisque vous 
reconnaissez si mal la tendresse que Ton a pour vous. 

GUIDO, secouant la tête. 

. Ah!... votre tendresse!... 

MINETTE. 

Comment ! monsieur, vous en doutez ? C'est affreux ! Cap 
enfin, lorsque je pense aux caresses que je vous prodiguais 
autrefois, j'en rougis. C'était d'instinct ; mais cet instinct, je 
le sens bien, a aussi subi sa métamorphose... et maintenant 
c'est de l'amour. 

GUIDO, i part. 

Dieu! si je me croyais... après un pareil aveu... (Se repre- 
nant froidement.) Permettez, Minette, je veux croire que vous 
m'aimez, j'ai besoin de le croire! Mais ce n'est pas tout : 



36 OPBRAS-GOMIQUBS 

je pouvais passer à ma chatte bien des choses que je ne 
passerai pas à ma femme, et, si, avec cette figure char- 
mante, vous aviez conservé les goûts et les penchants de 
votre ancien état... j*ai déjà remarqué tout àTheure un cer- 
tain décousu* dans vos manières... 

MINETTE, plearant. 

Il n'est pas encore content!... Eh bien ! je te promets de 
veiller sur moi... de vaincre le naturel qui te déplaît. 

GUIDO, à ses genoax. 

Et moi... je te promets, en revanche, de n'aimer que toi, 
de n'avoir désormais d'autre volonté que la tienne... et... 

MINETTE, roreille au gaet. 

Chut! 

GUIDO. 

Hein? 

MINETTE. 

N'entends-tu pas du bruit? 

GUIDO, continaant. 

Qu'est-ce que ça fait? Songe donc, quel bonheur d'être 
sans cesse occupés l'un de l'autre!... 

MINETTE, écoutant. 

C'en est une!... 

GUIDO, de même. 

Et, quand je te peindrai mon amour, mon émotion, quel 
plaisir de t^entendre me dire... 

MINETTE, s'avançant doucement. 

Tais-toi!... tais-toi... 

GUIDO. 

Eh bien ! où vas-tu donc? 

MINETTE. 

Bien sûr, c'en est une ! Entends-tu ? 

GUIDO. 
Gomment! c'en est une? (Minette s'ayance à pas eomptiSa vers 



LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉB EN FEMME 37 

rarmoira A gattofae, pois s'élance toat & coap comme un chat.) Qu*est*- 

ce que c'est?... Minette, voulez-vous bien finir? 

MINBTTE. 

Là, c'est toi qui lui as fait peur!... elle s'enfuit... C'est 
insupportable!... c'est si gentil! 

GUIDO, à part. 

Il n'y a pas moyen, avec elle, d'être en tête-à-tête... On 
se croit seuls, et il y a là... du monde dans les armoires. 
(Haut.) Minette ! Minette ! ici tout de suite ! 

MINETTE, se réToUant et se saorant de côté. 

Je ne veux pas I 

GUIDO. 

Qu'entends-je?... Je ne veux pas! Hier, Minette... vous 
étiez soumise, obéissante... vous n'aviez pas de volonté... 

MINETTE. 

Om... mais aujourd'hui je suis femme! 

GUIDO. 

Etï bien! c'est là que je vous prends... si vous êtes femme, 
raison de plus pour ne plus avoir de pareilles distractions!.,. 
On ne court pas ainsi après... les gens I... ça n'est pas con- 
venable!... Avec des manières comme celles-là. Minette, je 
ne pourrai jamais vous présenter dans la société... et quand 
je sortirai, je serai obligé de vous laisser ici en pénitence. 

MINETTE. 

Eh bien 1 par exemple ! le beau plaisir d'être femme, pour 
être en esclavage!... J'aurais donc perdu au change! car 
autrefois j'étais libre, j'étais ma maîtresse... je pouvais sor- 
tir et rentrer sans permission, et j'entends bien qu'il en soit 
toujours ainsi. 

GCIDO. 

Et que deviendra ma dignité de maître? 

MINETTE, 

Elle deviendra ce qu'elle pourra... je défendrai mes droits, 
Sgribi. ^ Œuvres complètes, IV»* Série. — IS»* Vol. ^ 3 



S8 OPÉRAS-COMIQUES 



et, pour commencer, je vous déclare, monsieur, que je veux 
sortir à l'instant même. 

GUIDO, Tirement. 

Et moi, je ne veux pas!... Qu'est-ce que c'est donc que ces 

idées de rébellion! 

» 

(n la fait passer à droite.) 
DUETTO. 

IfINBTTE. 

Je sortirai! 

GUIDO. 

Non, non, non^ non, 
Vous resterez. 

MINETTE. 

Non, non, non, non! 

GUIDO. 
Je tiendrai bon. 

MINETTE. 

Non, non. non, non! 

GUIDO. 

C'est moi qui suis le maître. 

(U ya fermer la porte.) 
La porte est close. 

MINETTE. 

Boni 
Nous avons la fenêtre 
Et j'y suis d'un seul bond. 

(Elle s'élance da lit à la fenêtre.) 

GUIDO,. effrayé et Toalant la suirre. 
O ciel ! perdez- vous la raison ? 

MINETTE. 

Je m'en vas; • 

Si tu fais lîn seul pas, 
Je sortirai... 



LA CHATTE mAtAMORPHOSEB EN FEMME 39 

GUIDO, sapplîant. 
Non, non, non, non ! 
Vous resterez. 

MINETTE. 

Non, non^ non, non ! 

GUIDO. 

Ah! revenez! 

MINETTE. 

Non, non, non, non! 

GUIDO. 

Âh! revenez! 

MINETTE. 

Non, non, non, non! 
Âh!... le grand air m'enivre : Miaou! 
Miaou ! miaou ! 
Entends ce chant hindou! 
Miaou! miaou! 

GUIDO. 

Ëncor son maudit chant hindou I 

MINETTE. 

Entends ce chant, bel Acajou ! 

(Disparaissant.) 

Miaou! miaou! 

GUIDO, la rappelant. 
Minette! Minette! 

MINETTE, dans l'éloignement. 

Miaou ! 

GUIDO, parlant. 

Ah! par la petite terrasse!... Voyons vite! 

(il sort par la porte à gauche.) 



40 OP^RAS-COHIQCES 



SCENE IX. 

I 

MINETTE) pasiant «a même inttant m tète par la porte da fond et 

descendant sur le théâtre. 

Oui, cours après moi, si tu peux!... pourvu qu'il ne se 
fasse pas de mal... Oh! je suis sûre qu'il n*ira pas loinl... 
Ah! mon Dieu!... c'est mon ennemie; c'est la vieille gou- 
vernante!... 



SCENE X. 

MINETTE, MARIANNE, sortant de la chambre de droite. 
MARIANNE, d'un air reréche. 

Monsieur n'est pas ici? 

MINETTE, regardant le toit. 

Non... il est allô prendre l'air. 

MARIANjxË, Mont le courert, à l'aide de son panier à prorisions. 

J'en suis fâchée!... je venais lui demander mon compte; 
parce qu'il faut qu'une de nous sorte d'ici. 

MINETTE, froidement. 

C'est déjà convenu. Je reste. 

MARIANNE 

Est-il possible? 

MINETTE. 

Et vous aussi, la vieille... j'y ai consenti. 

MARIANNE, posant son panier à gauche. 

La vieille!... la vieille!... m'entendre traiter ainsi !... Je 
vais chercher mes effets, et je ne resterai pas une seconde 
de plus dans cette maison, où je ne regretterai rien... car 
j'ai retrouvé ma pauvre Minette... ma seule consolation... 



LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME 41 



MINETTE, Tiremeiit. 

Vous Favez retrouvée ! . . . 

MARIANNE. 

Oui, mademoiselle... là-haut dans uub armoire, et je ne 
sais pas qui s'était permis de renfermer, d'attenter à sa 
liberté!... 

MINETTE. 

Il s'agit bien de cela... Où est-elle? 

MARIANNE, montrant la chambre à droita. 

Elle est là, en sûreté. 

MINETTE. 

Je ne veux pas qu'elle paraisse. 

MARIANNE. 

Vous ne voulez pas!... Apprenez que je suis là pour la 
défendre. 

MINETTE. 

Du tout... pour m'obéir... et je n'ai qu'un mot à pro- 
noncer... 

MARIANNE. 

Moi... abandonner ma chère Minette... la laisser dans 

des mains !... (Minette s'est approchée d'elle et lui a parlé bas.) Hein? 

quoi! Ciel! il se pourrait!... (Avec respect.) Quoi! c'est 
vous!... c'est vous!... 

MINETTE, regardant toujours si Guido revient. 

Silence donc!... (a mi-roijt.) Eh! oui, vraiment... la soli- 
tude, le chagrin, l'exaltation germanique ont tourné la tète 
à ce pauvre Guido. Il n'aime que sa chère Minette... Il 
fallait bien le corriger... et ce ne sera pas long, je l'es- 
père... surtout si tu veux me seconder. 

MARIANNE. 

Si je le veux!... Parlez, commandez... que, faut-il faire? 

MINETTE. 

Cacher bien vite Minette... la faire disparaître... car s'il 
la voyait, tout serait perdu. Nous serions deux ! 



42 OPâRAS-GOMIQUKS 



MARUNNE, prêt» à sortir par la droite. 

Je vais remporter de la maison... 

MINETTE. 

Pas dans ce moment... Tentends Guido qui revient. 

MARIANNE. 

Soyez tranquille... je sais où la cacher... et tout àTheure 
je pourrai l'emporter devant lui sans qu'il s'en aperçoive!... 
(Lai boisant la main.) Ah! mademoiselle 1 

(Elle sort par la porte à droite ; en même temps Gaido entre par la porte 
à gauche, et Minette se tient derrière un des rideaux, au fond du 
théâtre.} 

SCÈNE XI. 
MINETTE, GUIDO. 



GUIDO^ se croyant seul. 

Au diable les voyages ! J'ai voulu mettre le pied sur le 
toit; mais les chemins sont si mauvais!... je me suis trouvé 
au confluent de deux gouttières. Mais cette pauvre Minette I... 
où est-elle maintenant ? 

MINETTE, Tenant doucement, et passant sa tète seos le bras de Gnido. 

Me voici. 

GUIDO. 

Ahl... Une jolie condiiite, mademoiselle! Fi! que c'est 
vilain! et qu'est-ce qui vous ramène près de moi? 

MINETTE. 

J'ai voulu te faire mes adieux, avant de te quitter pour 
toujours. 

GUIDO. 

Me quitter! encore! • 



LA CHATTE If ÉTAM0RPH08ÉE EN FEMME 4S 

'MINETTE.- 

Pour ton bonheur *, car je sens bien que je te rendrais 
malheureux : nos caractères sont si difEérents 1 

GUIDO. 

Il est sûr qu'il n'y a pas encore compatibilité d'humeurs. > 
mais ça viendra. 

MINETTE. 

Jamais!... On ne change pas le naturel... Songez donCy 
monsieur, que j'ai été chatte, que je suis femme, et que ces 
deux natures-là, combinées ensemble... c'est terrible! 
D'ailLeurs, maintenant que j*ai un nouveau maître... 

GUIDO. 

Comment! un nouveau maître? 

MINETTE. 

Oui, le fils du gouverneur, ce jeune homme à qui Marianne 
m'a vendue pour trois florins... Il sort d'ici; je lui ai tout 
conté. 

GUIDO. 

ciel I quelle indiscrétion ! 

MINETTE. 

Et il dit qu'il va me réclamer. 

GUIDO, virement* 

Peu m'importe ! je plaiderai, s'il le faut, et je gagnerai ! 
Car enfin, c'est une chatte qu'il a achetée, et lui donner, à la 
place, une jolie femme, ce serait le tromper. 

MINETTE, souriant. 

Oh! je crois qu'il l'aimera , tout autant comme cela! 
(Tooiant sortir.) Je vais le lui demander. 

6UTD0, l'arrêtant. 

Ah! c'en est trop!... petit monstre d'ingratitude! Allez I 
votre espèce ne vaut pas mieux que l'espèce humaine. 

MINETTE, arec joie. 

Comment ! Je ne le semble donc plus jolie à présent ? 



44 OPÉRAS-COMIQUES 

• GUIDO. * 

Au contrsiirel... et c'est ce dont j'enrage 1... Mais en 
voyant ces jolis traits... je penserai toujours qu'il y a de la 
chatte là-dessous... et je vois bien qu'à moins, d'un miracle, 
je serai malheureux toute ma vie.... Mais toi aussi... C'est en 
vain que tu espères rejoindre ce jeune homme... tu resteras 
ici... malgré toi! 

MINETTE, regardant la fenêtre. 

Vous savez bien que quand je le veux... 

GUIDO. 

Oui... mais cette fois, j*y mettrai bon ordre. (Allant laî 

prendre la main. — Apercèrent Marianne qui parait arec le coffre aoua 

le bras.) Marianne ! Marianne I 

SCÈNE XII. 
Les mêmes; MARIANNE. 

MARIANNE. 

I 

Ehl bien... Eh! bien... qu'est-ce donc? 

GUIDO, tenant toujours la main de Minette. 

Fermez cette fenêtre. (Montrant ceUe du fond.) Et dépêchons... 
quand je l'ordonne. 

MARIANNE, posant son coffre sur la table. 

Ne VOUS fâchez pas... on y va! 

MINETTE. 

Et moi, Marianne, je vous le défends. 

(Marianne s'arrête sur-le-champ.) 

FINALE, 
GUIDO, étonné. 

ciel! Elle reste en chemin! 
Qu'avez-vous? Parlez, Marianne... 



LA CHATTE UÂTAMORPHO s£e EN FEMME 45 

. I 

MINETTE, étendant sa main yers elle. 
Je le défends I jusqu'à demain, 
Au silence je la condamne. 
(Marianne, qui ouvrait la bonehe, reste immobile tans prononcer un mot.) 

GUIDO. 

Dieu ! la voilà muette 1 Encore un changement 

Plus étonnant 
Que les autres! 

(Atoc colère.) 
Ah! je le voi. 
Je ne suis plus maître chez moi. 

SCÈNE xni. 

Les mêmes; DIG-DIQ. 

(n est entré et a échangé du fond quelques signes aTeo Minette ; il reprend 

sa grayité dès que Guido Taperçoit.) 

GUIDO, se retournant. 
Ah! sage Indien, 
Grand magicien, 

Accours 
A mon secours! 

(Montrant Minette.) 
Je Fabandonne... 
Je te la donne! 
Qu'elle s'en aille, et pour toujours! 
MINETTE, étendant la main Ters Dig-Dig. 
Indien, de par Brahma, 
Je t'ordonne de rester là!... 
Gomme une idole. 
Sans prononcer une parole I 
(Dig*Dig) qui s'arançait, reste sar-lenthamp immobile dans une position 
grotesque, et ourre plusieurs fois la boucha sans pouvoir parler.) 

GUIDO, confondu. 

Le voilà devenu magot! 

3. 



^ 



46 OPâRA6«>Q0MIQUEB 



MINRTTB, la maMCfnrt. 

Toi-même, ai tu dis un mot, 
Je te ferai prendre soudain 
Ma figure de ce matin ! 

GUIDO, bon de luL 
En matou I moi! quelle infamie! 

(Frappé d*ane idée.) 
Oh! mon talisman que j'oublie l 

(Coarant au coffre qai est sur la table.) 

Brahma ! 
Mon petit Brahma I 
Punis ringrate! 
Oui, qu'elle redevienne chatte! 
Et, par le pouvoir que j'ai là!... 
(il oarre le coffre : une chatte blaache en sort aossitôt, s*élance à terre> 

•t dxaparalt par 1« feoétrt.) 

DIG-DIG et MARIANNE, criant. 
AU chati au chatl Minette I 

Ettsembie, 

GUIDO, pétrifié. 

Juste ciel! qu'ai-je vu? 
Je reste confondu. 
Il faut que l'amulette 
Ait perdu sa vertu! 

MARIANNE, MINBTTB et DI«-DIG. 

Il est tout éperdu, 
Le voilà confondu. 
Il croit que l'amulette 
À perdu sa vertu. 

GUIDO, montrant le coffre à Minette» 
Quoi! madame... vous étiez là, 
Et je vous vois encor! que veut dire cela? 

MINETTE, souriant. 

Devinez, devinez. 



i 



4 



LA CHATTE né TA.M.ORPUOSBB EN FEMME 47 



Gomment yeut-on que je deviae I 

MARIANNE, montrant Minette. 

Mais c'est votre cousine. 

GlIIDOy a<fee joie. 

Gomment, comment I... 
Ma petite cousine? 

DIGr-DIG) saluant. 

Et c'est moi, le vieil intendant 
Qui vous attrapa si souvent. 
(Goido le menace da doigt en «ooriant.) 

MINETTE y teodroment. 

Grâce au ciel, j'ai rempli le désir de mon père ! 
Je ne crains plus de rivale à vos yeux... 
Oui, Guido, nous serons heureux... 
Gar j'aurai le cœur, pour vous plaire. 
De cette Minette si chère, 
Sans en avoir le caractère... 

(Lerant la main comme poar griffer.) 
Ni les... 

GUIDOy gaiement. 
Eh bien? 

MINETTE, en souriant. 

Oh! ne crains rien. 
Tu peux la prendre sans danger, 
J'ai promis de ne plus changer. 
(Elle lui tend la main qu'il baise arec transport.) 

GUIDO. 

Je puis la prendre sans danger, 
Gar elle ne veut plus changer. 

DIG-DIG et MARIANNE. 
Il peut la prendre sans danger. 
Gar elle ne veut plus changer. 

MINETTE, au public. 

Je suis femme, j'étais chatte... 



OPÉRA S-COUIQUBS 



Je m'en souTiendraî toujoars; 
Qu'on me choyé et qu'on me Halte, 
Je fais patle de velours!... 
Hais ce oaiurel charmant 

Devient méchant 

Au moindre vent... 
Pour m'en guérir, thaque toir, 

Venez me voir 



A ceg appels tendres 
Hiaou! mïao 
Montrez 'TOUS indulgents 






BROSKOVANO 

OPÉRÂ-GOHIQUB EN DEUX ACTES 

En société avec M, Henri Boisseaux 

MUSIQUE DE L. DEFFÈS. 



Théâtre Lyrique. — 29 Septembre 1858. 



PERSONNAGES. ACTEURS. 



JOYITZA, fennier valaqtie. BIM. Lesias. 

BASIL£, neveo de Jotitza. Gieârdot. 

CONSTANTIN, soldat Fromaht. 

HASSAN, aga GàlaiiL. 

UN DOMESTIQUE — 

HÉLÈNE, fille de JoTitza Mmes Marimoii. 

HICHAELA, amie d'Hélène Girard. 

Irtités. — Soldats turcs. — Officiers et BIaoibtratb. — 

Garçons de ferh'b. 

Dads an Tillage, en Talachie. 



BROSKOVANO 

ACTE PREMIER 

Une plaça da T&lage. — À. droile. nna graBgc; il gmeliB, U nalMU da- 

SCÈNE PREMIÈRE. 
JOVITZA, CONSTANTIN, jeunes Gens «t jeunes Filles 

d« la moca. 

(Dii jeunei gani M d« jeinwi fillH daieenjast la Bintagne, ■j'anl i 
leur télé dei joiiBiir). da pnln al autm iodnuiaaM. CaDgtmtin entre 

COTt9T*NTIN, 

Du monde partoQlt (Ragardani i gancha.) Due noce par icil 
Ah\ ma foi, à la garde de IHeul 

(U H eecha k droila.) 
IHTRODBCTION. 
LE CBfBGB, tEI ■! jaTani. 

Pariis ctepui» l'aurore, 
FilletUs <L garfou. 



52 OPéRÂS-GOMIQUBS 



Que la guzla sonore 
Se mêle à nos chansons ! 
Pour l'hymen qui s'apprête. 
Jetons le cri de fête, 
Présagée d'heureux jours 
Et de longues amours!... 

JOVITZA, sortant de la farine et allant saluer les inTÎtés. 
Salut, mes amis, mes compères!... 

LE CHOEUR. 

Salut au plus heureux des pères ! 

JOVITZA. 

Dites au plus contrarié ! 

Depuis hier dans ma demeure. 

Je guette et j'attends à toute heure... 

LE CHOEUR. 

Eh! mais, qui donc?... 

JOVITZA. 

Le marié!... 

LE CHOEUR, riant. 
Ah! ah! ah! ah I le marié!... 

JOVITZA. 

Mon gendre et mon neveu Basile 
S'est perdu sans doute en chemin ! 
Le remplacer n'est pas facile... 
Et la noce se fait demain i... 

LE CHOEUR. 

£h! quoi! de lui pas de message?... 

JOVITZA. 

Si fait, si fait, j'ai là, céans, 
!Sa malle et ses effets venus sans accidents. 

LE CHOEUR. 

Vraiment, il eût été plus sage 
A lui de s'enfermer dedans !... 



BROSKOVANO 53 



-*- 



(Rires.) 
Ahl abi! ah! ah! 

JOVITZA. 

Chez moi, compères, 
Au choc des verres. 
Allez vous rafraîchir un peu ! 
Moi je vais rester en ce lieu, 

(Soupirant.) 
Afin d'attendre mon neveu ! 

LE CHGEUR. 

Partis depuis l'aurore, etc. 



(sortie du chœur.) 



SCENE IL 
JOVITZA, puis MICHAELA et HÉLÈNE. 

JOVITZA. 

Mon gendre qui se perd en route!... c'est fait pour moi, 
ces choses-là !... et dire que le prêtre est averti, que les 
invités sont là, que l'acte et le repas sont dressés, (Hélène 

sort de la ferme avec Michaëla.) que ma fille CSt tOUte prête!... 

(L'admirant.) Mais, comme te voilà belle ! 

MICHAELA. 

C'est mon ouvrage! je m'y entends! c'est la dixième 
mariée que je pare, (Avec un soupir.) en attendant mon tour ! 

JOVITZA, se parlant à lui-même^ 

Il ne peut tarder ! 

MICHAELA. 

Mon tour?... que le ciel vous entende 1... 

JOVITZA. 

Il s'agit bien de vous ! je parle du mari d'Hélène. 

MICHAELA. 

Aussi, pourquoi l'avez-vous été chercher si loin?... en 



54 0PiRAS-€0X3QirES 



Illyrie, un pays sauvage... comme s'il n'y avait pas dans 
notre Yalachie des garçons disposés à épouser la plus 
grosse dot de l'endroit. 

JOYrrZA, en colère. 

Mêlez-vous de ce qui vous regarde, voisine. * 

VICBAELA. 

Oh ! je n'en parle ainsi que par affection pour vous, pour 
Hélène, ma compagne d'enfance; d'ailleurs, ce n'est pas 
moi, c'est le pays qui jase, vous savez qu'on n'empêche pas 
les langues d'aller leur train. 

JOVITZA. 

Oui, je m'en aperçois... en tous cas, vous leur direz, à 
ces langues, que c'est chose arrêtée depuis vingt ans entre 
moi et mon frère Jean Jovitza, que je suis bien le maître et 
que ça fait plaisir à ma fille. 

H&LBNE. 

A moi? ohl non^ mon pèrel... j'obéis, voilà tofut. 

JOVITZA. 

Justement, justement, ça doit te faire plaisir de m'obéir... 
d'ailleurs ces mariages-là, les mariages de famille, ça porte 
toujours bonheur! 

MICHAELA. 

On s'en aperçoit! celui-ci commence bien! 

JOVITZA. 

Mais qu'est-ce que ce garçon peut faire *en route? 

MICHAELA. 

Il peut faire bien des choses; il peut avoir été pillé, tué... 
le pays n'est pas sûr. 

HELENE» 

Les heiduques, les bandits le parcourent en tous sens, 
Broskovano ea tête. 



BROSKOVANO 55- 

JOVITZA. 

Taisez-vous! ce nom-là me donne le frisson 1 dans cette 
ferme isolée, sans armes, sans défense I... Au moins, si 
Basile était là, nous aurions un homme pour nous pro- 
téger. 

MICHAELA. 

Tiens! qu'est-ce que vous êtes donc, vous?... 

JOVITZA. 

Je suis un père, qui tremble qu'on ne l'enlève à son 
unique enfant!... car telles sont les façons de ce Brosko- 
vano; il enlève tout le monde et sans avoir d'égards pour 
l'âge ni pour le sexe!... puis, quand on est une fois tombé 
dans ses griffes, il faut, pour en sortir, payer suivant ce: 
que l'on vaut, et ce brigand-là vous estime beaucoup. 

MICHAELA. 

J'y pense ! si c'était lui qui eût enlevé Basile ! 

JOVITZA. 

OÙ en serais-je?... un fiancé qu.'on dit de la plus belle 
venue ! à ce compte-là, Basile me deviendrait bien cher ! 

(Sar ces mots, nn gargoa est entré et a parlé à JoTitza.) £h bien! 

quoi? qu'y a-t-ilî 

LE DOMESTIQUE. 

Maître, ils demandent du viiu 



Qui ça? 



Les invités! 



lOVITZA. 



LB DOMESTiQUI. 



MICHABLA^ è Jovitza. 

Courez lenr en donner. 

jovrrzA. 
J'y vais, (Le garçon sort.) et dire qu'ils boivent ainsi en^ 
Fhonneur de mon gendre qui n'est pas arrivé î... 



S6 OPÉRAS-COUIQUES 



VOIX dans la eonliue* 



fhi vinl... 



JOVITZA. 

Ty vais! (Aux jeunes filles.) Restez là, vous autres, et si 
Basile parait, qu*on vienne m'avertir. 

VOIX dans la coulisse. 



Du vin! 



Ty vais! 



JOVITZA. 



(Il sort.) 






SCENE in. 

HÉLÈNE, MIGHAELA. 

MIGHAELA. 

Gomme te voilà triste!... après tout, c'est naturel!... 
Perdre un mari avant la noce ! passe encore si c'était après ! 
je te plains sincèrement. 

HÉLÈNE. 

Tu crois que c'est Tabsence de Basile qui m'afflige? 

MICHAELA. 

A moins que ce ne soit son arrivée 1... (Hélène ne répond rien 
«t baissa la tête.) Gomment! il se pourrait? cela promet!... 

HÉLÈNE. 

Que veux-tu ? je ne connais pas mon cousin... ou du moins 
il y a si longtemps!... lorsque j'étais enfant, que j'habitais 
«ncore l'Illyrie, autant que je puis m'en souvenir, il était sot! 

MIGHAELA. 

Tant mieux ! c'est une éducation toute faite ! Oh ! Dieu ! 
«in mari béte... c'est mon rêve!... 

HÉLÈNE. 

Il était laid ! 



BROSKOVANO 57 



MIGHAELA. 

Tant mieux I tu n'auras pas Tennui de voir ses avantage» 
disparaître avec le temps. 

HÉLÈNE. 

Enfin, je ne Taime pas !... 

MIGHAELA. 

• Tant mieux ! J'ai entendu dire à ma mère qu'elle n'aimaîl 
pas mon père... et me voici. 

HÉLÈNE. 

Si tu étais à ma place ! 

MIGHAELA. 

Je m'y mettrais volontiers. Songe donc, un mari qui ne- 
te connaît pas et qui vient t'épouser de confiance I... ce- 
n'est pas moi qui aurais cette chance-là!... Tiens, vois-tu^ 
tes dédains ne sont pas naturels, à moins que tu n'aies dans 
le cœur quelque secrète préférence... 

HÉLÈNE. 

Moi!... 

MIGHAELA. 

Pourquoi pas?... nous ne sommes pas maltresses de nos-^ 
sentiments, de nos pensées!... 

HÉLÈNE. 

C'est vrai 1 

MIGHAELA. 

J'ai deviné? 



f \ 



HELENE. 

Non, mais tu me rappelles que bien souvent j'ai songé- 
malgré moi!... 

MIGHAELA. 

A qui as-tu songé ? 

HÉLÈNE. 

A personnel... Seulement, la nuit, quand j'étais seule avee 



58 opArae-cohiqubs 

mes rêveries, illusion ou vériW, il me semblait entendre 
^wmnie un murmure qui s'élevait de mon cœur. 

ROMANCE. 
Premier caaplel. 

La douce voix qui bercail mon sommeil 1 

Toat en suivant la pente do ma vie. * 

Je souriais en snngeant au réveil!... 

Je me disais ; l'amour, ce bien suprême. 

Sur mon printemps n'est pas encor lové... 

J'espËre et croîs, en attendant que j'aime ! 

J'attends toujours! Tu le vois, j'ai rêvé!... 

Desiièise couplet. 

Parfois aussi, vague et discrète image, 
Un inconnu vers moi semblait venir, 
Triste, proscrit et battu par l'orage; 
Son cœur doutait même de l'avenir! 
Je lui donnais, do mémo qu'un bon ange; 
Tout le bonheur dont il était privé!... 
Il me donnait son amour en échange. 
J'attends toujours! Tu vois que j'ai rflTo! 

Oui, c'était un rêve, 
Un rêve Lien doux. 
Voilà qu'il s'achève, 
J'attends mon êponx ! 

Tu vois que je suis libre et que je n'aime personne; je 
-dir^ plus, tous les amoureux me déplaisent, et surtout mon 
•cousin Basile. 

»ICH.\EIA. 

C'est déjà une préférence ! 

HÉLÈNE. 

Bien méritée, puisque c'est le danger le plus rapproché!.., 
.(Éiauiuit.) Mon Dieu! j'entends du bruit. Si c'était... 



BRO8K0TAH0 59 



Ton mari ? 



Je me sauve!... 



MIGIUELA. 



HELENE, s'enfnyant* 



MICHAELA, appelant. 

Hélène! mais non, ce n'est pas lui... Voilà un garçon qui 
peut se vanter d'être aimé!... (Apjeiaat.) Hélène ! (AeUe-méme.) 
Gourons consoler la victime ! 

(EUe sort. Sur la sortie d'Hélène et de Bfichaëla, Constantin, après s'être 
assuré qa'U est seul, sort de sa cachette.) 



SCENE IV, 
CONSTANTIN. 

Sauvé!... pour un instant!... mais traqué, poursuivi, 
chaque pas peut me rejeter dans le péril. Je ne puis pour- 
tant pas rester plus longtemps là-dedans, j'y mourrais 1 et 
mourir étouffé ou autrement, c'est tout un... Mieux vaut 
même autrement, quand, comme moi, on a Thonneur d*ètre 
soldat!... Triste honneur qui me livre à la plus sourde de 
toutes les justices! Comment dire seulement que je suis 
innocent? on ne m'écoutera pas... pris! fusillé !... c'est la 
consigne! que faire?... Ma foi, essayons d'abord de dîner, 
je meurs de faim... une troisième perspective que j'ai là! 
et il est peu probable que f échappe à celle-là, vu l'état des 

finances. (ll frappe sar sa poche ride. (Saiemest.) Âh ! bah I 

Lutter souvent contre la mort, 

Et lutter contre la souffrance, 

D'un vrai soldat tel est le sorti... 
Mais au fond de ses maux il garde l'espérance. 
Rions de tous les miens, puisque je suis soldat, 
Mais espérons toujours, puisque c'est mon état I 



60 0PKRA8-C0MIQUE8 



COUPLETS. 
Premier couplet. 

Sur la tente de toile, 
Où le soldat repose et dort 
Bien fort, 
Voyez-vous cette étoile 
Qui, dans le ciel^ pendant la nuit, 

Reluit ? 
Demain, de Fardcnle bataille 
On entendra gronder soudain 

. L'airain. 
Demain, à travers la mitraille. 
Il faudra courir 
Sans pâlir I 
L'honneur parle, il faut obéir. 
Pauvre soldat ! il faut mourir. 
(Gaiement.) 

Mais non, dans la nuit brune 
Mon étoile poursuit toujours 
Son cours ; 
Suis-la, c'est la fortune, 
Marche gaiment, car la voilà 
Liil 

Courage ! courage I 
Et bravant souvent 
L'orage, 
Marche en avant. 
En avant! 

Deuxième couplet. 

Voici l'aube vermeille, 
On annonce au son du tambour 
Le jour. 
Debout, et qu'on s'éveille I 
Entonnons le chant du départ; 

On parti 
Sous un ciel de feu qui dévore, 



BROSKOYÀNO 61 



Bientôt, chacun demande ici 

Merci ! 
La soif, la faim, que sais-je encore ! 
Faute d'un repas. 
Le trépas! 
Dans votre état, pauvres soldats. 
On meurt, mais l'on ne dîne pas. 
(Gaiement.) 
Mais non ! toujours fidèle, 
Au milieu des feux du matin 
Lointain, 
Mon étoile étincelle, 
Marchons sans crainte, la voilà, 
Là! 

Courage! courage! etc. 

Mais d'abord quittons cet habit qui, peut me faire recon- 
naître ; maintenant, ô mon étoile, je ne te demande plus 
que deux choses, un autre habit et un bon diner ! (Bruit de 
▼oixdans la coulisse.) Quelqu'un!... un soldat turc!... 

SCÈNE V. 
MICHAELA, CONSTANTIN. 

MIGHAELA, A la cantonade. 

Oui, je vous préviendrai dès que je Taurai vu ! 

C0NSTJI^1NTIN. 

Non, une femme! 

MICHAELA, se retoarnant et apercayant Constantin. 

Ah ! c'est lui ! 

CONSTANTIN, à part. 

Je suis pris ! 

MICHAELA. 

Le marié! 
IV. — XVIII. 4 



62 OPÉRAS-COMIQUES 



DUO, 

MICHÀELA, très-vite. 
Enfin 1 vous voici... 
C'est vous, Dieu merci I 
Vous qu'on cherche ici, 
Dans cette demeure l 

CONSTANTIN, effrayé, voulant la faire^taire. 
Silence avec tous! 
Des regards jaloux 
Peut-être sur nous 
Veillent à cette heure!... 

MICHAELA, voulant rentrer. 
Je vais leur dire de ce pas... 

. CONSTANTIN, la retenant. 

Qu'allez-vous faire ?... 
Sachez vous taire!... 

MICHAELA. 

Qui ? moi ! me taire ? 
Ah ! vous ne me connaissez pas!... 

Ensemble. 

MICHAELA, très-vite et trë»>gaiement. 

Comme un feu qui pétille, 
Je babille, babille... 
Sachez-le, je suis tille... 
Mais ce n'est pas pour rien! 
N'agissant qu'à ma tète, 
Toujours, sans qu'on m'arrête, 
A parler je suis prête ! 
Je parle et parle bien! 

CONSTANTIN. ' 

Oh ! la maudite fille. 
Qui babille, babille... 
Oh I la maudite fille 
Qui parle et n'entehd rien! 
Cette langue indiscrète, 



BR08K0VÀN0 63- 



Qui jamais ne s'arrête, 
A me trahir est prête. 
Ici je le vois bien. 

CONSTANTIN, la retenant toajonrs. 
De grâce ! 

HIGHÀELA, B'arrétsnt. 
Mais je vous regarde... 
Pardon ! je n'avais pas pris garde !... 
(Éclatant de rire.) 
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah I 
Mais dans quel état le voilà 1 

CONSTANTIN. 

Je vais vous expliquer Taffaire... 

MICHAELA. 

Pardine ! elle est pour moi bien claire ! 

Je l'avais dit, 

Dit et prédit ; 
Pris, arrêté sur votre route. 
Par ces bandits ? 

CONSTANTIN, frappé d'une idée. 

Ëh I mais sans doute I 

MICHAELA, gaiement. 

Vous voyez bien qu'on vous connaît 
Gomme si Ton vous avait fait ; 
Car moi, chacun le sait. 

Gomme un feu qui pétille, etc. 

CONSTANTIN, gaiement, à part. 

Oh l la drôle de fille, 
Qui babille, babille... 
Elle est, ma foi, gentille ! 
Et je ne crains plus rien ! 
Sa langue peu discrète. 
Que jamais on n'arrête, 
A me sauver est prête 
Par quelque bon moyen ! 



61 OPÉRAS-GOUIQUES 



MICHAELA, continuant. 

Vous êtes le cousin Basile 
Qu'on n'a pas vu depuis quinze ans I 
Pour vous embrasser à la file, 
Tout le pays est là, céans ! 

CONSTANTIN, gaiement. 
Quoi ! pour m'embrasser à la file !... 
D'avance je leur tends les bras ! 
(a Hichaëla.) 

Parlez ! ne vous arrêtez pas?... 

MICHAELA, de même. 
Pour être le mari d'Hélène, 
Fille de votre oncle Thomas, 
Vous arrivez tout d'une haleine. 
Vu ses écus et ses appas !... 

CONSTANTIN. 

Parlez ! ne vous arrêtez pas !... 

HICHAELA. 
C'est demain que, dans ce village, 
Se célèbre le mariage !... 

CONSTANTIN. 

Demain ! 

MICHAELA) lai montrant la maison. 
Et vos habits, du naufrage sauvés, 
Avant vous, là sont arrivés ! 

CONSTANTIN, faisant un pas. 
Mes habits !... 

MICHAELA. 

Patience I 
Je vais les quérir I... 

CONSTANTIN. 

Quelle chance ! 
(Siichaêla sort un moment. — Constantin, seul, ares une joie profonde.) 
Destin que j'ai prié, 



BROSKOVANO 65 



Tu me prends en pitié ! 
Allons, et pour une heure 
Soyons le marié. 
Rêver chance meilleure, 
Serait vraiment un tort I 
Allons, et pour une heure 
Laissons faire le sort!... 

MICHABLA, revenant areo un habit et regardant Constantin. 

Le gentil marié!... 

Lui qu'on a décrié ! 

J'en sais bien à cette heure 

Qui l'auraient envié ! 

Ah ! dans cette demeure, 

On a certes bien tort, 

On se désole, on pleure... 

Moi, je rirais bien fort ! 
(Pasfant l'habit à Constantin.} 
Vous souviendrez-vous du service 
«Que je vous rends en pareil jour ? 

CONSTANTIN, l'embrassant. 
Oh ! oui, que ne puis-je à mon tour 
Vous rendre même office! 

Ensemble, 
MICHAELA. 

Le gentil marié, etc. 

CONSTANTIN. 

Destin que j'ai prié, etc. 
MICHAELA y appelant. 

Venez donc I... le voici !... 



66 OPilRAS-GOMIQUBS 

SCÈNE VI. 
CONSTANTIN, MICHAELA, JOVITZA. 

JOVrrZÂ^ paraissant. 

Qui çaî 

HICHÂELAi montrant Constantis. 

Lui! votre gendre! 

JOVITZA, à Constantin. 

Basile !... Te voilà dooc, et je te tiens enfin î 

CONSTANTIN, hésitant. 

Monsieur!... 

JOVITZA. 

Comment, monsieur? veux-tu m'appeler mon oncle! 

CONSTANTIN. 

Mon oncle! 

JOVITZA, le regardant. 

C'est qu'il n'est pas changé... le portrait de son père, 
quoi!... Oh! je t'aurais reconnu tout de suite! 

MICHAELA. 

Je l'ai bien reconnu, moi qui ne l'avais jamais vu 1 

JOVITZA. 

Sais-tu que tu nous as causé une inquiétude... Qui diable 
a pu te retarder autant? 

CONSTANTIN. 

Mais... 

MICHAELA. 

Je vous l'avais bien dit... pris par Broskovano l 

JOVITZA. 

Miséricorde!... et il t'a relâché? 

MICHAELA. 

Sans rançon? 



BROSKOYANO 67 



CONSTANTIN. 

Sans rançon! 

JOVITZA. 

Sans rançon! seigneur! que c'est heureux!... Dis donc^ 
Broskovano a dû te faire bien peur? 

MICHAELA. 

Mais non, pas trop. 

CONSTANTIN. 

Pas trop ! 

JOVITZA. 

Pas trop! tu es donc un héros? 

MICHAELA. 

C'est un héros ! 

JOVITZA. 

Tant mieux ! ça manquait dans la famille ! mais tu as un 
drôle d'air... pourquoi ne dis-tu rien? 

MICHAELA. 

La fatigue!... 

CONSTANTIN. 

La fatigue... 

MICHAELA. 

Vous avez un peu faim, peut-être? 

CONSTANTIN. 

Non, j'ai très-faim! 

JOVITZA, à MichaSla. 

Vous l'entendez, voisine!... vite sur cette table, un pain^ 
du jambon, une bouteille du meilleur!... (Michaeia s'emprem.) 
Assieds-toi, nous allons te servir! 



TRW, 

JOVITZA, gaiement. 
Allons, à table! 



^8 OPERAS-GOUIQUBS 



Mange sans façon 
Et bois, mon garçon! 
Que la fatigue qui t'accable 
Se dissipe à table ! 

CONSTANTIN, à part, interdit. 
Me mettre à table? 
Mais que dirait- on 
*Si je disais : Non ! 
(S'agseyant.) 

Le sort, dont la rigueur m'accable, 
Est seul coupable! 

MIGHAELA. 

Allons, à table! 
Dans cette maison 
Le vin est fort bon. 
Moi je yeux, tant je suis aimable, 
Vous servir à table!... 

(Se levant.) 
Goûtez ce vin... 

JOVITZA, de même. 
Pour toi conservé tout expris 1 

CONSTANTIN. 

Ma foi, buvons d'abord et nous verrons après! 

JOVITZA, après qa'il a bu. 
Causons un peu de la famille. 

CONSTANTIN, effrayé. 

Quoi! 

JOVITZA. 

Que fait-elle ? 

CONSTANTIN, à part. 

ciel! quel embarras! 

MIGHAELA, gaiement. 

S'il parle, il ne mangera pas ! 

JOVITZA. 

Elle a raison! 



BROSKOVANO 



G9 



MICHAELA. 

Songez à votre fille! 
L^n amoureux à jeun n'aurait pas de succès. 

JOVITZA, le servant. 
Vite alors, ce jambon arrosé de Xérès. 

CONSTANTIN, g'animant. 
Ma foi, mangeons d'abord et nous verrons après. 

Ensemble, 

CONSTANTIN, buvant. 

Les chagrins arrière! 
Pourquoi s'affliger? 
Cherchons dans ce verre 
L'oubli du danger! 
Assez tôt l'orage, 
Dont je crains la rage, 
Viendra, j'en ai peur, 
Briser mon bonheur! 

JOVITZA, joyeux. 

Le joyeux compère, 
Qui, sans s'affliger, 
Ne vide son verre 
Que pour mieux manger ! 
Quand j'avais son âge, 
Hormis son courage, 
J'avais même ardeur 
Au fond de mon cœur! 

MICHAELA, regardant boire Constantin. 

Le joyeux compère. 
Qui, sans s'affliger, 
Ne vide son verre 
Que pour mieux manger! 
Plus tard, en ménage, 
Il saura, je gage. 
Montrer même ardeur 
Et même valeur!... 



70 0PÉRA.8-G01IIQUB8 



SCENE VIL 

Les mêmes; HÉLÈNE, paraissant sur le seail de la ferme, Cons- 
tantin se lève à sa vue. 

QUATUOR. 

CONSTANTIN. 
Quelqu'un ! 

JOVITZA, allant chercher se fille. 
C'est lui!... 

MICHAELA, bas à Constantin. 

Cest ellel c'est Hélène I 



Ton cousin! 



JOVITZA, à Hélène. 

MICHAELA, À Constantin. 
Votre femme I 

HÉLÈNE et CONSTANTIN, sans se regarder. 

Ah ! je respire à peine ! 
(Sur la ritournelle de Tensemble suivant, les deux jeunes gens se regar- 
dent émus, rougissant. Jovltsa et Miehaëla les observent avec malice.) 

Eneemb4e. 
HÉLÈNE. 

Ahl malgré moi, 
RieQ qu'à sa vue 
Je suis émue. 
Mon cœur, tais-toi! 
De ma jeunesse 
Le songe heureux 
Enfin se dresse 
Devant mes yeux! 

CONSTANTIN. 

Âh t malgré moi. 



BROSKOVANO 71 



Rien qn'à sa vue 
Mon âme émue 
Tremble, je croi. 
Moment dlvresse, 
Hève des cieux, 
Soudain se dresse 
Devant mes yeuxl 

MICHAELA. 

Fort bien, ma foi ! 
Douce entrevue 1 
Son âme émue 
N'a plus d'effroi ! 
Même tendresse 
Brille à leurs yeux. 
Ça m'intéresse, 
Des amoureux!... 

JOVITZA. 

Fort bien, ma foi! 
Douce entrevue! 
Son âme émue 
N'a plus d'effroi ! 
De ma jeunesse 
Le songe heureux 
Soudain se dresse 
Devant mes yeux! 

JOVITZA, passant rêva Constantin. 
Gomment la trouves-tu? 

CONSTANTIN, soupirant. 

Trop belle ! 

MICHAELA, à Hélène. 

Et toi, plaintive tourterelle 1 
N'est-ce pas qu'il est bien ? 



r \ 



HELENE, baissant les yeux. 

C'est vrai! 

JOVITZA, gaiement. 
Or çà, qu'on s'embrasse à l'essai! 



l'I OPKRAS-GOMIQUES 



HELENE et CONSTANTIN. 

ciel! y pensez-vous? 

JOVITZA^ gaiement. 

J'y pen&e! 
(Poussant Constantin.) 
A titre de cousin, vite un baiser bien doux! 

MICHAELA, le poussant de l'autre c6lé. 
Puis un autre à titre d'époux! 

MICHAELA et JOYITZA. 
C'est le moyen de faire connaissance. 

MICHAELA, poussant Constantin. 
Allons ! 

JOVITZA, poussant Hélène. 
Allons ! 

MICHAELA, poussant Constantin. 
Plus près! 

JOVITZA, poussant Hélène. 

Plus près! 

CONSTANTIN, prenant son parti. 
Kmbras sons-la d'abord, et nous verrons après l 

Ensemble. 

HÉLÈNE, à part. 

Craintive naguère, 
Prompte à m'affliger, 
Voici que j'espère 
Et ris du danger! 
C'est lui! c'est l'image 
Qui, dans mon jeune âge, 
Était de mon cœur 
Le rêve enchanteur ! 

CONSTANTIN, à part. 

Riante chimère. 
Rêve passager. 
Qu'un destin sévère 



r 



BROSKOVA'Nà 13" 



Bient^ va changer! 
Te fuir est dommage, 
Du moins, chère image. 
Accorde à tnon cœUr 
Un jour de bonheur! 

MICHAELA. 

Tout va bien, j'espère. 
D'un trouble léger 
Ce joyeux compère 
Va la corriger! 
Déjà, je le gage, 
Elle est moins sauvage, 
£t déjà son cœur 
Le voit sans frayeur ! 

JOVITZA. 

Tout va bien» j'espère. 
D'un trouble léger 
Ce joyeux compère 
Va la corriger! 
doux mariage 
Qui de mon lignage. 
Si j'en crois mon cœur. 
Fera le bonheur!... 

SCÈNE VIII. 
Les mêmes; HASSAN, soin de Soldats. 

HASSAN, à Ml hommef. 

Qu'on s'arrête dans ce lieu ! 

JOVITZA. 

L'agaJ... 

HASSAN, de même. 

Et qu'on attende mes ordres ! 

JOVITZA. 

L'aga chez moi ? 
ScRiBK. — CEavres complètes. IV^e Série. — 18™»= Vol. — 5 



74 OPiRAS-C^OUIQUES 

y _ _ I - ■■ ■ ■■ j , ■ Il 

CONSTANTIN, à part, 

L'aga ! c'est moi qu'il cherche ! 

HASSAN. 

Salut, maître Thomas J Par la jument du Prophète, qu'il 
fait donc chaud 1 

lOVITXA.. 

.Micbaêla! ma fille! Sa Seigneurie a chaud! servez Sa 
Seigneurie ! 

HASSAN. 

Oui, très-bien! serv62*moi! (s'assaxaau) Ah! Alli! Allaf 

qu'il fait donc chaud!... (Yo^nat leajeiuMa iSÛM lui apporter une 
bouteille et an Terre.) Oh! qu'est Ceci? (a. J^tia.) Tu bois du 

vin? 

aoviTM. 

Dame ! moi je suis chrétien I 

HASSAN. 

C'est vrai! tu es chrétien, un chien de chrétien!... Tu es 
bien heureux. Est-il bon, est^il vieux, ton vin? 

JOVITZA. 

Bon comme vous, vieux comme moi. 

HASSAN. 

Drôle ! tu nous flattes I Je voudrais bien savoir si tu dis 
vrai pour lui... (n nmitM la booteme.) Mais le Prophète dé- 
fend... 

MTGHAELA, prête à yerser. 

Ah bah ! il aurait dû défendre au soleil d'être si chaud I 

HASSAN, la regardant. 

Impie ! (Gaiement.) Tu as raison ! verse-moi quelques gout- 
tes, va!... mais va donc, te dis-je! (coûtant le rin et »*adre«Niat 

à JoTitza.) Tu ne l'as pas flatté, je m'y connais I 

JOVITZA. 

m 

Hein?... 



m«0sxovA,NO 75 



BASSAX. 

Il illit si chaud !.(Tieiiint «on vfTM.) £l\COrâ. {Ah^ tmhhn,) 

Imagine-toi que depuis ce malin je fais poursuivre et je pour- 
suis moi-même, dans toutes les directions, un soldat qui a 
tué... 

lOfvrraA. 
Qui donc?... 

CONSTANTIN, à part. 

Tout va se découvrir! 

HASSAN, qui a ridé son Terre. 

Je n'en sais rieni La victime étant mofte sur le coup, tu 
conçois que, malgré toute ma sagacité, je n*ai pu en tirer 
aucune révélation 1 Du reste, elle était bien vêtue. Ce doit 
être un seigneur... 

CONSTANTIN, è p«ri. 

C'est fait de moi ! 

BASSAlN. 

Je l'ai fait conduire à la viUe avec tous les égards ^asei- 
bles, et j'ai donné la chasse à.rassassinl... 

mcaiABLA. 

Est-il jeune, est-il beau, l'assassin ? 

HASSAN. 

Ptnsque je'Paî poursuivi, toujoure poursuivi, je ne 'l*ai pas 
TU de fisice. 

CONSTANTIN, & part. 

Je respire I 

Si celui-là croit m'éeita]^er«.. C'est onme Broskovano,. 
ta sais, le cél^re Broskovano?*.. Toilà trois mois que je 
suis à sa poursuite... trois mois, entends- tu bien? 

Trois moisi Vous devez être fatigué. 



76 OI^ÉRAS-COUIQUES 



HASSAN. 
Et altéré! (Tendant son Terre.) À boirê ! 

MICHAELA, lai Tenant k boire. 

Ne serait-ce pas Broskovano qui a tué ce' seigneur? 

HASSAN. 

t 

Que j'ai fait conduire à la ville?... Tiens, voilà une idée! 
oui, ce doit être lui ! c'est lui!.,. Il n'en fait jamais d'autres! 

JOVITZA. . 

Un brigand I 

MICHAELA, montrant Constantiil. 

Un démon I qui ce matin encore vient d'arrêter ce jeune 
homme! 

JOVITZA. 

Le futur de ma fille!... 

HASSAN, le regardant.* 

G*estlà ton gendre? il «st gentil, ce garçon!... (Regardant 
•Hélène.) et ta fille est charmante!... Gomment, ce Brosko- 
vano s'est permis... Eh bien! j'en suis fort aise! 

JOVITZA. 

Pourquoi?... 

.HASSAN. 

C'est un nouveau rapport que j'aurai à transmettre au 
prince Ipsilanti, qui les paie bien... Aussi, j'en fais beau- 
coup, j'en fais toujours... je ne fais que cela... De plus... 
attends un peu... (a' ses gens.) Holà! vous autres!, (a coDstan< 

tin.) Viens ici, toi... (Constantin se met à la table.) et rédige à 

l'instant une proclamation promettant dix mille piastres à 
celui qui arrêtera ou tuera Broskovanol Bien, (a sa gens.) 
Affichez ceci- contre cet arbre, afin que tout le monde soit 
prévenu. . . 

.JOVITZA. 

Dix mille piastres! une fortune !».. 



r 



BROSKOVANO 



QASSAN* 

Impossible à gagner ! Tu dois comprendre que si Brosko- 
vano avait dû se laisser prendre par quelqu'un, c'eût été 
par moi, puisque rien ne m'échappe... 

JOVITZA. 

Parfaitement juste ! 

HASSAN. 

Mais le difficile, c'est que son habileté tourne au surna- 
turel. Je soupçonne, pour ma part, ce drôle d'être vampire ! 

TOUS. 

Vampire ! 

HASSAN. 

La chose est très-fréquente dans ce pays damné... Ce qui 
me fait croire cela, c'est qu'on a tué dix fois Broskovano et 
qu'il revient toujours ! 

CONSTANTIN. 

Le même ? 

HASSAN. 

Oui, certes I Tenez, moi qui vous parle, pour ma part je 
l'ai tué une fois. 

TOUS. 

Une fois! 

HASSAN. 

Une fois au moins! et il court encore! Vous conviendrez 
que cela n'est pas naturel... 

JOVITZA . 

Je suis malade de peur, rien qu'en écoutant vos histoires 
de vampires ! 

MICHABLA. 

Rassurez-vous, ça ne mange que les jeunes filles... 



^8 0PéllA8-€0»IQVBS 



Bien sûr? 



Bien sûr 1... 



jovrriA. 



HASSAN. 



MICBAfitA. 

Oui, c*est connu ! Vous savez la légendè-t 

HAd9A!f. 

Certainement! je sais tout... dis tocrjotirs. 

BALLADE. 
MICHAELA. 

Premier CÊUpUl, 

TVexnblez de voir 
Le spectre noir 
Qui vient sous les charmiHes 
Se promenej: lo soir l 
Quand fuit le jour, 
Il vient autour, 
Autour des jeunes fiUes, 
Et leur parle d'amour. 
En tapinois 
C'est toi qu'il guette, 
Cache, ma pauvrette, 
Ton frais minois! 
Fuis, car celle qu'il atteindra, 
Longtemps, longtemps s'ûd souviendra, 
Qui-dal 

TOUS, arec Imtci&. 
Ahl 

MIGHASLA. 

Fuis, car celle qu'il atteindra. 
Longtemps, longtemps s'en souviendra ! 

Ah! 



bhoskovàm-o 79 



IHCilABLÀ. 

Ueuxième eouplei. 

Fendant la nuit^ 
Gberchant sans bruit 
Qui ne sait se défendre. 
Bien rite il lu poursuit ! 
Gare au baiser 
Qu'il sait oser. 
Qu'ail sait oser vous prendre 
Gomme pour s'amuser i 
Ge baiser-là 
Vous rend vampire^ 
Sous son empire 
Vous voilà! 
Oui, celle qu'il embrassera, 
Longtemps, longtemps s^en souviendra, 
Oui-da! 

TWJS. 

Ah! 

MICnABLA. 

Oui, celle qu'il embrassera, 
Longtemps, longtemps s'on souviendra ! 

TOCft. 

Ah! 

HASSAN. 

Voyez-Yous ces drôles-là qui n*aiment que les jeunes 
allés!... Çà, maître Jovitza, prends bien garde à la tienne! 

lOVITZA. 

Elle se marie demain, seigneur aga; par conséquent... 

HASSAN, rianU 

C*e&t juste! 

JOVITZA, hnaiblMkeBt. 

Si môme, è ce propos, Sa Seiga«arie daignait nous 
honoper au point d'assister au repas... 



80 0PiRA6-C01Il.QlIK& 



. HA8SAN. 

Je daignerais volontiers... mais il faut que demain je me 
rende à la ville pour cette affaire. Si demain était aujour- 
d'hui, j'accepterais... Au fait... pourquoi n avances-tu pas 
ce mariage à cause de moi? 

CONSTANTIN, à part. 

Que dit-il? 

JOVITZA. 

Avancer le mariage ? 

HASSAN. 

Sans doute, si tu es bon père, tu dws craindre que d'ici 
à demain, ta fille ne soit la proie de cet affreux vampire 
qui rôde dans les environs. 

JOVITZA. 

C'est vrai! 

HASSAN. 

Eh bien! alors? 

MICHAELA. 

Sans doute... les invités sont là... le repas est prêt! 

HASSAN. 

Ah! le repas est prêt; j'ordonne qu'il soit mangé tout 
de suite! 

CONSTANTIN, & part. 

ciel ! 

JOVITZA, à Hélène, 

Et bien... ma fille?... 

HÉLÈNE. 

Je suis toute disposée à obéir... 

JOVITZA, h Michaëla, qai sort. 

Va donc donner des ordres et prévenir tout le monde ! 

CONSTANTIN. 

Permettez... un mariage aussi prompt... cela ne se peut 
pas ! 



\' 



BROSKOYANO ' 81 



Il hésite ! 



Il refuse ! 



HÉLÈNE, surprise. 



JOYITZÀ, d» même. 



HASSAN. 

Cela ne se peut pas..* pourquoi? Voyons, parlez! 

FINALE. 

CONSTANTIN, à part. 

Ici, que résoudre et que faire? 
Je ne puis ni ne dois me taire, 
Et si je parle, c'est la mort! 

TOUS. 

Balancer! Vraiment, c'est trop fort! 

JOVITZA. 

Lorsqu^on nous attend à l'église... 

HASSAN. 

Lorsque pour nous la table est mise... 

CONSTANTIN, h port, moatrant l'aga. 
Voici le danger le plus près. 
(Parlé.) 

Eh bien! soit!... 

(Reprenant l'air.) 
Marions-Aous d'abord, et nous verrons après I 

(il r« prendre la main d'Hélène.) 

SCÈNE IX. 
Les mêmes; MIGHAELâ, les Invités. 

le chceur. 

Moment charmant! 
Partons gaiment. 
Suivons la voix qui nous invite. 
Et vite, et vite! 



5. 



^t OPÀKAaHSOMiaVBS 



Pour C0A époux. 
Mêlons nos vœux et nos chants les plus doux.! 

Nous suivez-vous? 

n IMU que je dusewe. 
Je dois i€i rédiger mon rapport. 

CONSTANTIN, à part, teaaat la maia d'Hélèno. 
Pour être heureux, pai«(|^e jei tt^ai qu'une heure, 
Proûtons-en, et laissons faire au sntt.! 

Eusemhle. 
CONSTACrriN. 

Plus êa tennoenti. 

En ce momenL 
Si mon cœur bat, c'est l'amour qui l'agite. 

Profitons vite 

D'un sort bi«n doux ! 
S'il faut moQrtr, \t nurnicM Mm époux. 

En ce moment 

Doux et charmant, 
Je sens mon cœur qui tremble et qui s'agite; 

Mais s'il palpite, 

Prëfl<é*ua épmixt, 
€'eit dt bonhMir. et d'un espoir bien doux ! 

HASSAN. 

Partez gaim^nt, 
En ce moment 
A raster- le davoir m'i&viCdf 
Revenez vite, 
Au renda»*iraai. 
Je veux trinquer, je( veux boire. aveie tous! 

MICHAËLA. 

Moment charmant! etc. 



r 



BBOSKOTAKd 88 



« 



JOVIttA* 

Moment charaïkatl efe. 

LE GHOEUA. 

Moment charmant! etc. 
(Toas s'éloignent en grarissatit la montagne, derrière laquelle ils finissent 

par dîsparattfe.) 

« 

SCÈNE X. 
HASSAN, SouuTS. 

HASSAN, se disposant l écrire sur la table. 
Ils s'éloignent; fort bien, dépêchoûs-pous d'écrire. 
(a ses soldats.) 
Pendant ce temps, vous pouvez boire et rire... 
{Les soldats s'emparent des bouteilles apportées par Mîohaêla, et se met- 
tent à boire.) 

LES SOLDATS. 

Francs Itfrotis, 
Débouchons 
Cl«0 flac^nSy 

Et btfVOABl 

(S'animant peu à peu.) 

De ces chiens 

De chrétiens , 

Je soutiens 
Que la règle est hotin* ! 

Qu'on me dôUnt 

ïh Uur vin, 
Et je dis soudain 
Qu'il est divin! 

Mahomet, 

Trop discret, 

Ne permet 
Que l'eau claire et pura ! 

Mais je jure 



r 



S\ OP^RAS-GOMIQDES 



Que ses fils 
feront gris 
DaQS son paradis!... 
(Pendant ce temps, l'aga s'est assoupi; il est assis et rère.) 

HASSAN, rérant. 
Un vampire!... qu'on Tarrète!... 
(Parlé, pendant le chœur.) 

Qu'on arrête tout le monde... et qu'on m'arrête aussi... 
je. suis un vampire... un aimable vampirel... 

LE CHOEUR, A demi-Toix. 

Il a du vin dans la tête, 
Et le voici qui s'endort!... 
Buvons! mais chantons moins fort! 

(Trèsxdonx.) 
De ces chiens 
De chrétiens, etc. 

La dernière partie de ce chœur doit être en forte, Hassan s*éveille brusque- 
ment et se trouve face à fape avec Basile.) 

SCÈNE XI. 

Les mêmes; BASILE, effaré, en désordre; puis, JOYITZA, 

HÉLÈNE, MICHAELA, CONSTANTIN et tous les Invités. 

BASILE. 

M'y voici donc, et j'imagine... 

HASSAN, défiant. 
Peste! quelle mauvaise mine! 

BASILE, prêt à entrer dans la maison à gauche. 
Je vais... 

HASSAN, l'arrêtant, après aroir fait signe à ses gens de Tentourer. 

Çà, que demandes-tu? 

BASILE, un peu interdit. 
Mon oncle Jovitza, le chef de la famille, 
Dont je viens épouser la fille. ^. 



BROSKOYANO ' 85 





Toi? 




HASSAN. 






Moi! 


BASILE. 


Tu 


HASSAN, incrédule. 

Connu! connu! 
viens bien tard! 








BASILE. 

Arrêté, retenu! 




Toi? 




HASSAN. 






Moi! 


BASILE. 




Airfsi, tu 


. HASSAN. 

Connu! connu I 
venais pour la fête? 



BASILE. 

De demain... 

HASSAN. 
Connu! 

(a ses gens.) 
Qu*on l'arrête! 

BASILE, étonné. 
M'arrêter, moi! comment, encorl... 
Deux fois de suite, c'est trop fort! 

HASSAN, qui a réfléchi. 
Mais si c'était?... tout se dénoue... 

(a Basile.) 

Dis-moi, ne connaitrais-tu pas 
Broskovano? 

BASILE. 

Que trop, hélas! 



Par le saint Prophète, il avoue! 
Plus de doute, c'est lui I 

TOUS. 

C'est lui ! 
Et nous le tettons atij<mrd*faui! 

(Toim les loldatt «e Mut {««et «or Basile et le menacent.) 

Ensemble. 

BASILE. 

L'ennuyeuse histoire! 
Je ne puis y «mille, 
Et quel sort maudit 
Ici me poursuit! 

HASSAN et LE GHCBUA* 

Victoire! victoire! 
Pour nous quelle gloire l 
C'est lui, ce bandit^ 
Ce bandit nauditî..^ 

(Toos les sabres sont levés sur Basile.) 

HASSAN. 

Arrêtez ! pas de promptitude ! 
En le tuant, il reviendrait! 

TOUS) avec terreur. 
U r0vieudra,it ! 

HASSAN. 

Oui, c'est son habitude. 

(Bruit de féte< C'est la noce qui revient.) 

Partons! Mais, non!... j'entends la noce qui revient... 

BASILE. 

La noce?... c'est la mienne ! 

Qu'est-ce que je vais faire de mon vampire?... Quelle 

idée ! .(Montrant la cave de la ia»i«oa à gauche.) Qu'on l'enferme 

là-dedans... 



BilOSKOVAKO 87 



BASILE, s« débattanl^ 

C'est mon oncle ! je vous dis^ que e'ést mon onde i 

HASSAN. 

-Qu'on Tenfenne avec son ooûlel 

BAfiDUB. 

Ciel ! ma femme ! 

HASSAN. 

Avec sa femme!... Gomme ça... je pourrai diner tran- 
quille 1... 

^Le cortège eit revenu^ les danses commencent. On entraîne Basile tandis 
que Constantin parait, donnant le bras à Hélène et suivi de tons los 
•«mis qui poussent des cris de joie.) 

HASSAN et LES SOLDATS. 

Victoire! victoire! etc. , 

LE CHOEUR DES INVITÉS. 

Ea ce moment» 
Chaatonft falnunt, 
C'est le plaisir ^i Boa» iBTà(«, 
Et vite! eC vitel 
Pour ces épottx 
Mêlons nos vœux et nos chants les plus doux ! 

HÉLÈNE. 

En ce moment, etc. 

CONSTANTIN. 
Plus de tourment! etc. 

MICHAELA. 

En ce moment, etc. 

JOVITZA. 

En ce moment, etc. 



88 



OPÉRA a- COMIQUES 



HASSAN, à Joritza. 
Broskovano, le bandit redouté. 
Enfin, par moi, mon cher, est arrêté!... 

LE CHGEUa DES INVITÉS. 

En ce moment, etc. 

HASSAN et US8 SOLDATS. 
Victoire! victoire! etc. 





ACTE DEUXIÈME 



L'intérieur d'ane chambre turque.. -> Fenêtre à gauche, porte à droite, 

porte au fond* 

SCÈNE PREMIÈRE. 
HÉLÈNE, MICHAELA, Jeunes Filles. 



LE CHGEUR DES INVITÉS, derrière la srène. 

Voici la nait! 
Sous les voiles bleus de la nuit 
L'étoile d'or scintille et luit I 

Partons sans bruit! 
Déjà loin des yeux et du bruit 
La vierge timide s'enfuit! 

LE CHOBUR DES JEUNES FILLES, sur la scène. 

Heure du mystère. 
Pâle messagère, 

Qui des amours 

Charme le cours, 
Vole moins légère ! 
Compagne si chère, 
Qui vois de la terre 

S'ouvrir des cieux 

Si radieux, 
Reçois nos adieux! 

MICHAELA, aux jeunes filles. 
Jusqu'à l'heure où, pour notre compte, 



^0 OPÉRAS- GOMiaUSS 



Nous viendrons en ce doux réduit... 
Et puisse cette heure être prompte!... 
Venez! retirons-nous sans bruit! 

LE CHOEUR. 

Bonsoir! bonsoir et bonne nuit! 

(En 8*él«ignaiity le «Humir r^read la prenieir motif.) 

Heure du mystère, etc. 
(Les portes se referment sqr Michaëla et les jeunes filles.) 

SCÈNE U. 
HÉLÈNE. 

AIH. 

Non, ne me quittez pas enooEe! 
Mes sœurs, sans vous, seule, j'ai peur! 
Elles sont loin, et dans mon cœur 
Je sens un trouble que j*ignore. 

' mon ange gardien, 
Invisible soutien 
De ma vie ! 
toi dont tous les pas 
M'ont suivie, 
Ne m'abandonne pas ! 

Ange de la famille, 
Dont les regards discrets 
Ont lu tous mes secrets, 
Quand j'étais jeune fille! 

mon ange gardien, eto* 

Mais qu'entends-je au lointain, là, dans la nuit profonde. 
Et quels bruits montant tour à tour, 
Au ciel semblent porter du monde 
L'hymne de l'éternel amour ! 

Voix douce et lointaioe» 



BR««K0VANO 91 



Que des vents rhaleine 
Chasse de la plaine. 
Nuit calme et sereine, 
Tous Yos bruits oharauuOSy 
Qu'ici j'entends,. 
Ah ! toQt émeut mes sens 1 

Tout ce qui mpk% 
Se cli6foh« e4 s'attire ; 
Tout semble me dire : 
Laisse-toi charmer! 
Tout chante et soupire, 
Tout semble me dire 
Qu'il est temps d'aimer I 

Oui, déjà, soudaine merveille, 
Je sens mon âme qtri s*é veille 
£t qui s'ouvre aux feux de l'amour. 
Gomme la fleur à ceux du jour. 

Tout ce qui nsf^re» etc. 



SCÈNE III. 
HÉLÈNE, CONSTANTIN. 

Yoiiei Ilostant ée tout lui dii<e. {t^uoÊt faeiqatf pu».) Hélène, 
4iuri6fiMnNK9 peur de moi? 

Peurl non... le cœur vous bat (juand, pour la première 
fois, on est près d'un mari.* 

CONSTANTIN, entraîné. 

Un mari! Sachez tout, chacun me croit heureux, chacun 
me porte envie ; on ne sait pas te que j'éprouve d'inquié- 
lude et de chagrin ! 



9^ OPBRASr-GOMIQÛlSS 



HÉLÈNE. 

Du chagrin!... mais pourquoi? 

CONSTANTIN, aTêc trouble. 

Parce que ce matin, quand je suis arrivé, je ne pensai s- 
à rien... c'est une jeune fille qui m'a dit... 

HÉLÈNE. 

Michaëla? Oh! d*abord, il faut toujours qu'elle parle! 

CONSTANTIN. 

C'est bien cela. 

HÉLÈNE. 

Elle vous a dit que, malgré l'obéissance que je dois à 
mon père, malgré les liens de parenté qui nous unissent, 
l'idée seule du mariage me causait un effroi... 

CONSTANTIN, TÎvement. 

Vraiment? 

HÉLÈNE. 

J'avais beau me gronder et me dire que c'est mal de ne 
pas aimer son fiancé... C'était plus fort que moi!... 

I 

CONSTANTIN. 

Qu'entends-je!.,. vous n'aimiez pas votre cousin Basile? 

HÉLÈNE, timidement. 

Non... à cause de son titre... et tous les épouseurs me 
produisaient cet effet -là. Avec la même franchise, je 
vous avouerai que mes préventions se sont dissipées; j^ 
sens qu'il m'en coûtera peu pour vous estimer... pour vous... 
enfin, vous voyez que je vous dis toute la vérité, et soyez 
bien certain que je vous la dirai toujours ! 

CONSTANTIN. 

Hélène! 

HÉLÈNE. 



Eh bien, êtes-vous encore malheureux ? 



BROSKOVANO 93 



CONSTANTIN, aree désetpofr. 

Ah ! plus que jamais ! car je vous aime! dès .que je vous 
ai vue, j'ai senti que je vous aimerais toute ma vie ! 

HELENE, naïvement. 

C'est comme moi! mais alors il n'y a pas grand mal. 

CONSTANTIN. • 

Oh, si! car ce bonheur, que j'aurais payé de ma vie!... 
je ne puis, ni ne dois l'accepter... 

« 

HÉLÈNE. 

Pourquoi donc? 

c 

CONSTANTIN. 

Il y a entre nous un obstacle... 

HÉLÈNE. 

Un obstacle? 

CONSTANTIN. 

Je vous ai abusée ! 

HÉLÈNE. 

Vous!... 

CONSTANTIN. 

Non sur mon amour qui ne finira qu'avec moi, mais je 
ne suis pas ce que vous croyez!... Errant, fugitif... pros- 
crit... mes jours sont menacés !... 

HÉLÈNE, tendrement. 

Et c'est là, dites- vous, ce qui doit nous séparer?... Non... 
non... je partagerai vos dangers! 

Constantin, a^ec amour. 
Hélène ! 

JOVITZA et MIGHAELA, en dehors. 

Hélène! iha fille! 

CONSTANTIN, trèa-troublé. 

Et tenez, ce danger, le voilà qui s'approche. Je suis 
perdu!... 



94 ÔPàHAS*C01ir<|UE9 



Perdu 1^.. 

CONSTAi^Tiw, montrant la porte & droit». 

Ah! ce cabinetl... 

HÊLÈT^. 

• Oui, il y a une fenêtre... Eh bien! qu'attendez- vous? 

CONSTANTIN. 

J'attends... je... je voudrais vous remercier de îa pitié.. ► 

HELENE, arec reproche. 

De la pitié!... croyez- vous donc, monsieur, qu'il n'y ait 
que cela !... 

. CONSTANTIN, l'embrassant. 

Hélène!... 

HELENE, lui montrant le cabinet. 
Partez!... Partez vite! (voyant la porte da fond s'ouTrîr.) Ah F 
^Jovitza se précipite dans la chambre suiri de MIchaêla, an moment oih 

Constantin disparaît.) 

SCÈNE IV. 
HÊLÈaVE, JOVITZA, MICHAELA. 

. XQVIT^ trè»*tei«. 

Ma fille i je te cotrouve enfin ! ... 

MACBAELA, de mdBie. 

Tu Tas échappé, belle l.-.^ Jttais où est-fil?* 

HÉLÈNE. 

Qui donc? ' 

JOVITZA. • 

Ton mari ! 

HÉLÈNS, balbiitiaatt. 

Mon mari?... je crois qu'il est sorti... 



/ 



BROSKOTANO &5 



JOTITZA. 

Sorti!... à cette heure? 

MîCHAEUA, 

Par où a-t-il passé? 

HÉLÈNE. 

Que sais-je?.,. par la fenêtre... 

JOVITZA. 

Laisse donc!... vingt pieds de haut! et Taga est là en bas 
avec ses hommes. • 

HÉLÈNE, à part. 

Mon Dieu ! (Haut.) Mais que lui voulez-vous ? 

JOVITZA. 

Nous voulons le faire pendre. 

HÉLÈNE. 

Mon mari! 

jovrrzA 

Ton mari, par exemple!... un intrigant ! un drôle qui nous 
a tous trompés... Heureusement, le vrai Basile est retrouvé. 

HÉLÈNE. 

Basile ! 

JOVITZA. 

Imagine-toi qu'on l'avait arrêté, maltraité, mis sous clef; 
tandis que Tautre se faisait passer pour mon gendre, s'as- 
seyait à ma table, dégustait mon vin et épousait ma fille!... 

MACHAELA. 

Pauvre monsieur Basile!... et dire qu'avec tout ça on al- 
lait encore l'emmener à la ville... mais il a tant crié, il 
s'est tant démené!... 

JOVITZA. 

Qu'on a fini par me prévenir. Alors, il m'a montré ses 
papiers, d^s lettres de son père, de mon frère à moi... 



' ' ' " - *- * 



05 - OFÉBAS-GOATIQUES 



enfin des preuves de son identité; j'ai dû me précipiter dans 
ses bras... Tandis que nous étions tous deux sous rémotion 
de cette reconnaissance : Et l'autre? me suis-je écrié!... 
qu'est-ce qu'il fait là-haut? 

MIGHAELA. 

Et nous sommes accourus î 

SCÈNE V. • - 
Les mêmes ; HASSAN, BASILE, Soldats. 

HASSAN. 

Le voici! 

BASILE. 

Me voici! 

HASSAN, à Hélène. 

Basile, votre mari que je vous certifie conforme et véri- 
table! Je ne me trompe jamais ! 

HÉLÈNE, i^gordant Basile. . 

Hélas! quelle différence! 

MIGHAELA, le regardant aussi. 

Mais non, je l'aime assez... Il a une bonne figure bote. 

JOVITZA, regardant Basile. 

Le portrait de son père ! Moi, je l'ai reconnu tout de suite. 

MIGHAELA. 

. Comme l'autre. 

HASSAN. 

Moi, dès qu'il a parlé, j'ai reconnu la voix de l'innocence, 

BASILE. 

A cette heure... mais tantôt... 

HASSAN. 

. Tantôt... c'est ta faute... il fallait t'expliquer. 



r 



BROSKOVANO- 97 



BASILE. 

Le moyen, avec vous!... Sans vouloir rien entendre, vous 
m'avez arrêté sur le seuil môme de la maison paternelle de 
mon oncle; vou* m'avez fait jeter dans une cave où, pour 
comble, il n*y avait que des bouteilles vides*.. Vous parliez 
môme de me faire empaler I 

' ... 

HASSAN. 

Je te dis que c'est ta faute ! Tu viens te jeter au milieu 
de mes préoccupations..*, mon rapport... le dîner... (Basile 

lai indique dn geste qu'il avait bo.) Il faisait Si chaud!... 

' BASILE. 

Enfin, c'est à grand* peine que j'ai sauvé ma tôte!... et 
quand je dis sauvé... qu'a fait mon remplaçant? 

HASSAN.. 

Nous allons le savoir..-, mais d'abord, où est-il?... 

HÉLÈNE. 

Qui? 

HASSAN. 

L'autre. 

lACHAELA. 

Disparu ! 

'HASSAN. 

Allons donal impossible! ce n'est pas moi qu'on trompe! 
(Anx soldats.) Holà! qu'on fouille partout ! Teûez, ce cabinet... 

HÉLÈNE, se précipitant derant la porte. 

Non ! vous n'entrerez pas ! 

- HASSAN. 

Il est là! 

JOVITZA, surpris. 

Voudrais-tu protéger un pareil misérable? 

HÉLÈNE* 

Grâce! pitié! 
. IV. — XVIII. 6 



98 opteAB-eoiiniiuEs 

HASSAWy ««z soldats. 

Obéissez! 

•HÉLÈNE, d part. ^ 

11 est perdu î 

HASSAN, aux soldats qui rontrent» 

Eh bien? 

UN SOLDAT. 

Personnel et la fenêtre est ouverte. 

MIGHACILA. 

Disparu I 

«avizaA. 

C'est étrange! 

Oh! nous le rattraperons! 

BASILE. 

D'autant que je suis prêt à vous donner tous les rensei- 
gnements... 

TOUS. 

Lesquels? 

BASILE. 

Vous savez que j'étais ^n retard pour la céBémoaie de 
mon mariage... mêmement qu'un autre a eu le temps... 

TOUS. 

Oui. 

BASILE. 

J'avais été arrêté par la troupe de Broskovano... et celxd 
qui sort d'ici en était, j'en suis sûr,.» 

HÉLÈNE. 

Vous ne l'ave.? seulement pas vu. 



C'est égal. Ces bandits, qui sont curieux «o diaMe, m'a- 



\ 
I 



BA0»K0VAJN4^ 99 



Yâient interrogé sur le but de moa vaya^. « Ah ! tu vas 
te.marier? — OuL. — La fiUe est belle t — Oui.. — La dot 
! est superbe? -^ Oui.... sans cela.w » Us se sont regardés en 
i' riant. « C'est l'afifaire de notre chef, ont-ils dit ! il faut le 
I prévenir, et pendant ce temps-là, gardez ici cet imbécile... » 
I c'est de moi qu*ils parlaient. 

HASSAK. 

Naturellement!... 

BASILE. 

D*où je conchis que cehiî qui est venu ici, à ma place, 
était le chef lui-même, Broskovano. 

HASSTAN. 

Ocieï! 

JOVITZA. 

Mais toi, alors... comment te trouves-tu libre? 

BASILE. 

Je n'en sais rien j c'est-à^Cre, si... Hier, dans la soirée, 
une nouvelle que je n'ai ni entendue, ni comprise a jeté l'a- 
larme dans la compagnie. Tous ces gueux-î'à se sont parlé 
bas, d'un air inquiet,, puis il& ont jN^ifi la fuite. J'ai fait 
comme eux!... et me voilà! 

AmsL— firoskovano veautit à. ta piace^ aûn de palper la 
dot... 

BASILE. 

Oui. 

HASSAN. 

Alors, Broskovano.... c'est luil 
Oui! 

JOVITZA «t mCHABItAy à H4lôae. 

Ton maâ ! 



100 



OPERAB-COMIQUSS 



HASSAN, d'un air profoad. 

Je m'en étais douté! je vous l'ai toujours dit... (un soldat 

paraît et remet nne dépêche à Taga.) Une dépêche ? ' 

JOVITZA. 

Je frémis du danger que nous avons couru. 

HASSAN, qai a oarert la dépèche. 

Bon! il nous le paiera!... il nous le... Ohl ah! AUi! 
Alla!... 



MIGHAELA. 



Qu'est-ce encore? 



HASSAN, trèt-ef frayé. 

• ... • 

Un rapport ! non, un procès- verbal attestant que Brosko- 
vano a été tué. 



TOUS. 



Tué! 



HASSAN. 

Hier matin! Bien tué, cette fois... Douze témoins qui 
l'ont reconnu en déposent... et voilà leurs signatures! 



T0US| eotoorant l'aga. 



Eh bien?... 



HASSAN. 

Eh bien ! cet homme tué hier matin qui se marie hier 
soir ! 

JOVITZA, tremblant. 

Qui était là tout à l'heure ! 

BASILE^ de même. 

Qui s'envole par la fenêtre I 

HASSAN. 

Et qui court encore! 

MIGHAELA, aairement. 

C'est là ce qui vous étonne? • 



BROSKOVANO 101 



HASSANy JOTITZA et BASILE. 

Parbleu ! 

HIGHAELA. 

C'est cependant tout naturel... puisque hier vous disiez 
tous que c'était un vampire ! 

TOUS. 

Un vampire I 

HASSAN. 

Tu as raison, c'est un vampire!... Je l'avais dit... Je ne 
me trompe jamais!... Vite, courons à la ville faire un nou- 
veau rapport... procéder aux cérémonies d'usage, afin que 
ce cadavre endiablé n'ait plus envie de revenir!... toucher 
enfin la récompense promise. (Aax soldats.) Holà! vous 
autres! qu'on me suive!... non... qu'on m'entoure! et qu'on 
ne me quitte pas ! 

(il sort avec ses hommes.) 

SCÈNE VI. 
HÉLÈNE, MJGHAELA, BASILE, JOVÎTZA. 

QUATUOR. 

HÉLÈNE. 

Un vampire! un vampire! 
A peine je respire! 
Ah! qui l'aurait pensé? 
Un vampire! un vampire! 
Et l'amour qu'il m'inspire 
N*a pas encor cessé ! 

JOVITZA, MIGHAELA et BASILE. 

, Un vampire! un vampire! 

A peine je respire 1 
Tout mon sang s'est glacé î 
Un vampire! un vampire! 

6. 



lOâ. • OPÉRAft-CAMiaUSS 

Sous V-e&tm. qu'il ■i.'insgir» 
Mon cœur est terrassé! 

MICHAELA. 

Mais j'y songe... 

BASILB. 

J'y pense ! 

JOVITZA. 

Si ma fille aujourd'hui.... 

MICHAELA. 

Soumise, à sa puissance... 



ÉUèt pajieilk ik liû L.. 

TMTs- mm». 
^'<Mith-ils pti dire ensemble?... 

JOVITZA. 

Je frissonne!... 

MICHAELA. 

Je' tremble! 

BASILE. 
On frémit d'y songer! 

TOUS TROIS, 

Il faut l'interroger. 

HÉLÉUilHE* 

Un vampire! u& vampû^l ele. 

JOVITZA, mXMMRhk tt BiASIUI. 

Un vampire! un vampire! etc. 
(Tous m rapprochent d'Hélène et Tinterrogent rapidement et à voix 

b«ev«) 

JOVITZA, à Hélène. 
Enfin^ courage ! et coHte-nous 
Tout ce qui s'est fait entre vous ! 



'• t 



Bno ft i^a vA^c^ iOBi 



* 



Muet..* 

BASiLS.. 
Le silence du crime! 

Pâle, «iau..«. 

BlIGIiAtSIiA.. 

La pàlcnr: d«s< morUl 

HÉLÈNB. 

Il trembladii. 

L'effet du remords! 
H8UB!IB«. 

£t ses yciuu.« 

TOUJS: VAOiS. 

Cherchaient sa viotiiftei 

£t pQÛI^ 

MIGHABLA» 

Et. puis.?. 

javit2A.. 
fih.hiefL? 

HBLÉNB* 

Eh bien 1 
TOU& TAOIS. 

Qu'a-t-il fait ? 

HÉLÈNE*. 

Rien! 

HIGHÂm<A. 

KienJ 

BA8ILK. 

Rien! 



104 OPi^RAB-GOMIQUBS 

JOYITZÀ. 

Rien! 

HÉLBNE. 
TOOS. 

C'est étonnant 1 rien! rien! rien! rienl 

MICHAELA. 

Mais alors quVt-ildit? 

HÉLÈNE, baissant les yeux. 

Je n'ose! 

JOYITZA. 

Courage ! 

HÉLÈNE. 

Il m'a dit qu'il m'aimait! 

BASILE. 

Gourihand! 

JOVITZA. 

Je le crois, et pour cause! 

HÉLÈNE. 

Qu'un grand danger le menaçait. 

JOVITZA. „ 

Cynisme affreux! quoi! c'est lui-même... 

HÉLÈNE. 

Qui m'a dit qu'un danger suprême 
Devait le frapper aujourd'hui. 

MICHAELA. 

Pas lui! mais toi! 

HÉLÈNE. 

" Pas moi! mais lui! 
Que l'on était à sa poursuite. 

JOVITZA. 

C'est vrai! 



Rien! 



BR08K0VAN0 105 



MIGHAELA^ 

C'est juste! 

BASILE. 

Après? 
TOUS . 



Ensuite? 



• ^ 



HELENB. 

Et moi, partageant son ennui, 
Je tremblais 1 

MICHAELA. 

Pour toi? 
HÉLÈNE. 

Non, pour lui. 
Enfin, me voyant tout émue... 

BASILE. 

De colère^? 

HÉLÈNE. 

II m*a pris... 

TOUS. 

Grands dieux! 

HÉLÈNE. 

Un baiser... 

TOUS,- arec effroi. 
Le pacte odieux ! 

HÉLÈNE. 

Un doux baiser, et même deux ! 

TOUS. 

Quoi ! deux baisers ! elle est perdue ! 
Gela fait dresser les cheveux!...' , 

HÉLÈNE. 

Je suis perdue! 

TOUS. 

Perdue! perdue! 



106 



0PE]IAa-*COMIftl7ttS 



HÉLÈNE. 

Ah! de terreur et de tourment, 
Mon cœur s'empHt en ce moment. 
Je suis son bien, et nosl serment 
M'enchaioe à ce fatal amant! 
Pouvai*-je croire à ça, vraiment? 

JOVITZAy MiGHASLÀ, «t BJk&lLE, 

Elle est à lui, cruel moment! 
Il reviendra certainement. 
Quel parti nous reste, et comment 
La sauver d'un pareil amant? 
On en perd la tête^ Tnûment, 
Et ÔA fra3(«ur et. de tourment! 

JOVITZA, montrant Basile. 
Hélas! du moins, mooûte me reste, 
Et cela me console un peu ! 

Non, c'est déjà trop, je l'atteale. 
De rester votre neveu. 

JOVITZA. 

Quoi ! tu refuserais ma fille ? 

BASILE. 

Moi îpour étre^iâvoEéU.. Noiii 
Pour devenir vajoqàre.... Bon.! 
Cest assez d'un dans \k famille ! 

EnsemSle, 
HÉLÈNE. 

Quel refus et quel changement! 
Voilà ^onc son attachement ! 
L'autre, en un semî^abïe moment. 
Eût agi tout différemment! 
N'importe! il me rend. mon serment, 
Je bénis cet événement i 



'jKiro'Svo^siLif^ iO'7 



MIGHABLA. 

il Ift quitte et 'h,iipnàemîsu^, 
Je le ceva^pstmàS' j^ajrlaitenent.; 
QoA deviendrait*!] ? et «curaient 
Lutter contre un pareil amant ? 
Il est libre, et son changement 
Me fait plaisir, -assnfénrent I 

BASILE, 

Plus d'hymen I j'agis prudemment, 
Car c'est trop danfcremr, rmiment ! 
Pour lutter contre cet amant, 
J'sd pour moi trop d'aUacheioeiU, 
Au Ueu de mourir bravement. 
Je préfère vivre gaimentl 

jovrrzA. 

Quel affront et quel changement ! 
Voilà donc son anaeiteneitt I 

Mais d'ailleurs, malgré mon tourment, 
Je trouve qu'il fait prudemment 
De renoncer en ce moment 
A ses droits d'époux et d'amant î 

JOTITZA, è BéKne. 

Hélène! ma chère enfant!.,, (Arec tireur.) Non? nonf.,, 
(a Michaëia.) Tu es ftûu amie.., (a BmûBj) tu es son cousin... 
jÊfiteiavee elle, tandis ifue mai, sû^ père^ je me eatme..^ 
pour daiaaiider du aec&ar&! 

SCÈNE VU. 
MICHAELA^ HÉLÈNE, JBASILE, 

HÉLÈNE, T07V1IC BaiîTtf et fficfae^a toat effrayés. 

Vous avez peur de moi ? W 

Ihnnel <m n'est pas liabiMe à se trouver comme ça,.,, 
tout d'un coup,.. l'aHiie intime d'un vampire f 



108 OPBRXB*GO]fIOUBS 



BASILE, tremblant. 

Oh ! moi, je suis bien rassuré. Vous ne voudriez pas me 
faire de mal, n'est-ce pas, ma cousine t à moi surtout qui 
suis de la famille !... d'ailleurs, je vous préviens que je ne 



suis pas tendre ! 

MICHÂELA. 

Et l'autre ?... le démon !... s'il allait revenir !... (Apercerant 

Constantin qui a ouvert la porte à droite*) Ah I 

BASILE, de même. 

Ahl 

(Tons deux se saurent tandis que Constantin descend en scène.) 

SCÈNE VIII. 
HÉLÈNE, CONSTANTIN. 

CONSTANTIN, étonné. 

Qu*ont-ils donc î 

HELENE, avec terreur. 

A^ous ! c'est vous ! 

CONSTANTIN, tendrement. 

Gomment vous obéir? toutes les issues gardées rendent 
ma fuite impossible I... et d'ailleurs, pouvais-je m'éloigner 
sans vous avoit* revue?... 

HÉL&NE,' areft douleur. 

Ah ! vous auriez mieux fait de ne pas revenir !... allez, 
je vous connais!... et je sais qui vous étesl..^ 

CONSTANTIN, surpris. 

On vous ai#it?... 

. HÉLÈNE. 

Tout!... et ce n'est pas seulement de l'horreur que je 
ressens pour vous... c'est du mépris ! 



BROBKOVANO i09 



CONSTANTIN, ayec douleur. 

De l'horreur! du mépris!... Hélène, est-ce bien possible? 
lorsque vous m'aviez dit... qu'un autre sentiment... 

HÉLÈNE. 

Vous osez me rappeler que j'ai eu la faiblesse de vous 
avouer un instant une affection dont je rougis !... mais je 
suis bien guérie. Oui, j'aurai le courage de chasser de mon 
cœur celui qui n'en est pas digne, et Broskovano, si redouta- 
ble qu'il soit, ne l'est plus pour moi! 

CONSTANTIN. 

Broskovano, dites-vous?... vous croyez que je suis... 

HÉLÈNE. 

Un maudit ! et bien plus ; un démon, un vampire I 

CONSTANTIN, souriant. 

I 

Hélène !... 

DUO. 

% CONSTANTIN, tondrement. 

Regarde-moi I 
Dans mes yeux tes yeux peuvent lire... 
Tu n'y verras que le délire 
Et Tamour que je sens pour toi! 

Regarde-moi I 

HÉLÈNE. 

Je le regarde, et malgré moi 
Je sens déjà fuir mon effroi. 

CONSTANTIN. 

Regarde-moi ! 
Plonge ton âme dans mon âme; 
Tu verras si je suis infâme 
Ou bien encor digne de toi ! 

Regarde-moi ! 

HÉLÈNE. 

Je te regarde, et malgré moi 
Je l'écoute et je crois en toi ! 

Scribe. — GEavres complètes. IVme isérie. — i8™e Vol. — 7 






t 

110 OPÉRAS-COMIQUES 



CONSTANTIN. 

Maintenant, d'un forfait, dis, me crois-tu capable ? 

HÉLÈNE. 

Non ! non ! l'on ne ment pas avec un air si doux ! 

CONSTANTIN. 

Pourtant, si d'un malheur mon bras était coupable ? 

HÉLÈNB, avec force. 

Va, tu serais encor mon maitre, mon époux ! 

CONSTANTIN. 

Hélène, laisse-moi tomber à tes genoux I 

Ensemble. 
HÉLÈNE. 

Voix douce et suprême 
Qui me dis: Je t'aime! 
Tu changes mon sort. 
L'amour est encor 

Le plus fort ! • 

Ivresse trop rare, 
Où mon cœur s'égare, 
A nous l'avenir ! 
Dieu va nous unir, 

Nous bénir I 

CONSTANTIN, aree douceur. 
Je t'aime ! je t'aime ! 
mon bien suprême! 
Ne crains rien du sort. 
L'amour est plus fort 

Que la mort !... 
Tous ceux que sépare 
Le destin barbare, 
Dieu, dans l'avenir. 
Sait les réunir, 
Los bénir ! 

Tais-toi ! je finirais par regretter la vie ! 



BROSKOVANO 111 



HELENE. 

Que dis-tu?... comment!... ce danger?... 

CONSTANTIN. 

E}dste encore, et ma trace est suivie ! 

HÉLÈNE. 

Jô reste pour le partager ! 

CONSTANTIN. 

Quels droits ai-je sur toi, sur ta pure jeunesse ? 

HÉLÈNE. 

Ceux que te donne mon amour! 

CONSTANTIN. 

Je t'en relève et te rends ta promesse. 

HÉLÈNE. 

Moi ! je refuse et te dis k mon tour : 

< 

Je t'aime ! je t'aime ! etc. 

CONSTANTIN) avec enthousiasme. 
Je t'aime 1 je t'aime! etc. 
(a la fin dn duo, Hélène et Constantin sont dans les bras l'an de 

l'autre.) 

SCÈNE IX. 
HÉLÈNE, CONSTANTIN, JOVITZA. 

JOVITZA. 

Dans les bras Fim de l'autre I 

HÉLÈNE, avec force* 

Ëcoutez-moi, mon père ! tout ce que vous m'avez dit ne 

saurait être vrai. 

JovrrzA. 

Parbleu ! je le sais bien. 

HÉLÈNE. 

Ce n'est pas un bandit I ce n'est pas un vampire 1 



112 OPÉRAS-GOMIQUBS 

JOVITZA. 

Je le sais ! je le sais ! 

CONSTANTIN. 

Je suis un brave soldat ! Constantin Véliko. 

JOVITZA. 

Je le sais ! vous êtes un brave soldat ; la preuve, c'est 
que vous allez être fusillé ! 

HELENE. 

Fusillé ! 

JOVITZA. 

On dit comme ça partout que vous avez tué un grand 
seigneur. 

HÉLÈNE. 

Qu'entends^je?... 

CONSTANTIN. 

La vérité I oui... voilà le secret que je voulais vous taire! 

HÉLÈNE. 

Un crime ! 

CONSTANTIN. 

Non ! un malheur. Hier, sur la grande route arrivait à 
ma rencontre un beau cavalier qui, à ses armes et à ses 
riches habits, paraissait en effet un grand seigneur. « Je suis 
pressé, me cria-t-il; ton cheval est frais, le mien tombe de 
fatigue. Changeons I » j'ai refusé; il a tiré son sabre, moi le 
mien... et voilà !... 

JOVITZA. 

la, ta, la i... 

CONSTANTIN, à Jovitza. 

Quant à m'ôtre fait passer pour votre gendre... 



BROSKOVANO 113 



SCENE X. 
Les mêmes; BASILE, MICHAËLA. 

MIGHÂELA, toat en plears. 

C'est ma faute!... oui, je Tai pris pour vous, (s'adressani à 
Basile.) Pour VOUS, que je ne connaissais pas, car sans cela... 

BASILE. 

Je le crois bien!... il n*en est pas moins vrai qu'il m'a 
volé ma femme!... 

MICRAELA. 

Oh! tout ça va finir!... Faga revient ici chargé des ordres 
du prince qui ne plaisante pas sur la discipline. La cour est 
toute remplie d'officiers, de soldats... c'est mauvais signe... 
Et tenez... 

FINALE, 

MICHAËLA. 

Écoutez leur marche guerrière!... 

JOVITZA et BASILE. 

On va décider de son sort! 

CONSTANTIN. 

Voici donc mon heure dernière ! 

HÉLÈNE, se jetant sar loi. 

Unis toujours I même en la mort ! 

Ensemble, 

CONSTANTIN, avec joie. 

suprême délice, 
Qui fait de mon%upplice 
Un instant de bonheur! 
Je la tiens sur mon cœuri 

MICHAËLA. 

Dieu clément! Dieu propice! 
Sauve-le d'un supplice 



1 



114 0PBRA8-G0MIQUK8 



Dont la seule rigueur 
Me glace de terreur I 

HÉLÈNE. 

Avant que ton supplice 
A mes yeux s'accomplisse. 
Laisse -moi sur ton cœur 
Expirer de douleur! 

BASILE. 

Il faut, et c'est justice, 
Que Tarrét s'accomplisse. 
Tant pis pour l'imposteur 
Qui causa ce malheur ! 

JOVITZA. 

Ma fille est sa complice ! 
Mais par quel maléfice 
Ce drôle, ce trompeur, 
A-t-il séduit son cœur ? 

(a la fia de l'ensemble entre le cortège.) 

JOVITZA. 



Voici Taga I 



SCENE XI. 



Les mêmes ; HASSAN, qai parait précédé D'OfFICIBRS et de MA- 
GISTRATS qai se rangent sur deux lignes. SoLDATS au fond. L'aga 

■ 

s'approche de Constantin. 

BASILE. 

On va lui bander les yeux ! 

HASSAN, d^ne Toix hante. | 

Par Tordre du prince ! par Tordre du pacha ! 

(fin disant ces mots, il s'incline et remet une bourse à Constantin. ) 

CONSTANTIN, surpris. 

Cette bourse!... 



r >-if 



BROSKOVANO 115 



HASSAN. 

Dix mille piastres ! 

BASILE. 

Voilà un supplice qui commence drôlement I 

CONSTANTIN. 

A moi? 

HASSAN. 

Oui; c'est justice! 

CONSTANTIN. 

Qu'ai-je donc fait? 

TOUS. 

QuVt-Ufait? 

HASSAN. 

Vous voulez le savoir?... Cet homme, ce personnage bien 
vêtu qu'il a tué hier matin... et que j'ai transporté moi-même 
à la ville... 

TOUS. 

C*était... 

HASSAN. 

Broskovano! 

TOUS. 

Broskovano I 

HASSAN, areo satisfaction. 

Je m'en étais toujours douté. 

(Le chœnr se rapproche, on entoure, on félicite Constantin.) 

LE CHOEUR. 

Honneur à son courage I 

Il nous délivre d'un bandit 

Maudit! 

Qu'il reste en ce village. 

Que rien n'y trouble de ses jours 

Le cours! 



.3>C0tl[aUB3 



CONSTANTIN. 

Merci, mon éio[le gcniille ; 
C'est i toi que je dois tout. 
Uui-da i 
JOVITZA, l Conilanti 



BASILE. 

j'enrage 1 
Bien 90l me voilà I 

HECHAELA, 4 Bulle. 
Courage ! 
Ne auis-jo pas là. ? 

LE CHOEUR. 
Honneur à son courage I 
Il nous délivre d'un bandit 
Hun dit 1 
En un doux mariage, 
Puisse-l-il couler d'heureux jours 
Toujours! 
(Od poniM dsi citi de joie, lee uldati priienleni 
■cclime BélèQ» et Goisleiiliii.) 



LES TROIS NICOLAS 



OPERA - COMIQUE EN TROIS ACTES 

En société avec MM, Bernard Lopez et de Lurieu 

MUSIQUE DE L. CLAPiSSON. 



Théâtre ub l'Opéra-Gomiqub. — 10 Décembre 1858. 



7. 



'^ 



PERSONNAGES. AGTEU RS- 



MARQUIS DE VILLEPREUX, chargé par 

intérim de la surintendance des menus plaisirs du 

roi T&yi, Prillbdx. 

LE VICOMTE D'ANGLARS, neveu du marquis. Coddbbc. 

DALAYRAC i gardes du «orps de M. le rMoifTAueRT. 

LACHABEAUSSIÉRE. (comte d*Artois (Bbckbrs. 

TRIAL, artiste de la Comédie-Italiepne Bbhthblier. 

UN BRIGADIER des gardes du corps Ddtbrroy. 

JOLIVARD, secrétaire du lieutenant civil •••• Lbmaibb» 

HÉLÈNE DE YILLBPREUX. jeune chanoinesse, 
nièce du marquis de Yillepreux Mmes Lbfbbtrb. 

ROSETTE, femme de chambre d'Hélène de Ville- 
preux •...•••••••• Lemircibb. 

Gaboes du Corps. — Sbigneors et Dames de la coor. —Bour- 
geois et Bourgeoises. — BIarchards et Harchahdbs. — Sol- 
dats nu Guet. — Exempts or Police. — Un Maître a danser. 
— Dabsbcses. 

A Paris en 1787. 



LES TROIS NICOLAS 



ACTE PREMIEK 



partis (la It piDiiianada da Longobampi, 1 l'ailrimité in bou d« 
B«lil«giia' ^ A draits (tfl ipaclalaur, rAbbaj'a da Lajigchainps* 



SCENE PREMIERE. 

Phoiienbuhs, HotuiBS «1 Psuyes, Bovbgeois, GEANnu Sei- 
gneurs, Gens du peuple, Soldats, Uabchands «t Mar- 
chandes. 



aida..) 
TiTRODUCTION. 

C'est Longchamps I c'est LoDgcbamps I 
C'est la fêle mondaiDe 
Que la sainte semaine 
Tous les ans nous ramène 
Au retour du printemps. 



'-%.-- 



i20 OPÉRAS-GOMIQUËS 

LES MARCHANDS et LES MARCHANDES. 

Images saintes, 

Noires ou peintes, 
Venez, venez choisir I 

— DarioUettes. 

Croquets, gimblcttes, 
Voilà, voilà 1' plaisir! 

— Ballons, polichinelles. 
Mirlitons et crécelles 

Pour les enfants ! 

— Saint-Jean, Saint-Paul, Saint-Jacques, 
Voici des oeufs de Pâques, 

Routes et blancs! 

LE CHOEUR. 

C'est Longchamps! c'est Longchamps! etc. 



SCENE II. 

Les MEMES ; Incroyables et Merveilleuses^ nouveaux Pro- 
meneurs qui les suivent, puis TRIAL! 

UNE PARTIE DU CHOEUR, riant. 

Quelles caricatures ! 
Voyez donc ces coiffures, 
Tout le monde en rira ! 
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! 

l'autre partie du choeur, applaudissant. 

Adorables tournures 
Et superbes coiffures, 
Chacup applaudira ! 
Bravo ! bravo ! brava ! 
(Tous les regards se tournent du côté de Trial, qui parait ea costu-n . 
élégant, exagération de la mode du jour.) 

LE CHOEUR. 
Voyez, voyez encor 
Ee plus fort en plus fort! 



LES TROIS NICOLAS 121 



UNE PARTIE DU CHOEUR, riant. 
Quelle caricature I 
La grotesque figure, 
Tout Paris en rira ! 
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! 

l'autre partie du choeur, applaudissant. 

Adorable tournure ! 
L'élégante coiffure ! 
Chacun applaudira. 
Bravo ! bravo ! brava I 

trial. 
Quelle gloire est la mienne! 
L'un dit : c'est bien ! l'autre, c'est mal ! 
Mon succès est pyramidal. 

PLUSIEURS VOIX. 

Mais c'est Trial ! 

TOUS. 

Trial! Trial! 

TRIAL. 

J'ai cet honneur, je suis Trial! 

TOUS. 

Bravo! Trial! 

TRIAL. 

Le chanteur jovial 
De la Comédie-Italienne. 
Écoutez un pont-neuf 
Tout neuf, 
Qu'un* nourrisson du Parnasse 

A fait 
Sur Longchamps de l'an de grâce 
Mil sept cent quatre-vingt-sept. 
Faites chorus, si l'air vous plaît : 
Premier couplet ! 

PONT-NEUF. 

Premier couplet. 

Admirez ce bel équipage 



iâ2 OPÉRAS-GOMiaUES 

Où Jeanneton semble oublier 
Qu'hier encor, dans son village, 
Elle portait le tablier, 
La cornette et le tablier. 

Place ! place 1 
Manants, 
Croquants, 
Que je passe! 
Dieu ! quel fracas ! 
Faites vos embarras, 
La belle au cœur si tendre, 
Mais les grelots 
De vos 
Chevaux 
Si beaux 
N'empêchent pas d'entendre 
Le bruit de vos sabots. 

LE CHOEUR. 

Mais les grelots, etc. 

TRIAL. 

Deuxième couplet, 

La Jeanneton fait sa duchesse! 
Voyez ces marquis céladons 
Baiser, pleins d'orgueil et d'ivresse, 
La main qui garda les dindons 
Et les canards et les dindons. 

Place ! place ! etc. 

LE CHOEUR. 

Mais les grelots, etc. • 

CHOEUR GENERAL. 

C'est Longchamps! c'est Longchamps! etc. 

(pendant la dernière partie du chœur, le TÎcomte d'Anglars a paru ; il fait 
quelques emplettes aux marchands qui l'entourent et va s'asseoir sur 
une chaise à gauche. Trial sort, et les promeneurs et les marchands 
disparaissent peu à peu.) 



LES TROIS NICOLAS 123 



SCENE m. 

LE MARQUIS, LE VICOMTE. 

LE MARQUIS, entrant et apercevant le vicomte avec étonnement. 

Mon neveu!... Ma surprise est grande! je te croyais à 
Poitiers, et te voilà à Longchamps I 

(il se place sur une chaise en face du vicomte. ) 
LE VICOMTE. 

Oui, mon oncle. 

LE MARQUIS. 

Ton procès est gagné?... 

LE VICOMTE. 

Je n'en sais rien... c*est demain... après-demain qu'on 
le juge ! 

LE MARQUIS. , 

Et tu n'es pas resté? 

7 ^ VICOMTE. 

Impossible... il y avait aujourd'hui à Tabbaye de Long- 
champs un concert spirituel. 

LE MARQUIS. 

Ah ! voilà un trait de mélomanie qui ne m'étonne pas de 
ta part. 

LE VICOMTE. 

Un concert spirituel, qu'on n'a qu'une seule fois dans 
l'année, tandis que des procès on en a toujours plus qu'on 
n'en veut. Arrivé hier soir, j'avais à peine le temps de 
m*habiller pour aller à la Comédie-Italienne, où je suis 
resté jusqu'à minuit ; voilà comment je n'ai pu aller vous 
annoncer mon retour à vous et à ma cousine. 

LE MARQUIS. 

Une jolie manière de faire ta cour!... Tu ne te marieras 
jamais... 



124 OPÉRAS-COMIQUES 



LE VICOMTE. 

Laissez donc! 

LE MAICQUIS. 

L'année dernière encore, un mariage superbe auquel lu 
as renoncé la veille du contrat. 

LE VICOMTE. 

Oui!... 





LE 


MARQUIS. 


Une femme de haute 


naissance... 




LE VICOMTE. 


Oui!... 








LE 


MARQUIS*. 


D'une fortune immense. 






LE 


VICOMTE. 


Oui!... 








LE 


MARQUIS. 


Et pourquoi? 


• 





LE VICOMTE. 

Elle chantait faux! pas d'union! pas d'harmonie pos- 
sible... avec une femme pareille!... Et puis je pensais à ma 
cousine... Quelle différence! une voix délicieuse... aussi je 
l'aime!... aussi je l'adore!... 

LE MARQUIS. 

C'est-à-dire... tu adores la musique et tu aimes ta cou- 
sine... voilà la vérité! Mais arrangez-vous tous les deux... 
il faut que ce mariage ait lieu. Je ne peux pas garder plus 
longtemps avec moi une nièce de vingt ans. 

LE VICOMTE. 

Une chanoinesse de Remiremont, c'est comme une femme 
mariée. 

LE MARQUIS. 

Pas tout à fait... Elle a pu jusqu'à présent tenir ma mai-*^ 






LES TROIS NICOLAS 125 

son... je ne dis pas, mais dans ma nouvelle position... cela 
devient impossible. 

LE VICOMTE. 

Vous êtes donc nommé? 

LE MARQUIS. 

C'est tout comme!... 

LE VICOMTE. 

Vous, mon oncle, surintendant des menus plaisirs du 
roi!... 

LE MARQUIS. 

Sa Majesté m'a formellement promis la survivance de 
M. Papillon de la Ferté... un excellent homme... très re- 
grettable sans doute. J'envoie tous les jours savoir de ses 
nouvelles ; (Gaiement.) il va mal, il va très-mal. Déjà j'exerce 
par intérim... ce qui est terrible 1 Une fois nommé, cela va 
toujours bien... mais quand on ne l'est pas encore... il faut 
faire ses preuves... et si on ne réussit pas... 

LE VICOMTE. 

Je comprends ! Une singulière idée que vous avez eue do 
demander cette place-là... 

LE MARQUIS. 

Il n'y en avait pas d'autre ! 

LE VICOMTE. 

Vous qui ne pouviez souffrir la musique. 

LE MARQUIS, etfrajé. 

Silence!... 

LE VICOMTE. 

Vous la détestiez... 

LE MARQUIS. 

Chutl... je l'aime maintenant... Sa Majestéme paie pour 
l'aimer... Mais ce n'est pas encore, comme chez toi, une 
passion, une maladie. 



^ 



t26 OPÉRAS-COMIQUES 



LE VICOMTE. 

Dites plutôt un bonheur, un charme, une ivresse... La 
musique a sur moi un pouvoir inexprimable. Suis-je triste, 
elle me rend joyeux... suis-je colère, elle me calme... suis- 
je malade, elle me guérit... 

LE MARQUIS. 
Et moi... (Regardant autour de lui et A Toix basse.) nôUS SOmmeS 

seuls... prise à forte dose, elle me pousserait au suicide. 

LE VICOMTE, se récriant. 

Quel blasphème musical ! 

AIR. 

Vive la musique! 
Vive la musique, 
Ce talent magique, 
Cet art merveilleux, 
Musique divine 
Qui, tendre ou lutine. 
Séduit et domine 
L'enfer et les cieuxl 

Écoutez cette ritournelle! 
Cest le Cid prés de sa belle 
Qui soupire en ut bémol 
Sous le balcon espagnol. 

Entendez- vous? c'est le canon qui tonne. 
C'est le clairon de guerre qui résonne ; 

Le soldat s*élance gaiment 

Et court à la mort en chantant I 

Vive la musique! etc. 

Orphée ose à Tenfer redemander sa femme ; 
Pluton, pour le punir, à Tinstant la lui rend. 
Il chante!... et^ désarmé par sa brillante gamme. 
Pour le récompenser, Plu ton la lui reprend ! 

Vive la musique ! etc. 



LES TROIS IdCOLAS 121 

LE MARQUIS. 

Eh bien! dès que tu seras marié, tu ne me quitteras plus; 
tu seras musicien pour nous deux, je t'établis à l'hôtel des 
Menus-Plaisirs, au milieu des artistes du chant et de la 
danse. 

LE VICOMTE. 

Ça me va ! je swai chez moi ! 

LE MARQUIS. 

Tu as de Timagination I 

LE VICOMTE. 

Je vous inventerai des effets, des surprises ; c'est mon 
fortr 

LE MARQUIS. 

En attendant, voilà une idée ingénieuse que j'ai eue à 
moi tout seul ! 

LB VICOMTE, avec défiance* 

Voyons, mon oncle. 

LE MARQUIS. 

Averti officiellement que madame la comtesse d'Artois 
devait, aujourd'hui Jeudi-Saint, venir entendre les ténèbres 
à l'abbaye de Longchamps, j'ai renversé l'usage établi : au 
lieu des artistes des théâtres lyriques, j'ai enrôlé dans les 
chœurs toutes les dames de la cour. Que dis-tu de cela? 

LE VICOMTE. ' 

Musique d'amateur... jolies voix... pas d'ensemble... ce 
sera mauvais ! 

LE MARQUIS. 

Ah diable ! je ne ferai plus rien sans te consulter, d'autant 
que j'ai un bien autre embarras pour le voyage de la cour à 
Fontainebleau, qui doit avoir lieu d'un jour à l'autre... il faut 
un opéra nouveau ! 

LE VICOMTE. 

Mais vous avez Azémiay ou les Sauvages ^ musique d'un 



128 OPÉRAS-COMIQUES 

jeune militaire, d'un garde du corps : Dalayrac, enfin! je ne 
vois pas d'obstacle... 

LE MARQUIS. 

Si vraiment. Le compositeur, qui avait jusqu'ici travaillé 
avec ardeur, s'est tout à coup arrêté ; son poète, son ami, 
M. de Lachabeaussière, un garde du corps, comme lui, ne 
peut plus rien en obtenir. Que faire?... moi, je ne connais 
pas ce M. Dalayrac ! 

LE VICOMTE. 

Je le connais, moi : c^est mon ami intime, à la vie, à 
la mort ! 

LE MA.RQUIS. 

Quel bonheur!... mais depuis quand le connais-tu donc 

LE VICOMTE. 

Depuis hier soir ! je vous ai dit qu'en arrivant j'avais été à 
la Comédie-Italienne; on donnait un opéra de lui. J'étais là, 
aux premières loges, à applaudir, à crier bravo!.,, et, dans 
l'entr'acte, je m'étais assis au foyer, exprimant mon enthou- 
siasme, que partageaient mes voisins, excepté un seul : im 
jeune homme triste et sombre. Je le lui aurais pardonné; 
mais, pendant que je parlais, je voyais errer sur ses lèvres 
un sourire dont l'expression me déplaisait. « Oui, monsieur, 
m'écriai-je tout haut en m'adressaijt à lui, c'est le premier 
musicien français, vous ne pouvez le nier! — Monsieur, 
me répondit-il avec le même sourire qui m'agaçait, voilà ce 
que je n'avouerai jamais! — Si, monsieur! — Non, mon- 
sieur. — Voici mon nom : le vicomte d'Anglars!... le vôtre? 
— Dalayrac... » 

LE MARQUIS. 

Ah!... 

LE VICOMTE. 

C'était lui, et j'étais dans ses bras, qu'il m'avait tendus. 
Je ne le connais que d'hier, et il me semble que je suis son 



LES TROIS NICOLAS 129 

ami depuis vingt ans!... Vous voyez, mon oncle, que j'au- 
rai de lui tous les opéras que vous voudrez I 

LE MARQUIS. 

Bravo ! tout marche à merveille ! Récapitulons : le départ 
pour Fontainebleau a lieu le 1*"^ mai... Dalayrac termine 
son opéra... quelques coups de pinceau, les décors sont 
achevés... les costumes sont, peu compliqués, des sauva- 
ges!... un poème charmant... une musique... enfin, il en 
faut, on aime ça : des goûts et des couleurs... (Le yicomte, 

qui vient de regarder rer» la gaache, s'élance et dlaparalt ; le marquis, 
M retournant et ne voyant plus le yicomte.) Ëhbicn! il me laisse... 

il ne m'écoute pas ! Où va-t-il donc ? AuraiUl aperçu quel- 
que musicien ambulant? (Remontant vers la gauche.) Oh! mou 
Dieul des chevaux qui s'emportaient dans la contre-allée... 
et qu'il vient d'arrêter au risque de se tuer 1 Quel écer- 
velé ! Enfin , le mariage le changera peut-être. Ah ! que 
vois-je?... ma nièce!.,. 

SCÈNE IV. 
LE MARQUIS, LE VICOMTE, HÉLÈNE, ROSETTE. 

LE VICOMTE. 

Rassurez-vous, mon oncle, ce n'est rien. 

HÉLÈNE. 

Si vraiment, mon cousin! (Au marquis.) Je venais, comme 
nous en étions convenus, à l'abbaye de Longchamps, pour 
ce concert, lorsque mes chevaux... 

LE VICOMTE. 

Ils sont comme vous, mon oncle, ils n'aiment pas la 
musique. 

HÉLÈNE. 

J'étais fort émue, j'en conviens, et quant à Rosette.,. 






130 OPÉRA 8-G0MIQUK8 



ROSETTE. 

Moi, madame, j*ai cru que c'était mon dernier jour! 

HÉLÈNE, & Roselte. 

Porte à Tabbaye mes cahiers de musique. 

I.OSETTE, au marquis. 

Ohl monsieur, un accident épouvantable!... 

(sue sçrt.) 
LB VICOMTE. 

Dont elle était cause : ses cris seuls avaient effrayé les 
chevaux, qui se sont arrêtés net au moment où je me suis 
élancé à leur tête. 

HÉLÈNE. 

Mais jugez de mon étonnement en voyant apparaître tout 
à coup mon cousin, que je croyais encore à Poitiers î 

LE VICOMTE. 

Superbe ! coup de théâtre 1 G*est ce que j'aime ! Et voilà 
comment ma jolie fiancée... 

LE MARQUIS. 

Ta fiancée?... dis ta femme! 

HÉLÈNE. 

Mon oncle!... 

LE MARQUIS. 

Après un trait comme celui-là, ma nièce ne peut plus 
hésiter!... depuis trop longtemps déjà ce mariage est dif- 
féré... 

LE VICOMTE. 

Permettez; comme chanoinesse de Remiremont, il fallait 
à ma cousine des dispenses. 

LE MARQUIS. 

Nous les avons obtenues ; Tabbesse de Remiremont, no- 
tre parente, me les a envoyées, ainsi que ses pleins pou- 
voirs : je la représente, et j'exige aujourd'hui... 



I 

^ 






LES TROIS NICOLAS lâl 

HELENE, au marquis* 

Calmez-vous, monsieur! (au Tîcomte.) Et vous, pardon, mon 
cousin, de toutes mes hésitations... c'est chose sérieuse que 
le mariage ! Mais , comme le dit mon oncle, après votre dé- 
vouement d'aujourd'hui, ce serait de l'ingratitude. 

LE VICOMTE. 

Eh bien! ma cousine? 

HÉLÈNE. 

Ma parole est à vous; une fois donnée, je ne la reprends 
jamais ! 

LE VICOMTE. 

Ah 1 je suis trop heureux ! 

LE MARQUIS. 

Enfin, je vous unis, et je fixe le mariage à dix jours pour 
tout délai. 

LE VICOMTE. 

C'est convenu... dans dix jours... une fôte superbe! 

LE MARQUIS. 

Un bal! 

LE VICOMTE. 

Une messe en musique, un grand concert, l'hôtel des 
Menus-Plaisirs illuminé a giorno, les tapis de Smyrne, les 
vases du Japon, des fleurs, partout des fieurs ! je me charge 
de la mise en scène ! 

LE MARQUIS, à part. 

Je crois. Dieu me pardonne ! qu'il se marierait rien que 
pour cela. (Haut.) Ah! ma nièce, j'oubliais... Il y aura, après 
ténèbres, une quête pour les pauvres orphelines, une quête 
au dedans et au dehors de Téglise : tu es du nombre des 
dames quêteuses. 



HÉLÈNE. 



Moi? 



132 OPéRAS-GOMIQUBB 



LE MARQUIS. 

Je t'ai désignée... c'est dans le programme. Ton cousin 
te donnera la main... ton futur, ton fiancé, c'est con- 
venable. 



SCENE V. 
Les mêmes; ROSETTE. 

ROSETTE. 

Pardon, monsieur le marquis, mais on n'attend plus que 
vous pour placer ces dames des chœurs. 

LE MARQUIS. 

Elles se placeront comme elles voudront. 

LE VICOMTE. 

Mon oncle, pouvez- vous parler ainsi ! ces détails sont de 
la plus haute importance. 

LE MARQUIS. 

Tu crois?... 

LE VICOMTE. 

Les soprani... avec les soprani, les contralti... 

LE MARQUIS. 

Avec les contralto!... 

LE VICOMTE, en sortant. 

Ti... 

LE MARQUIS, de même. 

Va pour ti... puisque cela te fait plaisir. A bientôt, ma 
nièce. 



LES TROIS NICOLAS 133 

SCÈNE VI. 
HÉLÈNE, ROSETTE, pais TRIAL. 

HÉLÈNE. 

Eh bien! Rosette, me voilà engagée. 

ROSETTE. 

A tout jamais! 

HÉLÈNE. 

A tout jamais ! Je me marie dans dix jours. 

ROSETTE. 

£h bien, tant mieux ! Je me suis demandé bien des fois 
comment il se faisait qu'une demoiselle jeune, belle et riche, 
comme vous l'êtes, refusait toujours de se marier. Ce n'est 
pas moi qui me ferais chanoinesse ! Certainement, je vénère 
sainte Catherine ; je veux la prier toujours, mais la coiffer^ 
jamais! 

HÉLÈNE. 

Que veux-tu? Jeune fille, on se fait des idées de roman, 
on se crée des illusions... on garde son cœur pour quel- 
qu'un que l'on espère et qui ne viendra jamais. Puis, le rêve 
s'efface, la raison vient, et l'on* se marie, comme je le fais 
aujourd'hui, à un galant homme qui m'aime et qui me rendra 
heureuse. 

COUPLETS, 
Premier couplet. 

Je l'ai promis! Oui, je serai sa femme; 
Sans hésiter, ce serment, je l'ai fait. 
Mais cependant, dans le fond de mon âme. 
Pourquoi, pourquoi reste-t-il un regret? 

Non! non! parlons dentelles, 
Rubans, 
Galants, 

IV. — xviii . « 



i84 OPÉRAS-COMIQUES 

Modes nouvelles, 
Et le bonheur viendra 
Quand il voudra, 
Quand il pourra! 

Deuxième couplet. 

De mon destin malgré moi je murmure. 
Dans cet hymen rien ne manque à mes vœux; 
Sur mon bonheur lorsque tout me rassure. 
Pourquoi des pleurs tombent-ils de mes yeux? 

Non ! non ! parlons dentelles, etc. 

TRIAL, entrant YiTement comme poursaivi. 

Qu'ont-ils donc à m'admirer?c est fatigant!... Décidé- 
ment, je suis trop beau!... (Lorgnant Rosette.) Oh! la gentille 
soubrette ! 

/ 

HÉLÈNE, à Rosette. 

Vois si ce nœud de ruban est bien attaché... 

TRIAL, pendant que Rosette s'occupe de la toilette d'Hélène. 

Diable! près de la soubrette... une jolie dame, mieux que 
cela, une grande dame... C'est étonnant, je ne Tai pas 
encore aperçue aux prepiières loges, à mes jours de repré- 
sentations. J'ai la vue si basse! Elle me regarde... déve- 
loppons tous nos avantages... 

(U se place snr une chaise, à droite, et se dandine en prenant des 

poses.) 

HÉLÈNE, bas à Rosette. 

Quel est cet original?... 

ROSETTE. 

Je le connais, madame. 

HÉLÈNE, même jeu. 

On n'est pas plus ridicule I 

TRIAL, à [port. 

Je produis le plus grand effet. 



LES TROIS NICOLAS 135 

ROSETTE, même jea. 

C'est M. Trial, le chanteur. 

HÉLÈNE, bas à Rosette. 

C*est vrai, tu as raison. 

TRIAL, à part. 

Comme elles chuchotent... 

ROSETTE. 

Celui que monsieur le vicomte, votre cousin, vous avait 
indiqué comme professeur de chant. 

TRIAL, à part. 

On me remarque de plus en plus... prenons une attitude 
gracieuse. 

HÉLÈNE. 

Il est très-laid... (a part.) Décidément, mon futur est ja- 
loux, (a Rosette.) Tu as fait porter chez M. Trial la lettre que 
je f ai remise hier? 

TRIAL, à part. 

Je crois que j'ai entendu mon nom. 

ROSETTE. 

Ahl mon Dieu, madame, je Tai oubliée... Elle est encore 
là dans ma poche. 

HÉLÈNE. 

Etourdie!... Arrange-toi du moins pour qu'il la reçoive' 
ce soir... Je vais à l'abbaye rejoindre ces dames qui m'at- 
tendent. Tu te trouveras ici après le concert. 

ROSETTE. 

Oui, madame. 

(Hélène sort.) 

SCÈNE VII. 
TRIAL, ROSETTE. 

TRIAL, à part, suivant des yeux Hélène. 

Quelle noble démarche ! 



136 OPÉRAS-COMIQUES 

ROSETTE, à port, tirant la lettre de sa poche. 

Le maudit billet, auquel je ne pensais plus... Sij*osais, 
la commission serait bientôt faite... Bah! osons. 

TRIAL, à part. 

Un billet... serait-il pour moi?... 

ROSETTE. 

C'est à monsieur Trial que j'ai l'honneur de parler? 

TRIAL. 

A lui-môme, petite, que veux-tu? 

ROSETTE. 

Que monsieur me pardonne de lui remettre ici cette lettre 
de ma maîtresse. 

TRIALy saisissant la lettre. 

Donne, donne, tu es adorable. 

(il Tembrasse.) 
ROSETTE. 

Vous êtes bien aimable! Ah! monsieur Trial, êtes- vous 
gentil dans les valets ! 

TRIAL. 

Tu trouves? 

ROSETTE. 

Moi, quand je vais à la comédie, je n'écoute jamais que 
ce que disent les domestiques... et vrai, monsieur le mar- 
quis n'a pas dans toute sa maison un valet aussi bien 
tourné que vous... 

TRIAL, d'un ton dédaigneux. 

Tu es drôlette, petite... n'oublie pas ceci... les femmes 
de chambre... les vraies... je les lutine, mais voilà tout, 
car... 

(chantant.) 
J'aime les soubrettes 
Mais pour un seul jour, ^ 



LES TROIS NICOLAS 137 



J'ai des amourettes 
Et n'ai pas d'amour. 

ROSETTE, suffoqaée. 

Oh! soyez tranquille, monsieur, on ne Toubliera pas... 
on ne Toubliera.,. (a part énergiquement.) Faquin!... 

(Elle sort par la gaaohe.) 

SCÈNE VIII. 

TRIAL, seal. 

Enfin!... je puis ouvrir ce mystérieux billet plié en 
cœur.- quel augure! ma main tremble, je suis ému... 
lisons... « Mademoiselle de Villepreux, chanoinesse du 
« chapitre noble de Remiremont, prie M. Trial de vouloir 
« bien se rendre à son hôtel, place Royale... » (s'interrom- 

pant.) Un rendez-vous ! (Portant à plusieurs reprises le billet è ses 

lôrres.) Tiens! en voilà, en voilà encore... toujours... tou- 
jours... Ah ! mon beau camarade Clair val, vous ne raillerez 
plus mes bourgeoises amours... Continuons... (Lisant.) « Place 
€ Royale, pour lui donner des leçons de chant. » De chant!... 
mais non... je devine... il n'y a que les grandes daiîies 

pour sauver ainsi les apparences... (On entend une fanfare.) 

Quelle est cette fanfare? C*est un détachement des gardes 
d* Artois... Ils se dirigent de ce côté... Je n'aime pas les 
militaires, ça nous fait du tort, ça va sur nos brisées. 
J'aime mieux le concert spirituel, les vrais artistes rem- 
placés par les dames de la cour... ça sera drôle!... ça sera 
détestable. . , cela m'amusera. 

(U entre Tirement dans l'Abbaje.) 



8. 



138 OPÉRAS-COMIQUES 



SCENE IX. 
LAGHABEAUSSIÈRE, un Brigadier des gardes du corps, 

Gardes du corps, arrivant en rang. 



LE BRIGADIER. 

Halte! Front! rompez les rangs... (Les gardes mettent les 
fusils en faisceaux.) C'est ici que le capitaine des gardes doit 
nous envoyer ses ordres pour la marche et la cérémonie de 
Longchampsi attendons-les ! Et si pendant ce temps M. de 
Lachabeaussière , qui est un connaisseur, veut bien com- 
mander notre dîner... 

LACHABEAUSSIÈRE. 

C'est déjà fait, mon brigadier, et un beau diner, je m'en 
vante. (Apercevant Daiayrac.) Ah ! voici Dalayrac et le mes- 
sage du capitaine. 



SCENE X. 

Les mêmes; DALAYRAC, entrant et présentant un pli au 

brigadier. 

LE BRIGADIER, lisant. 

Ordre nous est donné d'attendre ici madame la comtesse 
d'Artois et les princesses pour former la haie sur leur pas- 
sage... D'après l'heure indiquée, nous n'avons qu'une demi- 
heure pour diner... et cependant il faudra qu'un de vous 
reste pour garder ces faisceaux. 

DALAYRAC. 

Moi, brigadier! heureux dans l'état militaire 
Celui qui rend service à ses amis. 

LACHABEAUSSIERE. 

Mais ton diner à toi... 



LES TROIS NICOLAS iS9 



DALAYRAC. 

Je n'y liens guère, 
Jo n'ai pas faim... 

UN GARDE DU CORPS, onUant. 

Ces* messieurs sont servis. 

LES GARDES DU CORPS. 

Âh! la bonne nouvelle I 
Le diner nous appelle, 
Arrosons de vins vieux 
Nos propos amoureux 
Et nos refrains joyeux ! 

DALAYRAC. 

Allez choquer le verre. 
Mais tout bas, bien bas, 

Que la morale austère 
Ne s'offense pas. 

COUPLETS, 

Premier couplet, 

La tristesse me gagne. 
L'amour a troublé ma raison : 

Demandez au Champagne 
Mon bonheur ou ma guérison. 

Allez choquer le verre, etc. 

LES GARDES DU CORPS. 

Allons choquer le verre, etc. 

DALAYRAC. 

Deuxième couplet. 

Dans ma fatale ivresse, 
En moi cachons bien la douleur 

Qui tour à tour m'oppresse. 
M'enchante et me brise le cœur!... 

Allez choquer le verre, etc. 



140 OPEKÂS-GOMIQUES 

LES GARDES DU CORPS. 
Allons choquer le verre, etc. 

(Sortie des gardes da corps et du brigadier.) 

SCÈNE XL 
LACHABEAUSSIÈRE , DALAYRAC. 

LAGHABEAUSSIÈRE, regardant Dalayrac. 

A quoi rêve-t-il? si encore c'était à notre opéra, (s'ap- 
procbant de lai.) Dalayrac, tu composes ?... 

DALAYRAG, brusquement. 
Non 1 (Montrant les gardes du corps qui s'éloignent.) Gomment ne 

les suis-tu pas ? 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Je suis invité à dîner chez Beaujon, le financier, cela me 
ferait du tort. 

DALAYRAC. 

Gourmand ! 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Et j'ai mes raisons pour te tenir compagnie. Expliquons- 
nous. Nous avons ensemble un ouvrage commencé, notre 
Azémia, un ouvrage dont nous attendions fortune et re- 
nommée. Il reste quelques morceaux à terminer... un sur- 
tout... qui doit te plaire... de la grâce, de la chaleur, delà 
tendresse... 

Aussitôt que je t'aperçois, 
Mon cœur bat et palpite ! 

Du Dalayrac... tout entier. Eh bien! c'est justement à cet 
air-là que tu t'es arrêté. 

DALAYRAC. 

Oui... c'est vrai. 

LACHABEAUSSIÈRE. 

11 semble que tu ne puisses plus rien produire... tu n'es- 



LES TROIS NICOLAS 141 

saies même pas... Tous les jours je reçois des lettres les 
plus pressantes de M. le marquis de Villepreux, surinten- 
dant par intérim des menus plaisirs, qui me prie, me sup- 
plie de lui donner notre ouvrage... une occasion inespérée, 
le séjour du roi à Fontainebleau... Je cours alors pour te 
tourmenter, et je n'ai pas même cette satisfaction... On ne 
te trouve jamais... toujours sorti! 

DALAYRAC 

Oui... il est un but que je poursuis et que je ne peux 
atteindre... de là le désespoir, le découragement... Je suis 
si malheureux ! 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Alors, travaille. 

DALAYRAC. 

Impossible!... Je n'ai pas une idée... ou plutôt je n'en ai 
qu'une qui absorbe toutes les autres. 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Comment, c'est donc sérieux?... Avant tout, je suis ton 
ami, ouvre-moi ton cœur, dis-moi tes peines^ 

DALAYRAC. 

Ah! pour cela... il faudrait remonter trop haut... 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Eh bien! fût-ce au déluge !... 

DALAYRAC 

Non... mais au temps de ma première jeunesse... C'était 
à Toulouse... mon père, tu le sais, sévère conseiller au par- 
lement, avait décidé que j'entrerais dans la magistrature... 
Il me fallait donc pâlir sur les vieilles coutumes du Lan- 
guedoc et le droit romain, et cependant ma vocation musi- 
cale s'était déjà révélée... l'on me défendait, sous les peines 
les plus sévères, de toucher au moindre instrument de mu- 
sique. Alors, ne pouvant plus jouer du violon le jour, j'en 
jouais la nuit. Mon père logeait juste au-dessous de ma 
mansarde ; s'il m'eût entendu, il eût tout brisé... Moi... peu 



142 OPÉRAS-COMIQUES 

m'importait... mais mon violon!... j'y tenais plus qu'à ma 
vie... Je pris le parti de grimper sur les toits pour aller 
jouer du côté opposé. 

LÂCHABEAUSSIËRE. 

Au risque de te casser le cou ! 

DALAYRAC. 

Aussi, malgré mon ardeur musicale, je n'y serais pas re- 
venu deux fois sans un incident romanesque et imprévu. 
Les murs de notre maison étaient mitoyens avec un cou- 
vent d'Ursulines, dont les pensionnaires appartenaient pres- 
que toutes à la noblesse de la province.. . La première fois que 
je donnai ainsi un concert... à la lune, je vis tout à coup 
s'entr'ouvrir une fenêtre, et une figure angélique s'y dé- 
couper comme dans un cadre de Greuze. 

LACHABEAUSSIËRE. 

Le lendemain, je devine, tu revins à ton poste. 

DALAYRAC. 

L'angélique figure n'était plus à la fenêtre, mais dans le 
jardin du couvent... Ce fut ainsi, pendant tout un mois, un 
rendez-vous muet et mystérieux... Enfin, voulant du moins 
rapprocher la distance... je copiai de ma plus belle main 
une romance que je jouais souvent, et dont elle semblait 
préférer le motif... je la signai de mon simple prénom, 
Nicolas... et, une nuit, par-dessus le mur qui se dressait 
impitoyable entre nous, je lançai le rouleau qui, complai- 
samment, vint tomber à ses pieds. 

LACHABEAUSSIËRE. 

Eh bien? 

DALAYRAC. 

Eh bien ! le lendemain, dès que la nuit fut venue, me 
hasardant le long d'un mur de trente à quarante pieds sur 
des treillages à moitié vermoulus, je sautai dans le jardin, 
et, caché dans le bosquet où d'ordinaire elle dirigeait ses 
pas... je la vis venir... Gomment te rendre mon ivresse?... 



LES TROIS NICOLAS 143 

elle chantait ou plutôt elle soupirait... bien bas... ma ro- 
mance 1 Je tombai à ses genoux , lui jurant un éternel 
amour, et elle, éperdue, tremblante, entendant la voix de 
ses compagnes qui l'appelaient : « Hélène... Hélène... » elle 
s*arracha de mes bras, et, soit par hasard, soit à dessein, 
elle laissa tomber en s'enfuyant cette croix d'argent qu'elle 
portait à son cou et que j'ai toujours là, sur mon cœur. 

LACHABEAUSSIËRE. 

Et le dénoûment? 

DALAYRAC. 

Ce moment de joie suprême fut le dernier ; depuis ce 
jour, ou plutôt depuis cette nuit, la fenêtre resta fermée , le 
jardin resta désert. Je compris qu'elle n'était plus là, qu'elle 
avait quitté le couvent, qu'elle était perdue pour moi... 

LACHABEAUSSIËRE. 

C'est tout un roman. 

DALAYRAC. 

Te l'avouerais-je? ce visage de jeune fille à moitié vu, à 
moitié rêvé dans l'obscurité des nuits, ne s'est jamais effacé 
de ma mémoire. Je ne devais plus la revoir, et cependant 
mon cœur s'obstinait à conserver ce chaste et frais souve- 
nir de mes vingt ans... C'était un pressentiment de ce qui 
devait m'arriver. .. il y a huit jours, à la sortie de la Comédie- 
Italienne, je l'ai aperçue de loin... 

LACHABEAUSSIËRE. 

Ta pensionnaire dé Toulouse? 

DALAYRAC. 

Mais impossible de la rejoindre. 

LACHABEAUSSIËRE. 

Tu es le jouet d'une illusion. 

DALAYRAC. 

Oh! non! je l'ai bien reconnue, 
Je me sens renaître à sa vue! 



144 OPËRAS-GOMIQUES 

- — - - -- ■ . _ ^ _ — ■ - — 

La crainte, le bonheur m'agitent tour à tour ; 
C'est le réveil de mon premier amour! 

Un premier amour. 
Comme d'un beau jour, 
Du cœur c'est l'aurore, 
C'est dans sa fraîcheur 
La naissante fleur 
Au moment d'éclore. 

ROMANCE. 

Premier couplet. 

Non, tous ces biens que nous cherchons plus tard, 
Richesse, honneurs, jusqu'à la gloire même, 
Vous n'êtes rien près du premier regard 
Qui nous enivre et qui nous dit : Je t'aime! 

Un premier amour, etc. 

Deuxième couplet. 

Amour divin, amour chaste et discret, 
Premier plaisir et première souffrance, 
Qui pour le cœur est le plus doux regret 
• Lorsqu'il n^est plus, hélas! une espérance! 

Un premier amour, etc. 

SCÈNE XII. 

DALAYRAC, LACHABEAUSSIÈRE, Le Brigadier, Gardes 
DU Corps, Hélène, Daues e^ Seigneurs, Peuple, Cor- 
tège de la princesse. 

(On eniend les tamboars qui battent aux champs dans le lointain.) 
LE BRIGADIER, entrant viTement. 

Aux armes, messieun !... on bat aux champs, madame la 
comtesse d'Artois arriv»;... formez la haie sur son passage 
et suivez le cortège jusque dans l'église de l'Abbaye, (a 
uaïayrac.) Vous, monsIcur, VOUS resterez ici en faction. 



r^' 



LES TROIS NICOLAS 145 \ 

^ '. 1 



(Les gardes du corps forment la haie au fond du théâtre et contiennent 
la fonle qui se presse sur les pas de la princesse. Dalayrac est è gau- 
che, seul, sur le devant de la scàne^ présentant les armes en rue du 
pablic. Ayant le défilé du cortège, Hélène descend les marches de 
l'abbaje; suivie de qurlques dames, elle vient au-devant de la prin- 
cesse et se place à sa droite. Défilé du cortège qui entre dans Téglise.) 

SCÈNE XIII. 

DALAYIiACy seul, apercevant Hélène. 

Mais non... ce n'est pas une vision... c'est bien elle!... 
Oh! c'est un horrible supplice... cloué... cloué là... Eh! que 
m'importe la discipline? je veux... je dois lui parler... cou- 
rons... Oh! il est trop tard... la cérémonie commence. 

(Orgue dans la coulisse jusqu'au finale. Musique religiease avec accompa- 
gnement de chœur. Dalayrac, en sentinelle, se promène à grands pas 

d'un air agité.) 

LE CHOEUR, en dehors. 

Vers les voûtes éthérées 
Montez, prières sacrées, 

Encens précieux ! 
Que l'hymne de nos louanges 
Soit répété par les anges 

Au plus haut des cieux! 

HÉLÈNE, en dehors. 

souvenir lamentable! 
Le repentir nous accable 
Et le deuil est dans nos cœurs! 
Quand tout gémit sur la terre, 
Quand pleure une sainte mère^ 
Soleil, voile tes splendeurs, 
Voici le jour des douleurs l 

LE CHOEUR. 

Voici le jour des douleurs ! 
(Pendant le solo, Dalayrac s'arrête tout à coup et écoute avec une 

émotion croissante.) 

Scribe. — Œavres complètes. !¥«>• Série. — IS»»» Vol. — 9 



•i 



146 i>PS&A.«-.GOMIQUX« 

DALA.YBAC. 

C'est étrange L^ eette voix... je ne sais ce que j'éprouve 
à renlendre... jamais je n'ai été éma comme en oe moment... 
ohJ elle seule peut chanter ainsi.^. (vaiMnt an pas.) Si j'osais... 
(s'«r0étaBt.) Mais jlaurai beau m'oiïnr à ses yeux... elle ne 
me connaît pas, elle ne m'a jamais vu... GependenC, si je 
pouvais,.. 

SCÈNE XTV. 
DALAYRAC, LE VICOMl'E. 

LE VICOMTE. 

Impossible d'entendre... devant moi des gens qui parlent 
de leurs affaires, mon voisin de ^uche qui ronfle à contre 
mesure... les Vandales! Mais vous n'avez donc pas d'oreil- 
les... ou plutôt vous en avez trop. (Apercevant Dalayrac.) Da- 

layrac I 

DALAYRAC 

Ah! c'est vous, monsieur? 

LE VICOMTE. 

Toujours le même. Le vicomte d''Ai\glars pour vous ser- 
vir; dites un mot, faites un geste, et tout ce que j'ai est à 
vous. 

lULAraAG. 

Eh bien ! gardez-moi ce fusil. 

LE VICOMTE. 

Ce fusil!... 

* DALATRAC. 

Merci, merci. Voilà un service que je n'oublierai jamais ! 

(n 'sort prédpJtoniDMftt par la droite.) 



i' » 



LJCS TROIS JNICaUAS 147 



SCENE XV. 
LE VICOMTE,: s«ii. 

Jiongieur! monsieur! Qh! bien oui... C'est parbleu bien 
un fusil... qu'est-ce qu'il veut que j'en fesse! Je dois avoir 
on drôle d'air... (L'orgoe racevmenoe.) N'importe., j'oblige 
uiLjgEajui musicien {qui est moxi.ami!... Ehl mais dlci j'en- 
Cends à merveille.. . 

LE CHOEUR, «a dehors. 

Vers les, voûtes éthérées, etc. 

BÉLÀKE,. en jlehore. 

iSjuxâel.béoissoas hs lots, 
A genoux, peuples et rois ! 

LE VICOMTE. 

Ah I c'est la voix de nm^jcmi&me !... 

LE GSOEUB, 

A genoux, peuples et rois 1 

SCÈNE XVI. 
LE VICOMTE, LE MARQUIS, sortant de VéglUe; puis LE Bri- 

GADIEA et.LES GARDES. 
LE VICOMTE, regardant dans la coulisse^ 

On relève les sentinelles,., et Dalayrac. qui ne revient 
pas !... comment le prévenir? 

LE MARQUIS, apercerant le yicomte. 

Ah! mon neveu! Je te cherchais dans l'église... que 
«diable fais-tu là ? 

LE VICOMTE. 

Ah! c'est vous, mon oncle; gardez-moi ce fusil. 



I 

f 
l 



148 OPÉRAS-COUIQUES 



LE MARQUIS. 

Ce fusil !... 

LE VICOMTE, en sortant précipitamment. 

Soyez tranquille, je le retrouverai. 

LE MARQUIS. 

Qui?... (Appelant.) Mon neveu ! mon neveu! Il court 
comme un insensé. C'est bien un fusil, un vrai fusil !... Que 
veut-il que j'en fasse?... Et sa cousine qui l'attend pour 
commencer la quête ! Me voilà forcé de l'accompagner !... 
Mais quêter avec un fusil à la main, j'aurais l'air de de- 
mander la bourse ou la vie ! 

LE BRIGADIER, entrant areo les gardes. 

Eh bien ! où est donc le factionnaire?... abandonner son 

poste ! (Apercevant le marquis, et allant à lui viyement.) Pourquoi 

avez-vous ce fusil? 

LE MARQUIS. 

C'est ce que j'allais vous demander. 

LE BRIGADIER. 

De qui le tenez-vous ?... 

LE MARQUIS. 

De mon neveu. 

LE BRIGADIER. 

Qui, votre neveu?... 

LE MARQUIS. 

Le vicomte d'Anglarù. 

LE BRIGADIER, avec impatience, prenant le fusil des mains da marquis. 

Eh I monsieur ! (Aux gardes.) En avant, marche !... 

(Le brigadier et les gardes sortent militairement par la droite.) 

LE MARQUIS. 

Qu'est-ce que tout cela signifie?... je n'y comprends 
rien!... eL ma nièce qui est seule sur les marches de 
l'église !... allons vite lui donner la main ! 



LES TROIS NICOLAS 149 



V 

I 

•i 
1 



SCENE XVII. 

HÉLÈNE, DALAYRAG, TRIAL, LE MARQUIS, ROSETTE, 
Promeneurs, hommes et femmes. 

FINALE. 

(Le marquis doQn« la main à Hélène, qui tient la bourse de quêteuse, 
et la présente aux curieux assis sur des chaises.) 

HÉLÈNE. 
Donnez à la quêteuse ! 

DALAYRAC. 

C'est elle... ô chance heureusp ! 

TRIAL, vidant sa bourse dans l'aumônière que lui présente Hélène. 

Soyons grand et magnifique, comme un fermier géné- 
raL., Elle m'a souri... mais c'est cher !... 

HELENE, présentant successiTement la bourse. 

Donnez à la quêteuse ! 
Donnez à la quêteuse ! 

DALAYRAC, à part, la voyant qui se dirige de son côté. 
Elle approche... ô bonheur! si je pouvais lui dire... 

Oui, mais comment?... 
Ah ! que le ciel m'inspire 
En ce moment! 

COUPLETS, 
HÉLÈNE. 

"Premier couplet. 

Donnez, donnez... l'aumône a tant de charmes ! 
Dieu vous regarde, ah I ne refusez pas ! 
Heureux qui peut sécher les larmes 
De qui souffre ici-bas! 
Pitié, pitié pour qui souffre ici-bas. 

(Elle présente la bourse à Dalajrac.) 



150 OVl&HAB'^GOMIQfUKS' 



DÀLAYRÀC. 

Veuillez, pour mon offrande, accepter cette croix ! 

HÉLÈNE^ à put. 

Que vois-je ? 

DÀLAYRAG, à part. 
Elle a frémi, je crois. 

Deuxième couplet, 

A votre voix qui ne rendrait les armes? 
Cette prière y ah I ne l'oubliez pas 1 

Heureux qui peut sécher les larmes 
De qui souffre ici-bas I 
Pitié ! pitié ! pour qui souffre ici -bas ! 

Le trésor que je laisse à votre charité, 
Sera chez vous, par moi, dès demain racheté, , 
Si vous le permettez... 

LB MAAQÏISv & Dal«f rac. 
Nous cédons à vos vœux : 
Place Royale, à ITiôtélViUe preux... 

DALAYRAC, h part, arec joie. 
Place Royale, à l'hôtel Villepreux !... 
(Un orage commence; pluie, éclairs et tonnerre. Entrée dé la foule eo- 
désordre. Rosette a placé la mante sur les épaules d1Q[éIôn«: Le mar» 
quis s'éloigne vivement arec sa nièce; Dalayrac s'incline sur leur pas- 
sage et fait quelques pas pour les suiyre.) 

SCÈNE XYIII. 

Les mêmes, excepté le marquis et Hélène. PROMENEURS, HOMMES 
et FEMMES ; LE BRIGADIER et LES GaRDES DU CORPS. 

LB CHOEUR. 

Affreuse averse, 
Elle traverse 
Nos vêlements ! 
Pluie et tonnerre. 



LES TROIS NrCOLAS iBi 

Horrible guerre 
Des éléments l 
Dieu ! quelle foule 
Qui va, qui roule 
Avec des cris ! 
Et, sur la route. 
Quelle déroute 
Jusqu'à Paris 1 
(Dalayrac gaisit un parapluie que lài offre 'vn coBiiiritrioanaire, et l'offre 

à Ro«ett8.) 

ROSETTE, 8*abritant sous le parapluie. 

Ah! monsieur l'officier, quel secours généreux! 
Sous cet abri, par nous la pluie est défiée. 

DÀLAYRAG, sous le parapluie avec Rosette. 
Votre belle maîtresse est-elle mariée ?... 

ROSETTE. 

Ça ne tardera pas... dans dix jours! 

DALATRAC, à pan. 

Ah ! grands dieux ! 
(Haut.) 
Est-ce quelqu'un qu'elle aioiJe: éjperdûment ? 

ROSETTE, eir iftfichappant. 
Très-raisonnablement. 

DALAYRAG. 

Pour mon cœur plus de souffrance ! 

Quelle douce espérance 
Tout à coup luit à mes yeux I 
Je suis heureux! je suis heureux! 

(Le brigadier entre suivi des gardes du corps.) 

DALAYRAG. 

Et mes camarades que j'oubliais ! 

LE BRIGADIER, à Dalajrac. 

Monsieur, vous ferez huit jours d'arrêts ! 



152 OPÉRAS-COMIQUES 



DALAYRAC, accablé. 

Moi !... huit jours d'arrêts ?.... 

(L'orage augmente; départ des gardes ducorpi; fanfares.) 

LE CHOEUR. 
Quelle horrible tourmente! 
L'orage encore augmente : 
Fuyons à travers champs! 
L'averse nous inonde 
Et le tonnerre gronde : 
Ah ! le triste Longchamps ! 
(L'orage redouble avec TÎoIence ; tumulte général.) 





ACTE DEUXIÈME 



Un salon élégamment meublé, style Louis XYI. — Deux portes à gauche. 
An premier plan, à droite, porte conduisant à un escalier de senrice. 
ï'enêtre au deuxième plan. Portes au fond. Un clavecin à gauche. 
Tables. 

SCÈNE PREMIÈRE. 
ROSETTE et HÉLÈNE. 

ROSETTE, à part. 

Je vous demande à quoi rêve madame ! depuis une heure, 
pas une parole échangée!... je n'y tiens plus!... (Haut.) 
J'ai dit hier à madame que le jardinier-concierge de l'hô- 
tel, Hubert, me recherchait en mariage... 

HÉLÈNE. 

Eh bien ! épouse-le î... 

ROSETTE. 

C'est qu'il est bien laid... et bien jaloux... 

HÉLÈNE. 

Ne l'épouse pas. 

ROSETTE. 

Mais c'est qu'il ^vient de faire un gros héritage. 

HÉLÈNE. 

Alors, épouse-le. 

ROSETTE. 

Je remercie madame de ses bons conseils i... (a part.) Ce 



154 OPÀRAS-^OMIQBSS 



n'est pas là le sujet de conversation qui la fera parler !..» 
(Haat.) Madame n'a pas eu de nouvelles du garde du corps 
de Longchamps ? 

HELENE, ar«<viadiffér«iio« «k aansqnitUff sa tapisBorie^ 

Non. 

ROSETTE. 

C'est dommage I 

HELENE, même jeu. 

Pourquoi? 

ROSETTE. 

U était si aimable... si obligeant! Sans lui ma robe aurait 
été perdue ! Et rempli d/attentions.... U s'était informé du 
mariage de madame. 

HÉLÈNE, même jeu. 

Vraiment!... 

ROSJSTTE. 

Auquel il avait l'air de s'intéresser beaucoup... Soa inten- 
tion était peut-être d'y assister... 

HÉLÈNE. 

C'est bien de l'honneur qu'il nous ferait... mais, depuis 
huit jours, j'ai, en ma qualité de quêteuse, une croix d'ar- 
gent à lui, qu'il devait venir reprendre, et on ne l'a pas 
revu. 

ROSETTE. 

Cette croix est-elle en effet si précieuse? 

HÉLÈNE, d'un air indifférent. 

Je ne saisi... je ne Fai pas regardée; il prétendait qu'elle 
lui était chère... et il paraît qu'U s'en soucie fort peu. (sè- 
chement.) C'est assez!... 

ROSETTE. 

Madame ne pense t'- elle pas à s'habUler? 



LKS TR«IS NICOLAS tSB 

HÉLÈNB. 

MTiabiller... moi? 

ROSETTE. 

Puisque madame attend quelqu'un, ce mftUn... 

HÉLÈNE. 

Quelqu'un? 

ROSETTE. 

Votre maître à chanter... 

HÉLÈNE. 

Je croyais que tu disais quelqu'un... Je suis bien ainsi. 

ROSETTE, A part. 

Madame a beau dire, c'est quelqu'un que M. Trial. 

(Elle sort.) 

SCÈNE IL 

HELENE) tirant la croix de son seû. 

Quelle rencontre étonnante ! Oui! cette croix... la voilà... 
c'est bien elle ! Et rien qu'en la regardant... je me crois 
revenue à mes beaux jours. Il me semble que je suis encore 
la pensionnaire du couvent de Toulouse. 

Dans mon beau couvent de Toulouse. 

Je crois un instant revenir : 
De ma mémoire, ahl rien n'a pu bannir 
Ces jours heureux dont mon âme est jalouse ; 

Réveille-toi, doux souvenir 

De mon beau couvent de Toulouse! 

Tin, tin, tin, lin, 
C'est la cloche au son argentin, 
Qui nous appelle 
A la chapelle. 



,^- 



156 OPÉRAS-GOMIQUES 

Tin, tiD, .tin, tin, 

Sois en prière, 

Nature entière, 

Tin, tin, tin, tin, 
C'est l'heure dernière 
Du jour qui s'éteint. 
Tin, tin, tin, tin, tin! 

Oui, tout sommeille, 
Tout devient noir! 
Seule je veille 
Dans le dortoir! 
coupable pensée! 
. • Éperdue, insensée. 

Je me lève soudain 
Pour gagner le jardin!... 
Sœur Angélique, 
Vous dormez bien!... 
Sœur Scholastique, 
N'entendez rien!... 
Dans une allée obscure 
Je marche à l'aventure. 
Tout me fait frissonner, hélas! 
L'oiseau quittant son gîte, 
La feuille que le vent agite 
Et même le bruit de mes pas! 

Dans mon beau couvent de Toulouse, etc 

Tout à coup retentit 
Un archet fantastique... 
C'est le concert magique 
Que j'attends chaque nuit! 
Il me semble l'entendre. 
Cet air plaintif et tendre : 
Tra, la, la, la, la, la! 
Non, ce n'est pas cela ! 
Tra, la, la, la, la, la! 
Le voilà!... le voilà!... 
Tra, la, la, la, la, la ! 
Oui, oui, c'est bien cela! 



LES TROIS NICOLAS 157 



SCÈNE m. 

HÉLÈNE, ROSETTE, puis TRIAL. 

ROSETTE, entrant. 

Madame, monsieur Trial vient d'arriver. 

HÉLÈNE. 

C'est bien!... Fais entrer. 

ROSETTE, introduisant Trial. 

Monsieur!... (a part, en sortant.) Ah! le bel homme!... 

TRIAL, un rouleau è la main, à part. 

Coiffé par Léonard, je dois être irrésistible, 

HÉLÈNE. 

Approchez, monsieur Trial... 

TRIAL. 

Yotre très-humble serviteur accourt à vos ordres, (a part.) 
Qu'elle est belle ! 

HÉLÈNE. 

Je ne sais pas ce que j'ai ce matin... je ne me sens pas 
disposée à prendre ma leçon. 

TRIAL, à part. 

Elle est émotionnée ! 

HÉLÈNE. 

J'ai un peu de migraine... de vapeur... 

TRIAL. 

Mais, madame, la musique est comme le soleil... elle 
dissipe les vapeurs... (Riant.) Ah! ahl... 

HELENE. 

"Eh bien, soit, essayons... 

TRIAL. 

A la bonne heure! Renoncer à votre leçon, c'eût été 



158 opbras-gomi.qije:.s 

douloureux pour votre maître, déjà si fier de son élève... 
en moins de quatre leçons, la grande dame a révélé la 
grande chanteuse. 

HÉLÈNE. 

Vous êtes un flatteur!... 

TBXALf. à part. 

Je la fascine I 

HÉLÈNE.. 

Que chanterons-nous ? 

TRIAL, à part. 

En avant mon duo incendiaire... (Haut.) Je me suis permis 
d'apporter ce duettino dont j'ai eu l'honneur de parler à 
madame, à notre dernière leçon. 

HÉLÈNE. 

De qui la musique?... 

TAIÀL),ay«o na» modestîfl prétantnaMk. 

De moi... 



r _ \ 



HELENE. 

De vous?... 

TRL\L. 

Paroles et musique... 

HÉLÈNE. 

Je suis curieuse de les connaître.-. 

TRIAL. 

Je dois avant tout vous expliquer le sujet.. . 

HÉLÈNE. 

Bien!... j'écoute. 

TRIAL. 

Voici... Un maître à chanter... épris des charmes d'une 
grande dame... son élève.... (a part.) Elle se tait. (Haut et en 



LES TR0Iâ NICOLAS i^ 



appuyant.) a l'audace d'élever ses regardsr' jusques... à elle. 
(a part.) Elle ne se fâche pas... 

(Hélène se lère et Ta tonner.) 
TRIAL, à partf înqnfet de ce moarement. 

Elle va me faire jeter à la porte. • 

(Ua laq^aU paraU*) 



jOBLBNS. 



Avancez ce clavecin. 



TRIAL, à part. 

J'en ai eu froid dans le dos... (Haut.) Madame, je suis à 
vos ordres... 

HÉLÈNE. 

Commençons... 

DUETTINO. 

TRIAL. 

« Pardonnez, noble dame, 
« A mon indigne flamme^ 
« Ou soudain en ce jour 
« J'exhalerai mon âme 
a Dans un soupir d'amour! 

HELENE. 

a Quel affront pour ma race ! 
u D'ici que l'on vous chasse] 
« Quand l'honneur est ma Loi, 
« Avec pareille audace, 
« Lever les yeux sur moi! » 

TRIAL. 

Un seul instant qu'ici je vous arrête. 
Faites sentir sous l'indignation 
De votre cœur la passion secrète... 
Moins de courroux et plus d'émotion. 

HÉLÈNE, reprenant. 

< Quand l'honneur est ma loi, 



1 



160 OPÉRAS-COMIQUES 



«c Avec pareille audace 

« Lever les yeux sur moi! » 

TRIAL. 

Plus rien à dire maintenant! 
C'est compris merveilleusement. 



(Parlé.) 

Passons à Tandante. 



HÉLÈNE. 



a Àh! qu'il est beau, qu'il est tendre ! 
« Je veux en vain me défendre... 
« Contre son regard vainqueur!... » 

TRIAL. 

Ces mots pleins de douceur, 
Il faut toujours les dire 
Avec la bouche en cœur. 
(Parlé.) 

Regardez -moi bien. 

« Ah ! qu'il est beau ! qu'il est tendre ! 
« Je veux en vain me défendre... 
a Contre son regard vainqueur!... » 

HÉLÈNE, riant. 

Ah! vraiment, vous me faites rire... 
Ne roulez pas ainsi vos yeux ! 

TRIAL. 

Gardez donc votre sérieux ; 

Continuons notre leçon, 

Et surtout prenez bien le ton. 

HÉLÈNE. 

« Hélas! mon trouble 
« Déjà redouble... » 



Agitato ! 



TRIAL. 
HÉLÈNE. 

a Sa vive flamme 
« Gagne mon âme ! » 



LBS TROIS NICOLAS 161 



TRIAL. 

Palpitando ! 



HELENE* 



a Quel sentiment de moi s*empare!... 
« Ma raison fuit, mon cœur s'égare!.. 





TRIAL. 


Delirando. 






« Je vous adore ! 




HÉLÈNE. 




« Je vous implore! » 




TRIAL. 


Gàressando !.. 


» 




a Je vous adore... 




HÉLÈNE. 



a Je cède au feu qui me dévore!... w 

TRIAL. 

Ëxpirando ! 

« Je vous adore, ô mes amours, 
« Je suis à vous et pour, toujours ! 

HÉLÈNE et TRIAL. 

« Je vous adore, 
« Je vous implore, etc. » 
(a la fin du duo, Trial se jette aux genoux d'Hélène.) 

HÉLÈNE, riant. 

Ah !.. . ah !.. . quel enthousiasme ! 

TRIAL. 

Enthousiasme d'auteur! 

■ 

HÉLÈNE. I 

.1 

Ce duo est charmant... nous le rechanterons... ' 

( 

TRIAL, à part. 1 

Elle veut le rechanter... je triomphe! i 

ROSETTE, entrant, bas à Hélène. j 

Madame, le garde du corps est Jà. 

■1 

■■ 

t 



162 ÛPiRAS-GOHIQUKff 



HÉLÈNHy à part. 

ciel!... (Haut, à Rosette.) C'est bien... A demafitr, mon- 
sieur Trial... 

TRIÂL, 8*mclinant, à part. 

Maudite soubrette! 

HELENE, indiquant l'escalier de service. 

Fais sortir monsieur... par ici... 

TRIAL, à part. 

Un escalier dérobé... je comprends... Ce soir, j'achève 
l'aventure. 

(il saine Hélène, sort mystérieusement et disparaît.} 
HÉLBNff à part. 

Venir ainsi... à l'improviste.w. Dans quel état je suis pour 
le recevoir... (Haut à Rosette.). Fais entrer dans, ce salon, et 
viens m'habiller. 

(Elle sort.) 
ROSETTE. 

Ah ! madame s'habiilei... Il parait que le garde du corps 
est quelqu'un... 



SCENE LV. 
ROSETTE, DALAYRAC. 

ROSETTE. 

Entrez, monsieur!... Vous vous portez bieni monsieur? 

DAIiAYRAC. 

A merveille, mademoiselle. 

ROSETIH. 

Vous n'avez pas été eairhumé? 

DALAYRAC. 

Vous êtes bien bonne.. ^ 



LBS TROIS NICOLAS 163* 

RO^raXTB. 

On le craignait... il plfenvait si fort'!' 
On le craignait? 

ROSBITE. 

Ne vous voyant pas venir depuis huit jours?... mais vous 
voilà... (on sonne.) Pardou! c'est madame qui me sonne î...- 
Si monsieur veut attendre un instant dans ce salon, madame* 
va venir... 



SCENE V. 
DALAYRAC: 

AIR.. 

Je suis chez elle et je vait la revioirl 
L'ivresse éclate en mon àme ravie! 

Pour cet instant, pour cet espoir, 
Hier encor, j'aurais donné ma vie! 
Je suis chez elle et je vais la revoir ! 

Ah! quel charme m'attire!... 
Je l'entends... je la vois... 
Près d'elle je respire 
Pour la première fois. 

Tout me parle d'elle : 
Voilà le miroir. 
Qui, matin et soir, 
Lui dit qu^elle est belle. 
C'est parfois ici 
Qu'elle voit peut-être 
Dans Tomhre renaître 
Un passé chéri. 
C'est ici la place 
Où son coeur rêvant 



(Elle sort.; 



1 



46i OPÉRAS-COMIQUES 



Retrouve la trace 
Des jours du couvent. 

Ah! quel charme m'attire! etc. 

Mais tout passe. 
Tout s'efface, 
Jfême d'un tel amour le divin souvenir!... 
Si je la revoyais oublieuse... infidèle. 
S'il me fallait vivre sans elle, 
Non, non, jamais, plutôt mourir 1 

Non, non, ma tendresse extrême 

Ne peut s'alarmer ; 
D'un amour si vrai je t'aime 

Que tu dois m'aimcr!... 

Beaux jours de ma jeunesse. 
Vous voilà revenus! 
Que le calme renaisse 
En mes sens éperdus ! 

Non, non, ma tendresse extrême, etc. 

SCÈNE VI. 
DALAYRAC, HÉLÈNE, ROSETTE. 

ROSETTE* 

Monsieur, voici madame... 

(Elle avance un fauteuil et sort.) 
DALAYRAC, assis. 

Vous avez dû vous étonner, madame, de mon peu d'em- 
pressement à vous rendre ma visite, car depuis huit jours... 

HÉLÈNE, affectant l'indifférence. 

Y a-t-il huit jours? 

DALAYRAC. 

Oui... madame... oui... j'ai compté les instants... (Sou- 
riant.) D'abord parce que j'étais aux arrêts... 



i 



LES TROIS NICOLAS 16& 



HELENE. 

Aux arrêts? 

DALAYRAG. 

Une personne, dont la vue m'avait rappelé mes plus chers- 
souvenirs... s'était offerte à mes yeux, pendant que j'étais 
sous les armes, et, pour la suivre, pour la retrouver, j'avais 
tout abandonné... même mon poste. 

HÉLÈNE. 

En vérité... c'était pour celai... 

DALAYRAC. 

Voilà, madame, comment j'ai tardé si longtemps, et bieni 
malgré moi, à réclamer cette croix... et je viens la racheter 
au prix de cet or, qui est loin de la valoir. 

(il lui présente une bourse.) 
HÉLÈNE. 

Je vous remercie, monsieur, au nom des pauvres, de cette^ 

généreuse offrande... (Après un instant de silence et d'embarras.) 

De qui ai-je l'honneur de la recevoir?... ^Voyant qu'il garde le 
silence.) De monsieur... 

DALAYRAC. 

Dalayrac. 

HÉLÈNE, yiyement. 

Le compositeur!... Ce nom qui chaque jour retentit à mon 
oreille!... L'homme de cœur, de talent, de génie !... 

DALAYRAC. 

Madame!... 

HÉLÈNE. 

Vous ne pouvez vous dérober à nos éloges!... le chantre 
de Nina^ de la Folle par amour, est notre compositeur,, 
jiotre protégé à nous autres femmes!... Oh! monsieur,, 
quelle belle carrière s'ouvre devant vous ! 



il66 OPBRA^S- OO MiQU B 6 



Je ne le crois pas, madame; le peu de succès que Da- 
layrae a obtenus... il les devait à la personne dont je vous 
^parlais tout à Theure, et en la perdant... il a tout perdu... 
Mais, pardon... cette croix, je vous 'prie... 

HfiUSKE. 

Je vais vous la remettre. 

(Pendant qu'elle ourre le tiroir d'une petite table, à droite.) 
DALAraAG, à part. 

Et je tremble... et je n'ose parler... 

HËLËfiCE^, preMAt ki:croiz «aas U.lui donner. 

La voici!... .Oserai-je ^ouâ demandâr comment ells se 
^trouve entre vos maias? 

DALAYRAC. 

Elle me vient d'un ami... qui me l'avait confiée... d'un 
jami... dont l'iiistolre vous intéresserait peu**. 

BÉLÈNE. 

Pourquoi donc'f... 

DALAYRAC. 

Il aimait éperdûment une jeune fille qui, renfermée dans 
les murs d'un couvent... (s'arrétant.) C'était... je crois... à 
Toulouse... 

A Toulouse l... 

lULArYAAG. 

Lui était apparue comme l'ange gardien qui devait iveiller 
-sur sa vie... Séparé d'elle, mais fidèle à son image et à son 
souvenir, ni les séductions du monde, ni celles du théâtre, 
n'avaient pu la lui faife oublier... La ^gloire ménie,;quand 
^lle 'dttigaait M sourire, >lui rappelait celle à qui il :1a de- 
vait, celle à qui il eût été si faeupeuxd'en foire hommage... 
Et cependant cette icroix....que le 'hasard peut-être ifU wn- 



LB8 TROIS .NEQ'OliAS 167 

montrer à ses pieds... dans une allée du couvent... Cette 
croix était le seul souvenir qui lui restât d'elle! 

HÉLÈNE. 

Le seul? 

DALAYRAG. 

Et celui d'une romance que bien jeune... il avait compo- 
sée pour elle... la première! Pauvre et simple mélodie... 
bien faible sans doute, que la mémoire oublie aisément et 
que le cœur seul conserve. 

HELENE, prenant une romance raaxuisctite sur la petite table à droite. 

J'en ai une... qui offre à peu près ce caractère, et que 
longtemps... je vous en demande pardon, j'ai préférée aux 
romances mêmes de Dalayrac. 

COUPLETS. 
Premier couplet. 

Pauvre Nicolas 
Nuit et jour soupire 
Son tendre martyce. 
Tout haut et tout bas. 
Pauvre Nieolas ! 



D AL ATRAC, à part. 



Ociell 



HÉI^ENE;, cftrttimMtnt» 

Depuis que je Tai vue 
Tout s'embellit pour moi ; 
Une joie inconnue 
Ile cause un doux émoil 
- Son regard est le livre 
Qui m'apprit le bonheur; 
Je le sens à mon cœur. 
Aimer, c'est vivre! 

1>ALATIIAC« 

BéLèneU. Hélène!... vous ne Pavez pas oubliée!. 



1 



168 OPERAS-COHIQUBS 



HÉLÈNE. 

Et vous? 

DALAYRAC. 

Deuxième couplet. 

Pauvre Nicolas 
Nuit et jour soupire 
Son tendre martyre, 
Tout haut et tout bas. 
Pauvre Nicolas I 

Depuis que je Tadore, 
Plus brillants sont les cieux, 
L'aube est plus belle encore, 
Les oiseaux chantent mieux; 
Tout me charme et m'enivre, 
Tout redit mon bonheur; 
Je le sens à mon cœur, 
Aimer, c'est vivre I... 

(il tombe à ses genoux.) 

HÉLÈNE, effrayée. 

Monsieur ! que faites-vous ! . . . 

DALAYRAC. 

Oui, Hélène, aujourd'hui encore et comme autrefois, cet 
amour est ma vie, et quand je vous revois, quand je vous 
retrouve... vous allez appartenir à un autre... Vous vous 
mariez!... non, ce n*est pas possible!... 

HÉLÈNE. 

Écoulez-riioi. . . j'ai promis... j'ai juré à un oncle qui m'a 
servi de père... à mon cousin, qui m'a sauvé la vie, le vi- 
comte d'Anglars... votre ami, votre admirateur... 

DALAYRAC. 

Que m'apprenez-vous? 

^ HÉLÈNE. 

Qui, dans son enthousiasme, dans son fanatisme, se ferait 



LES TROIS NICOLAS 169 



tuer pour vous. C'est demain que ce mariage a lieu, et le 
rompre en un pareil moment, c'est manquer à toutes les 
convenances, à tous mes devoirs. Il y a là un éclat que je 
ne me sens pas la force de braver... et puis... s'il faut tout 
vous dire... un danger qui me fait trembler... c'est exposer 
vos jours!... 

DALAYRAC. 

Eh! qu'importe!... 

HÉLÈNE. 

Ceux de mon cousin, qui ne supporterait pas un pareil 
outrage... Monsieur... monsieur, voyez si la raison, si l'hon- 
neur ne nous ordonnent pas dô nous séparer... Ayez plus 
de courage que moi.... ce que je dis, faites-le... éloignez- 
vous avec mon estime... avec mon... amitié. 

DALAYRAC. 

Hélène!... 

hëlènl:. 

Oui, mon amitié... et si vous en doutez, celte croix, 
qu'autrefois ma... frayeur seulefit tomber entre vos mains... 
c'est moi qui aujourd'hui vous la donne... recevez-la d'une 
amie qui ne vous oubliera jamais! 

DALAYRAC. 

Ah!... c'est trop d'ivresse et de douleur à la fois!... 

HÉLÈNE. 

Oh! laisez-vous!... partez, partez. 

DALAYRAC. 

Qui? moil 

HÉLÈNE. 

Je vous en prie, partez. 

DALAYRAC 

Vous le voulez... 

HÉLÈNE. 

Oui. 
IV. - xvi:i. 10 



170 0P1SBAS«-C0KIQUXS 

DAL4T1UC. 

Yoas le voulez... adieu 1... adieu!... 

(il «ort TiTsment p«r le fond.) 

SCÈNE VIL 
HÉLÈNE,' puis LE MARQUIS. 

HÉLÈNE, tombant >ur un fauteuil. 

Allons... il n'est plus là... du courage... et tâchons d'ou- 
l)lier... Ciel! mon oncle!... 

LE JllAAQUlS, < se ietant dans un f«ataail à e6té d'Hélène. 

Ouf!... je n*en puis plus... .si cela continue, j'en ferai une 
maladie ; le roi m'a signifié ce matin que la première re- 
présentation du nouvel opéra aurait lieu dans cinq jours, 
sur le théâtre de Fontainebleau... Je suis sur les dents, 
comme mes chevaux, qui depuis trois heures courent avec 
moi après Dalayrac... impossible de le rejoindre, de le ren- 
<5ontrer... 



r « 



HELENE, A part, toujoir» aastie. 

Et tout à Theure il était là... à mes pieds. 

LE MARQUIS. 

Je donnerais tout au monde pour le voir... 

BBLBNE, è part. 

Et moi pour ne l'avoir pas vu ! 

LE MARQUIS, se retournant et apercèrent le yicomte. 

Ah! te voilà!... 



LE& TROIS NICOLAS 171! 

SCÈNE VIIL 
HÉLÈNE, LE VICOMTE, LE MARQUIS. 

LE VICOMTE. 

Oui, mon oncle... (s'inciînant.) Ma cousine! 

LE MARQUIS. 

Viens à mon aide... ie n'existe plus, je sui&mortl... Aussi 
je t'ai chargé de remplir par intérim... 

LE VICOMTE, 

L'intérim que vous remplissez vous-même, et je viens 
VOUS rendre compte d'abord... 

LE MARQUIS. 

Tu vas me parler musique. 

LE VICOMTE. 

Il le faut bien. 

LE MARQUIS. 

Ça me porte sur les nerfs:.. Ma nièce, n'^as-tu pas un 
flacon ? 

HÉLÈNE, la lai donnant. 

Si, mon oncle. 

LE MARQUIS, au yicomtOt tenant le flacon à la main. 

Va, maintenant. 

LE VICOMTE. 

Le concert spirituel de la semaine dernière, je vous en 
avais prévenu, a produit à la cour un déplorable effet ; 
toutes les dames qui ont chanté faux vous en veulent ; elles 
sont d'accord maintenant pour vous desservir anprès de la 
reine. 

LE MARQUIS. 

Et le roi, qui me demande, notre nouvel- opéra d'ici à 
cinq jours... 



172 0PÉRA8-G0MIQUE8 



LE VICOMTE. 

L'impossible ! bravo 1 c'est notre seule chance de salut. 

LE MARQUIS. 

Et Clairval, qui refuse son rôle. 

LE VICOMTE. 

Il y a des moyens... 

LE MARQUIS. 

Le For-l'Évéque!... Une lettre de cachet !... J'en ai uni' 
en blanc, que m'a envoyée le lieutenant de police, pour 
m'en servir, le cas échéant. 

LE VICOMTE. 

Allons donc ! avec un véritable artiste!... (Mettant la leiiro 
dans sa poche.) Trois meilleurs moyens... 

LE MARQUIS. 

Lesquels? 

LE VICOMTE. 

Des éloges... des éloges... et des éloges... il jouera, jo 
m'en charge. Quant aux autres artistes et choristes, ils 
sont tous pleins de zèle. Je viens de les passer en revue, en 
votre nom, à l'hôtel des Menus-Plaisirs, faubourg Poisson- 
nière... C'est charmant... il y a là de frais et piquants mi- 
nois... 

LE MARQUIS, voulant le faire taire. 

Y penses-tu ? 

LE VICOMTE. 

Mais... oui! 

LE MARQUIS, à demi- voix, montrant Hélène. 

Devant ta fiancée ? 

LE VICOMTE, se ravisant, à part. 

Ah diable! c'est vrai 1... (Haut.) Vous disiez donc, mon 
oncle... 



LES TROIS NICOLAS US 

LE MARQUIS. 

Qu'avant de s'occuper des artistes et de l'exécution, il 
faudrait que Topera fût fait. 

LE VICOMTE. 

Je m'en suis occupé, je viens de voir... 

LE MARQUIS. 

Dalayrac ? 

LE VICOMTE. 

Non, Lachabeaussière, et je sais par lui pourquoi Dalay- 
rac ne finit pas son opéra. 

LE MARQUIS. 

Pourquoi ? 

LE VICOMTE. 

Il est amoureux... éperdûment amoureux d'une grande 
dame... sa première, sa seule passion. 

HÉLÈNE, à part. 

Et lui aussi, qui va m'en parler ! 

LE VICOMTE. 

Uaventure est singulière... elle vous intéressera... ma 
cousine aussi... cela intéresse tout le monde... un amour 
enraciné par le temps, réveillé par le hasard et offrant les 
symptômes les plus alarmants, car on ccaint que son génie 
ne s'éteigne... 

HÉLÈNE. 

Ah! mon Dieu!... 

LE VICOMTE. 

Que sa raison ne s'égare... comme celle du Tasse amou- 
reux de la princesse Éléonore. Comprenez-vous, ma cou- 
sine, que cette femme-là puisse lui résister? 

HÉLÈNE, à part. 

On dirait qu'il le fait «exprès ! 

LE VICOMTE. 

Enfin, convenez-en vous-même, mon oncle, quand vous 
entendez ses mélodies... 

10. 



174 OPlfeRAS-GOMIQUBS 

LE MARaUIS.. 

Ça me lût mal à la tètel... 

LE VICOMTE. 

Non, ça vous charme, ça vous enivre, on est subjugué... 
on ne s'appartient pks... Si j'étais femmev je serai» folle 
de lui. 

HÉLÈNE, à part. 

Il le veut... il le veut absolument... Aussi quel bonheur 
qu'il soit parti! 

LE VICOMTE. 

Rassurez-vous, du reste, il va venir. 

LE MARQUIS. 

Lui? Dalayrac? 

HÉLÈNE.. 

Comment? 

LE VICOMTE. 

Oui, grâce à moi. Imaginez-vous qu'il préparait tout pour 
son départ... il l'avait avoué à Lachabeaussière... il vou- 
lait aujourd'hui même quitter Paris. 

LE MARQUIS. 

Tout était perdu. 

LE VICOMTE. 

Certainement! «Courez... retenez-le... me suis-je écrié, 
dites-lui qu'il ne peut s'éloigner sans faire ses adieux à ses 
meilleurs amis... qu'on, l'attend à la place Royale, à l'hôtel 
Villepreux.^. au nom de mon oncle, de ma cousine, de 
toute la famille, au nom de l'amitié enâo... » et, je le cou* 
nais, il viendra. 

LE MARQUIS* 

Il ne viendra pas... 

HÉLÈNE, è part. 

Il viendra ! 



< » . 



LBS TROIS NICOLAS 175 

LE YIGOMTE. 

On a frappé à la porte de Thôtel... c'est lui. 

r \ 

HELENE, vÎTement et dans la plus grande agitation depuis le commence- 
ment de la seène. 

Messieurs, je vous laisse. 



LE VICOMTE. 

Oui, laissez-nous ensemble. 

LE MARQUIS. 

C'est ça... continue mon intérim. 



(Elle sort.) 



(U sort.) 



SCENE IX. 
LE VICOMTE, pais DALAYRAC. 

LE VICOMTE, regardant par la porte du fond. 

Il monte pensif et rêveur le grand escalier... il lève la 
tête... il m'aperçoit... ce cher amil... (luI tendant les bras.) 
Eh bienl... il s'enfuit 1... non pas.... 

(n s'élance, sort quelques instants et neatre tenant par le bras Dalayrac 

qui: cherche: à loi échapper.) 

HUO. 

LE VICOMTE. 

Non, non, je ne vous quitte pas. 
Non, non, je ne vous lâche pas... 

DALAYRAC. 

Ah I... ne retenez pas 
Mes pas!.,. 

LE VICOMTE. 

Non, non, je ne vous lâche pas!... 

DALAYRAC. 

Au théâtre je dois me rendre..»- 



176 OPÉRAS-COMIQUES 



LE VICOMTE. 

Le' théâtre peut bien attendre... 
Rien qu'un instant... 

DALAYRAC. 

Je vous en prie... 

LE VICOMTE. 

Un seul moment ! 

DALAYRAC. 
Je vous supplie... 

LE VICOMTE. 

Non, non, je ne vous quitte pas, 
Non, non, je ne vous lâche pas. 

DALAYRAC. 

Ah! ne retenez pas 
Mes pas!... 

LE VICOMTE. 

Non, non, je ne vous lâche pas, 

Je vous tiens, morbleu! je vous garde... 

DALAYRAC, d part. 

Je voulais la revoir... c'est lui 
Que, par malheur, je trouve ici. 

LE VICOMTE. 
Et tant pis si je vous retarde. 
Vous m'écoutercz jusqu'au bout. 
Pas de mystère... je sais tout. 

DALAYRAC, inquiet. 

Vous savez tout... 

LE VICOMTE. 

Oui, je sais tout. 
Vous aimez!... je lis dans votre âme, 
Mais vous aimez comme jadis 
Aimaient, dans leur naïve flamme. 
Les Roland et les Amadis! 



LES TROIS NICOLAS lll 



DALAYRAC. 

J'aime... vous lisez dans mon àmc... 
J'aime... c'est vrai... comme jadis 
Aimaient, dans leur naïve flamme, 
Les Roland et les Amadis ! 

LE VICOMTE. 

Modèle de galanterie, 
Sans espoir, soupirant toujours. 
Par vous renaissent les beaux jours 
De la chevalerie ! 

DALAYRAC, à part. 
Allons... il ne sait rien... 
(Haut.) 
Mais trêve de plaisanterie... 
Si vous saviez quel ^mour est le mien! 

LE VICOMTE. 

Ah! ah! ah! c'est fort bien, 
C'est sublime... par ce moyen, 
Vous ne réussirez à rien. 
Aujourd'hui, loin que l'on hésite, 
Nous agissons mieux et plus vite. 

DALAYRAC. 

C'est vous qui me le conseillez? 
C'est vous ainsi qui me parlez ? 

LE VICOMTE. 

Laissez-moi, galant précepteur. 
Vous mener tout droit au bonheur 
Sans sérénade! 

DALAYRAC. 

Sans sérénade! 

LE VICOMTE. 

Par escalade... 

DALAYRAC. 

Par escalade!... 



178 op£bàs-gomtque8 



LE VICOMTE. 
Pendant la nuit... 

lULAYRAC. 

Pendant la nuitr 

LE VICOMTE. 
On s'introduit... 

DALAYRÀC. 

On s'introduit... 

LE VICOMTE. 

Puis, pour livrer la bataille... 

DALAYRAC. 

Puis, pour livrer la bataille... 

LE VIGOMTB. 

Prenez, comme on fait toujours... 

\ 

DALAYRAC. 

Prenons, comme on fait toujours... 

LE VICOMTE^ 

Manteau couleur de muraille... 

DALAYRAC. 

Manteau eouleiaF de muraille... 
le: vrconTre. 

Et le masque de- velours. 

DALAYRAC. 
Et le masque de velours.. 

LE VICOMTE et DALAYRAC. 

Sans sérénade 
Par escalade. 
Pendant la nuit 
On s'introduit!... 

DALAYRAC. 
Mais vous allez me trouver ridicule!... 



;, 



liBS XROJS KIGOLAS 179 



LE VICOMTE. 

Comment! encor vous êtes indécis*.. 

OÀLÀ'YRAG. 
d'est, qu'entre nous, il me vient un scrupule. 
Si mon rival était jle mes aspiis ?^. 

LEVICOâlTE. 

Raison de plus!... ah! ah!... l'exceUent tour 
Il n'est point d'amis en amour! 

DALAYAAC. 

Merci, merci, 
J\lon cher ami! 

LE VICOMTE. 

N'ayez souci 
De votre ami!... 

Ensemble. 

DALAYRAC. 

Ravissante aventure! 
La drôle de figure 
Que fera mon ami! 

Ce cher ami. 

Ce doux ami, 

Ce tendre ami! 
Ah! je le vois d'ici!... 

LE VICOMTE. 

'Rai^ssante aventure! 
La dr61e de figure, 
^%te fera votre ami, 
Ce cher ami, 
Ce doux ami. 
Ce tendre ami. 
Ah! je le vois d'ici !... 

LE VICOMTE. 

Osez, osez donc, vous dis-je... 



180 OPÉRAS-COMIQUES 



DALAYRAC. 

Vous le voulez? 

LE VICOMTE. 

Je l'exige 1 
C'est le plus cher de mes vœux, 
Je le veux, oui, je le veux!... 

Et puis, quant à l'ami. 

Ma foi, tant pis pour lui! 

DALAYRAC. 

Merci, merci. 
Mon cher ami! 

LE VICOMTE. 

N'ayez souci 
De votre ami! 

Ensemble. 
DALAYRAC. 

Ravissante aventure I etc. 

LE VICOMTE. 

Ravissante aventure! etc. 

C'esl convenu... vous ne partez pas... vous ne partez 
plus... nous pénétrons jusqu'à notre héroïne, nous faisons 
tomber les murs de son castel... en musique, comme ceux 
de Jéricho... nous l'enlevons elle-même s'il le faut!... (Lui 
donnant une poignée de main.) Je VOUS y aiderai, Comptez sur 
moi, à la vie à la mort ! Adieu... je vous laisse avec mon 
oncle, (a part, en sortant.) Je cours rejoindre Lachabeaussière 
et lui raconter le premier chapitre du roman. 

(il sort por la porte à droite*) 



I / 



LES TROIS NICOLAS l&l 



SCENE X. 
DALAYRAC, ROSETTE. 

DALAYRACy qui est tombé dans un fauteuil, près de la table & gaucho, 
saisit Tirement une plume, et écrit avec agitation. 

Le ciel m'est témoin que je voulais seulement faire mes 
adieux à Hélène ; puis, respectant ses ordres et les droits 
d'un ami... m'éloigner pour toujours... Mais on me retient... 
on le veut... que mon sort s'accomplisse I 

ROSETTE qui est entrée par la porte à gauche, aperçoit Dalayrao. 

Notre beau garde du corps... qui écrit avec agitation et 
comme s'il avait la fièvre... 

DALAYRAC, pliant sa lettre et j mettant un pain à cacheter. 

Ah ! c'est la gentille soubrette !... 

ROSETTE. 

Vous êtes bien bon !... 

DALAYRAC. 

Qui, le jour de la pluie, partageait mon humble toit!... 

ROSETTE. 

C'est dans les jours d'orage qu'on reconnaît ses amis ! 

DALAYRAC. 

Aussi, je compte sur toi aujourd'hui : cette lettre pour 
la maîtresse, cette bourse pour la messagère... tu com- 
prends ? 

ROSETTE. 

Toujours... Au revoir, monsieur l'officier 1 

DALAYRAC, sortant par le fond. 

Au revoir!... 

ROSETTE. 

Et bonne chance !••. il est gentil 1 

Scribe. — Œuvres complètes. IV"»» Série. — I8«»e Vol. — il 



182 dP^WAS-aOHlQUlS 



SCÈNE XL 
ROSETTE, THIAL. 

(a pehw Daiayrac 08«-il Mrtiy que Trial parait' è la poster àe L'eMaUar 
de mrticeif qu'il oerra mytMrieawawnt. ) 

TRIALy aprèa aroir regardé de tons côtés. 

Pst!... pst!... Rosette! ce billet pour ta maltresse... 

ROSETTE, à part. 

Bah ! . . . comme l'autre ... 

TRIALy loi dOBOant aae pièee de monnaie^ 

Tiens... prudence et discrétion I 

(il s*ee<||iiTe.) 
ROSETTE, regardant le pièce. 

Un petit 6cu... je t'en donnerai pour|ton argent ! Déci- 
dément, je passe à Tétat de boîte aux lettres J (Mettant chaque 
lettre dans une poche.) Là, Celle du garde du corps ; ici, celle 
de M. Trial. Je ne suis pas curieuse, mais j.e voudraisjbien 
savoir... 

COUPLETS. 
Premier couplets 

Messager discret, 
Tout couleur de roses,. 
Ah 1 si l'on t'ouvrait, 
Gomme on apprendrait 
De gentilles choses î 

A travers les plis 
Je erois qne je lis 
Le mot le plus tendre, 
Mot bien plus charmant 
Alors qu'un amant 
Nous le fait entendre! • 

Messager discret^ etc. 



LES- i»iiois wrct)tAs 183- 



Deuxième couplet» 

C*est ainsi toujours!' 
Les maures discours 
Servent à nous prendre ! ' 
r Cédez à mes vœux, 
« Partagez mes feux, 
<c Ou j lirai .m£.pdâdrftJ » 

Messagier discret, etc. 

Commençons par le message le plus important; celui 
de l'officier... ma foi! le moyen de savoir, c'est de voir f 

(Elle cherche à lire en entr'ouTrant la lettre.) Ce n'est paS facile!..^ 



SCENE xm 

ROSETTE, assise à la table à ganehe, cherchant à lire-'; LE MAR*- 
QUIS| sortant de la porte à gancfae^ et •'érançant' derrière elles 

LE MARQUIS, apercevant Rosette, et Inî arrachant la lettre. 

Ah ! je vous y prends, friponne I... 

ROSETTE, effrayée. 

Ah ! mon Dieu !... 

LE MARQUIS. 

Qu'est-ce que c'est que ce billet?... 

ROSETTE,, troublée. 

Je n'en sais rien... c'était là, sur le coin de cette table^ 

LE MARQFIS. 

Pas d'adresse : alors c'est pour moi... c'est pour tout le 
monde. 

(Ouvrant Ta lettra.) 
rosette; à part. 

Voilà une aventure ! 



»* ■ 



\: 



184 OPÉRAS-COMIQUES 

LE MARQUIS, & part, lisant. 

« Je meurs, si je ne vous vois, mon ange bien-aimée !... » 
(s*interrompant.) Ce n'est pas pour moi... c'est pour ma nièce... 
un amoureux sérieux, c'est-à-dire délirant, qui perd la tète ! 
Il demande un rendez- vous pour ce soir, à dix heures... 
quand je disais à mon neveu qu'il s'occupait trop de musique 
et pas assez de sa prétendue!... (continuant de lire.) « En cas 
« de consentement, qu'au reçu de cette lettre un flambeau 
«à cette fenêtre... » le prévienne... L'impertinent!... et 
quel est-il donc? (Regardant la signature.) Nicolas !... pas d'au- 
tre signature ! Nicolas 1... Nicolas !... ce n'est pas un nom! 
Qui donc, je vous le demande, s'appelle Nicolas?... N'im- 
porte !... il existe, il aime, il ose espérer ! Et si cette lettre 
était tombée entre les mains de mon neveu... c'était fini!... 
il ne s'occupait plus de moi, de mon opér^, ni de mes 
affaires ! Celle-là me regarde seul : il s'agit de ma nièce... 
pas de bruit, pas d'éclat... Dès qu'il ne faut plus s'occuper 
de musique, je retrouve ma tête... j'ai même des idées! 
Congédions d'abord l'audacieux ; mais, pour le congédier, 
il faut le connaître... il faut savoir surtout s'il est aimé de 
ma nièce... j'ai un moyen. (Regardant la lettre.) Il parle, pour 
ne pas être reconnu par nos gens, de venir masqué et dé- 
guisé... à merveille! 

ROSETTE, à part. 

Qu'a-t-il donc à dialoguer ainsi tout seul ? 

LE MARQUIS. 

Occupons-nous d'abord du signal... 

(il prend une table, et la porte contre la fenêtre.) 
ROSETTE, à part. 

Voilà qu'il remue les meubles...' 

LE MARQUIS. 

Un flambeau près de la fenêtre... 

ROSETTE, à part. 

Il prend un flambeau. 



LES TROIS NICOLAS 185 



LE MARQUIS. 

Mettons-en deux pour y voir plus clair. 

ROSETTE) à part. 

Deux flambeaux... il fait le ménage I 

LE MARQUIS. 

Maintenant, remettons ce pain à cacheter, encore hu- 
mide... 

ROSETTE, è part. 

Qu'est-ce que celte lettre renfermait donc, pour lui don- 
ner tant de mal?... 

LE MARQUIS. 

Allons rejoindre ma nièce au petit salon, où elle travaille 
en ce moment, glissons cette missive dans sa boîte à ou- 
vrage, et après cela ici, à mon poste ! 

• (il sort par la goucbo sur la pointe du pied.) 



SCENE XIII. 
ROSETTE, LE VICOMTE. 

ROSETTE. 

On dirait que ce billet est pour lui, tant il a Pair con- 
tent ! Quel dommage de n'avoir pas pu le lire ! (Allant s'as 
seoir à droite.) Allous, je me rattraperai sur l'autre ! (Entr*ou- 

vroDt la lettre.) Vovons un peu... 
LE VICOMTE, entrant par la porte â droite et lui prenant la lettre. 

Qu'est-ce que tu veux voir, curieuse ? 

ROSETTE, à part. 

Oh I je n'ai pas de chance ! (Hout.) C'était une lettre que 
fai trouvée là... d'un inconnu... 

LE VICOMTE. 

Que tu voulais connaître... (Regardant la lettre, à part.) Pas 

d'adresse... du mystère... ça me va... lisons. Pas de signa- 



186 .OPÉRAS- G O.llIQ USB 



ture... mais c'est pour ma eou»me, pour ma fiancée. Quel 
est le fat mal élevé :qui osa lui Adresser, un billet aussi mal 

écrit ?»(Se levant.) Ah! je lui apprendrai... (S'arrêtant en riant.) 

Ce serait lui faire trop d'honneur ! Ce n'est pas là un style 
à... et, puisqu'il parle, pour ce soir, de déguisement et 
d'escalade... parbleu !... la lettre que m'avait donnée mon 
oncle. . . la' lettre de cachet. . . C'est cela 1. . . sans me nommer, 
sans apparaître en rien, envoyer le galant qui venait chanter 
à l'espagnole sous le balcon, l'envoyer, lui et sa romance, 
coucher au For-rÉvéque, avec aecompagneraent... de -sol- 
dats du guet... c'est cela! (Relisant la lettre.) Et puisque.k 

nuit est le signal qu'il demande, hàtons-nous de le donner • 

(il rSQn£fle Us deux bonglM. ) 

r 

BOSETTE, À psi-t, mirent lu tnmvnmmoUa éjx Timmte. 

Ëh bien! il éteint un flambeau... îl en éteint deux... et 
son oncle qui les avait placés là... quelle aventure! 

(Le vicomte sort par la porte du fond. Nuit complète.) 



.SCÈNE XIV. 
TIOSETTE, puis TRIAL. 



ROSETTE, rsenla. 

.Ehhian !. il s'ren va, et je ne sais rien, absolument rien I... 
toujours la même obscurité... c'est-à-dire plus grande 
encore! La fenêtre s'ouvre... qu'est-ce que ce peut être? 

(Paralt à la fenêtre, Trial, en domino noir, avec un masque.) 
TRIAL, se. frottant les reins. 

Brutal . de . jardinier ! . . . Heureusement il faisait nuit. . . 
L'honneur est intact, mais le reste... Tâchons de nous orien- 
ter... (Rencontrant un meuble.) Aïe! je me Suis fait mal... 

R0SETT19, qai est. près de iui, .à ^part. 

.C'est H. Trial!. ...Ah! monbeau chanteur, vous .n!aimez 



s. 



LES TROIS NICOLAS 187 

pas les femmes de chaHibrie... il yoas faut des chanoines- 
:ses... Vous en aurez, et de parfumées. 

(eUo prend on flacon sur la table, à ganolut» et s'inonde de parfums.) 

FINALE. 

TRIAL. 
Près d'une grande dame, 
Dieu merci! 
Me voici ! 

ROSETTE. 

Près du roi de mon âme, 
Dieu- merci ! 
Me voici! 

TRIAL, % part. 

Quelle douce espérance! 
Tout va 'bien; 
Je la tienJ 

ROSETTE. 

Quelle douce vengeancel 
Tout va bien ; 
Je le tient... 

TRIAL, à part. 
Obscurité charmante. 
Heureux comme un marquis, 
Je sens ma noble amante 
A ses parfums exquis I 

ROSETTE et TRIAL. 

Il sae semble 
Que je tremble ; 
Mon bonheur 
Me fait peur ! 

TRIAL, à part. 

AU diable la modestie!... 



] 



188 0PERAS-C0UIQUE8 



ROSETTE, è part. 

Au diable la pruderie I 
Avançons ! 

TRIAL, à part. 
Attaquons!... 
(Haut.) 

Excusez-moi si j'ose 
M'élever jusqu'à vous! 

ROSETTE, à part. 
Jusqu'à moi... la belle chose!... . 

TRIAI.. 

Je suis à vos genoux, 
Si vous daignez pardonner ma tendresse, 
Sur votre main, permettez, chanoinesse, 

De prendre un seul baiser, 

Un tout petit baiser. 

(U cherche à saisir la main de Rosette.^ 

ROSETTE, é part. 

Quel excès de tendresse! 
Mais je suis chanoinesse. 
Je dois le refuser. 
(Elle repousae la main de Trial arec un coup d'érentail.)- 

TRIAL. 

Aïe! aïe! adorable méchante! 

(Même jeu de Rosette.) 
Aïe ! aïe ! quelle grâce touchante ! 
Frappez ! ne craignez rien I 
Ce mal fait tant de bien!... 

(a part.) 
Bourgeoises si piquantes. 
Oui, vous êtes charmantes; 
Mais on dira 
Ce qu'on voudra, 
Vous n'avez pas ces façons-là ! 



LES TROIS NICOLAS 



189 



SCENE XV. 

TRIAL, ROSETTE, à droite duthéâlre; LE MARQUIS, entr'ou- 
Trant la porte de gauche» entre sur la pointe du pied ; il est, comme 
Trial, en domino noir, avec un masque ; HELENE. 



LE MARQUIS, au milieu du théâtre, à part. 
Par une habile trame. 
Ayant lui 
Me voici!... 

HELENE, entrant par la porte de gauche, à part. 
Quel trouble dans mon âme 
A produit 
Cet écrit!... 

LE MARQUIS, à part. 

Mon rôle ici commence; 

Observons, 

Écoutons!... 
HELENE, dans le plus grand trouble. 

Partager sa démence, 
Je ne peux, 
Je ne veux... 

TRIAL, tenant la main de Rosette. 
Quelle main enchanteresse 

Au toucher de velours ! 
La main d'une chanoinesse 

Se reconnaît toujours!... 

Ensemble, 
HÉLÈNE. 

11 me semble 
Que je tremble ; 
J'ai grand peur 
De mon cœur ! 

LE MARQUIS. 

Il me semble 



11. 



190 OPKRAS-GOAIIQUSS 



Que je tremble; 
Non,. Taon cœur 
N'a pas peur ! 

TRIAL et ROSETTG. 

Il me semble 
•Que je tremble; 
Mon bonheur 
Me 'fait peuri 

HELENE, faisant quelques pasTers le milieu. 
A ses projets, je le suppose. 
Il aura renoncé... 

(EUe reooontre le marquis, é«nt «lie toacfae la main.) 
Juste tiel ! est-ce yious ? 

LE MARQUIS, à voix basse. 
Oui! c'est moi !... 

(a part.) 

L'incroyable chose!... 
Elle a eu le billet... et vient auTend«&*vous!... 

H£LEI\£, à demi-Toix au marquis. 
Je n'avais pas donné le signal... ,et pourtant 

Vous osez venir!... imprudent! 
Je vous ai dit pour vous quelle était ma faiblesse ! 

LE MARQUIS, à part. 

J'ai peur pour mon neveu! 

BÉLÈNE. 

Je .TOUS ai dit aMS&i 
■Que fidèle au devoir... 

LE MARQUJS^ .à part. 

Bravo ! bravo 1 ma nièce ! 

HÉLÈNE. 

Je me dois toute à mon mari! 

LE MARaUfS, à part. 
Pour l'honneur d'un neveu, destin, je te rends grâce I 
Mais celui dont j'ai -pris la place. 
Quel est-il?... J'en perds la raison! 



liES TR(OIS NICaJUÂS 191 



X^l^U49 À àrqite, A Aftsette, en lai 4MB«At une bague. 
{)ni, daignez accepter ce cLqd, 
Que je vous offre au nom 4& Cupidon ! 

Oui, fuyons le péril. 

LE MARQUIS, â part. 

(Ce rival, quel est-il?... 
(Rosette, qui était à gavche, s'échapfte .des hrt^ âe Trial.) 

TRIAL. 

De tant de rigueurs je suis las!... 
\Il fait quelques pas vers le milieu pour joindre 'Rosette, et rencontre le 

marquis.) 

LE MARQUIS^ .« part. 

Ah I je le tiens enfin, ce monsieur Nicolas l 
Àh! morbleu! ne le lâchons pas! 
Eh! mais... c'est lui qui me serre en ses bras!... 
Résistons!... 

TRIAL. 

Âh ! cédez l ou je me meurs, hélas ! 
{Le marquis se dégage des jbras de Trial et va tomber sur un fauteuil à 
droite. Trial le suit et se jette à ses genoux, et pendant quelque temps 
il a l'air de lui parler bas et yiyement.) 

SCÈNE XVI. 

HELËNE, DALAYRAC, «ntrant par \ë. >i6<ié4r«, H est, comme Trial 
et le marquis, en domino noir arec nn ^masque; TRIAL, LE MAR- 

QUIS, ROSETTE. 

DALAYRAG, à part. 
Ivre d*amour, au rendez-vous fidèle, 
7e m'avançais et je n'hésitais pas... 
Et maintenant que je me sens pr^s «d'elle 
Je tremble et n'ose faire «n pas. 
(Le jauxq^Bf pseiaé par JriaL, se lô?e bma^quement, passe devant lui e 



192 OPÉRAS-COMIQUES 

gagne le miliea da théâtre ; Trial le suit et lai prend la main gauche, 
Dalayroc, s'avancant en ce moment yers le miliea da théAtre, le ren- 
contre et lui prend la main droite.) 

DALAYRAC, à demi-Yoiz. 
Est-ce vous? 

LE MARQUIS, à part. 

Âh! grand Dieu ! l'on me prend l'autre bras!... 
Serait-ce un autre Nicolas? 
De peur de me trahir, je n'ose faire un pas !... 
(Moment de silence. On entend du bruit au dehors. Effroi de tous les 

personnages, qui semblent écouter.) 

TRIAL et ROSETTE. | 

Quel bruit !.•• j 

DALAYRAC. 1 

Quel bruit!... ; 



LE MARQUIS. 

Quel bruit!... 



HÉLÈNE. 



Mon cœur tremble et frémit!... 

TRIAL, LE MARQUIS, DALAYRAC. 

Quel bruit 
Importun et maudit!... 

TOUS. 

11 s'approche! il grandit!... 

HÉLÈNE, à part. 
Sans plus attendre, 
Échappons-nous ! 
(Elle entre dans la chambre à gauche, mais reste sur le seuil.) 

ROSETTE, à part. 

Craignons l'esclandre 
D'un pareil rendez-vous! 

(Elle entre à droite et demeure sur le seatl.) 



LES TROIS NICOLAS 193 



DALAYRAC et TRIAL, s'adressent au marquis, qai est debout entre eux 

deux* 
Rassurez-Yous, madame; 
A vous mes jours, mon âme, 
Et mon plus tendre aveu, 
Et mon amour de feu! 



SCENE XVII. 

DALAYRAC, LE MARQUIS, TRIAL, HÉLÈNE, ROSETTE, 
LE VICOMTE, JOLIVARD, Exempts de Police, Soldats 

DU Guet, Gens de la maison, portant des flambeaux. 

(Pendant toute cette scène, le vicomte enreloppé dans tin grand man- 
teau, aTec un chapeau à larges bords, donne mystérieusement des 
ordres à Jolirard et de manière à n*étre pas vu par les prineipaax 

personnages. ) 

LES EXEMPTS. 

Ah ! ah ! la belle affaire 

Pour des exempts 

Intelligents I 
Ah! ahl le téméraire, 

Nous le cernons, 

Nous le tenons! 

JOLIVARD, se désignant lui-même* 
Je suis le secrétaire 
Du lieutenant civil! 

DALAYRAC; LE MARQUIS, TRIAL. 

Ici pourquoi vient-il? 

LE VICOMTE, à voix basse à Jolivard. 

Vous m*avez bien compris?... 

JOLIVARD, à voix basse au vicomte. 

Oui, la voiture est prête... 

LE VICOMTE, lui donnant un papier scellé. 

Il faut, sans me nommer, voici l'ordre formel, 



-191 OPÉKAS-aOHfQUfiè 



Que a«afi éclat à Tinstant on arrête 
Celui qu'on trouvera masquée jdaus cet hôtel!... 

fOUVARB. 

Ah! qu'est-ce que je TOt«? 
Mais ils sont trois! 

LE VICOMTE, HÉLÈNE, ROSETTE. 

Mais ils sont trois! 

DALAYRAC^ TRIAL, LE MARQUIS. 

.Kws soQQdB^s trois ! 

t£ cHcecm. 

Oui, trois ! 

LE VICOMTE, à Jolivard. 

Que signifie une telle équipée? 
A ehaeim d eux, .d'abord, demandez son épée 1 

lOLIVAUD, s'avancant ren les trois hommes masqués et aree gravité» 

Au nom du roi 
Représenté ,pAr i&joi, 
Votre iépée ! 
{Oalayrae, Trial et le marquis ticent leur ^e et ia remettent à Jolirard.) 

LE VICOMTE, à J«Uvard. 
Ces messieurs, si j*en crois mes yeux. 
Ne sont pas des voleurs, mais bien des amoureux. 
Et de peur du scandale en ce galant mystère. 
Ailleurs que dans l'hotel ie lait doit .s'^pHquer. 
Emmenez-les tous trois et ^ans les démasquer. 
Au For-l'Évêque, où s'instruira l'affaire. 

JOUVARD. 

Mais sous quels noms les écrouer! Vos noms? 
Ils ne répondent pas... pour de bonnes raisons! 

LE CHOGU&. 

Vos noms, vos noms, vos noms?... 
Point de résistance ! 
'Rompez le -silence. 
Votre nom« 
Ou sinon!... 



UBS rTaoïs iNicati*A:.s iô5 



Ensemble. 

DALAYRAG «t TKÏHO,. 

Dans un piège on m'attire, 
Ahl cachons bien mon nom; 
Plutôt que de le flire 
Cent fois imrâux la .pj»80&! 

LE MARQUia. 

De moi l'on pourrait rire. 
Ah! cachons bien mon nom : 
Plutôt que de le dire 
Suivons-les en .prisoa! 

DALAYRAC) à part. 

Eh! parbleu, pourquoi pas? 
(Haut.) 

j NieolAS ! 

LE MARQUIS, avec joie. 

Nicolas ! 

:LB vicomte, arec un sentiment de colère concentrée. 
Nicolas ! 

HÉLÈNE, arec anxiété. 

Nicolas I 

JOLIVARD, TRIAL e/t'R06BTnB,'aTec surprise. 
Nicolas ! 

LE CHOEUR. 

Nicolas ! 

LE MARQUIS, ^ part. 

Le voilà donc, ce Nicolas ! 
Pour moi plus d'embatr^. 



496 OPÉRAS-COMIQUES 



JOLIVARD et LE CHOEUR à Trial et au marquis. 

Point de résistance! 
Rompez le silence. 

Votre nom, 

Ou sinon!... 

TRIAL. 

Eh! parbleu, pourquoi pas? 
(changeant sa roix.) 
Nicolas! ' 

LE VICOMTE. 

Nicolas ! 

DALAYRAC. 

Nicolas ! 

JOLIVARD. 

Nicolas ! 

TRIAL, HÉLÈNE, ROSETTE. 

Nicolas ! 

LE MARQUIS. 

Nicolas... un second! 

LES EXEMPTS, au marquis. 

Votre nom? votre nom? 

LE MARQUIS. 

Eh! parbleu... comme eux... pourquoi pas? 
(changeant sa roix.) 
Nicolas I 

TRIAL. 

Nicolas ! 

DALAYRAC. 

Nicolas ! 

LE VICOMTE. 

Nicolas ! 



* 



LES TROIS NICOLAS 197 



HELENE et ROSETTE. 

Nicolas ! 

LE CHOEUR. 

Nicolas ! 

JOLIVARD. 

Quel embarras! 
J'ai sur les bras 
Trois Nicolas ! 

TOUS. 

Trois Nicolas! 

Ensemble» 

LE VICOMTE et LE MARQUIS, TRIAL ei DALAYRAC, JOLIVARD, LES 
EXEMPTS, LES SOLDATS DU GUET. ^ 

La chose est incroyable, 

Inexplicable, 

Inconcevable, 

Impénétrable, 

Invraisemblable ! 
Dans cet hôtel comment 
Pareil événement? 

Un Nicolas, 

Deux Nicolas, 

Trois Nicolas, 

Quel embarras! 

LE VICOMTE, à part. 

Ah ! si je m'en croyais, 

(Faisant le signe d'arracher le masque.) 
A l'instant je saurais... 
(Montrant les exempts et les soldats.) 
Mais non... pas devant eux... l'honneur de ma cousine. 
Veut qu'entre nous, sans bruit, l'affaire se termine. 



^ 



198 OPÉRAS- GO MIQUBB 



Et ma Tengeance ailleurs retrouyera %w droits ! 

(Bas à Jolivard.) 
Au For-rÉvéc[ue tous les trois ! 

JOLIVARD, aux exempts. 
Au For-FÉvêque tous les trois ! 

TOUS. 

La chose est iacroyabie, ete. 

>{Sar an signe do Jolirard, les exempts eaioarent les trois hommes mas- 
qués et se préparent A les emmener.) 




I — w<r *- 




ACTE TTtOISlÈHB 

Un a^da élégant à l'ioteodaace d«s Uenas-PIaisirs. — Portes au fond. 
SbiT'Jie pmiâ«r plan de cbague côté, une porte; au-dessus un œil-de- 
bfiaf* JL.«Ufiit« imeaBApé. 

(an lerer dn xideau^ des jeanes élètes de TOpéra font des battements et 
d«s plies. — Sur le devant de la scène, deux jeunes filles dansent 
la gavotte, que le maître <à danaer exécute aor sa pochette.) 

SCÈNE PREMIÈRE. 
LE VICOMTE, UN Maître a danser, Danseuses. 

LE vicomte. 
Ahl ah! on travaille déjà aux Menus-Plaisirs... mes petits 
anges, (suest saluent.) C'est très^bieu, monsieur Ballon, maître 
à danser aux Menus-Plaisirs... vos élèves sont charmantes... 
charmantes... (Apercevant LacbabeAusûàre.) Mais laissez-nous... 
nous sommes en affaires. 

(Les danseuses sortent arec le maître à danser.) 

SCÈNE n. 

LE VICOMTE, LAGHABEAUSSIÈRE. 

LE VICOMTE. 

C'est bien, mon cher Lachabeaussière, l'exactitude même 

JUACHABEAUSSIERE. 

J*étais encore au lit quand j'ai reçu votre lettre... et me 
iroM! Huit heures précises du matia. 



200 OPERAS-COMIQUES 



LE VICOMTE. 

Prenez garde! passez par ici... il y a là, je crois, une 
trappe. 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Gomment, une trappe? Sommes-nous donc à Venise ou à 
l'inquisition? 

LE VICOMTE. 

Cette salle, qui sert aux répétitions, est machinée comme 
à l'Opéra. Non, non, soyez tranquille. C'est fermé... rien à 
craindre... J'ai aussi écrit à Dalayrac de très-bonne heure, 
il était déjà sorti... Aussi nous sommes obligés de l'at- 
tendre. 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Et pourquoi donc? 

LE VICOMTE. 

Pour être mon témoin. 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Un duel!... bravo! 

LE VICOMTE. 

Allons donc ! est-ce que je vous dérangerais pour si peu 
de choses ?... Trois duels, mon cherî 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Trois!... 

LE VICOMTE. 

Ici, dans les jardins de l'intendance, qui sont immenses... 
ça se passera en famille, entre amis' et sans que Paris en 
•sache rien... c'est là l'essentiel. 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Et la cause de l'affaire?... 

LE VICOMTE. 

Voici, nous ne sommes plus en carnaval, et hier soir, 
cependant, trois cavaliers masqués se sont introduits dans 
l'hôtel de mon oncle, place Royale, portant tous les trois 



LES TROIS NICOLAS 201 

pour seule désignation le nom de Nicolas* C'est une mys- 
tification, ça me val je les aime... quand je n'en suis pas 
Tobjet. Une plaisanterie en vaut une autre, et comme j'a- 
vais par hasard à ma disposition une lettre de cachet dont 
je ne savais que faire, je les envoie par le ministère d'un 
exempt coucher tous les prois au For-l'Evêque, et moi je 
gagne mon lit, où je comptais dormir tout d'un somme... 
Point du tout, je suis réveillé par l'exempt, m'annonçant 
que le gouverneur du For-l'Evêque n'avait pas voulu, sur 
une seule lettre de cachet, recevoir trois prisonniers ; qu'un 
seul avait obtenu là faveur d'entrer... et que ledit exempt, 
ne sachant que faire des deux autres, venait me demander 
pour eux un placement convenable. 

LAGHABEÀUSSIÈRE. 

Eh bien, qu'avez-vous fait? 

LE VICOMTE. 

Je les ai envoyés à l'intendance des Menus-Plaisirs, dans 
les domaines de mon oncle, l'un de ce côté, (Montrant u pone 
de droiie.) Tautrc de celui-ci. C'est là qu'ils auront passé, je 
le présume, une assez mauvaise nuit! Mystification qui ré- 
pond à la leur, et maintenant je viens me mettre aux ordres 
des trois Nicolas, y compris celui du For-l'Evêque, que 
l'on va m'envoyer ce matin. 

LAGHABEÀUSSIÈRE. 

Tous les trois réunis, ce sera plaisant. 

LE VICOMTE. 

Oui... un morceau d'ensemble, un trio... 

LAGHABEÀUSSIÈRE. 

Toujours musicien ! 

LE VICOMTE. 

Il ne manquait que des témoins, j'en ai prévenu trois... 
vous, Dalayrac et mon oncle. 

LAGHABEÀUSSIÈRE. 

Votre oncle! 



^ 



202 FERAS -C01IÏ Qirics 

Lff'VicowrB. 

C'est chez lui qne ces messieurs avaient placé la soèncCw* 
aussi je lui ai écrit de nous arriver au plus vit'e... et le. void 
sans doute. 

LAGHÀBEAUSSIÈRE, voyant entrer Rosette. 

Non, c'est Rosette. 

SCÈNE m. 

LAGHABEAUSSIÈRE, LE VICOMTE, ROSETTEL 

LE VICOMTE. 

Rosette! si matinale, mon enfant?' 

ROSETTE. 

"Madame votre cousine, qui est très inquiète, m'envoie ici 
à rïntendance pour savoir des nouvelles dfi monsieur votre 
oncle. 

LE VICOMTE. 

De mon oncle?... N'est-il pas chez lui, à son Hôtel, place 
Royale? 

ROSETTE:. 

Non, monsieur, il n'est pas encore rentré. 

UE VICOMTE. 

A huit heures du matin..» s'attarder à ce point-là I... Passe 
encore si c'était moi... mais lui 1... 

LACHAHRAPgagFJtE, à demi-Toiz. 

Que je croyais un homme grave et raisoimablel 

LE VICOMTE, de^ même. 

Que voulez-vous? intendant des Menus-Pïaisirsv c*ôst un 
poste bien dangereux ! et encore il n'exerce que par intô^ 
rim... jugez!... (a Roeatce*, d^ur air important.) Je sais... je sais 
où est mon oncle... nous l'attendons. 



LftS TROIS) NTGOLAS 203> 

LÀGHÀBBikiCflflllàlkSy ba» an tieomte. 

Vous le savez? 

LE TlCÙVrEj d6 même. 

Je ne m'en doute pas, mais pour le décorum... pour la 
famille... 

ROSETTE. 

De plus, monsieur, voici un chapeau et des gants que Hu- 
bert, le jardinier, a trouvés ce matin dans une des allées^ du 
jardin, et que je vous apporte avec une lettre de Im. 

LE VICOMTE. 

f Monsieur le vicomte... » C'est bien! (L'onyrant et lisant.) 
« En Tabsence de notre maître, je dois vous rendre 
« compte... » 

ROSETTE, au. Ticomte peadaat qu'il lit. 

Il ne faut guère croire que la moitié de ce qu'il dit, parijp 
que... vous savez... depuis qu'il a hérité et qu'il me recher- 
che en mariage, il a toujours peur qu'on ne lui enlève... 
son héritage... ou sa femme. 

LE VICOMTE, qui* pendant ce temps-là a parcooni la lettre. 

Eh mais! ce qu'il m'écrit là me paraît irréprochable... 
sauf les fautes d'orthographe... nous aviserons. 

ROSETTE. 

Alors, monsieur, puisque vous savez où est M. le mar- 
qttis et que vous Tattendez, je puis dire à ma maîtresse, 
qui désirerait tant vous voir... 

LE VIGOBfTE. 

Qu'elle vienne! qu'elle victtinel... elle sera la bien reçue. 

ROSfiTfE, fortant. 

Oui, monsieur. 

LE VICOMTE, & tachabeaussière. 

Et nous, mon cher Lachabeaussière, hâtons-nous; voyez 
si Dalayrac est rentré chez lui, et s'il n'était pas de retour, 
si mon oncle ne revenait pas... 



S04 OPÉRAS-COMIQUES 

LACHABEAUSSIÈRE. 

Je vous amène deux ou trois de nos camarades. Des ex- 
ceptions, des gardes du corps prudents et discrets, dont je 
vous réponds comme de moi-même, (on frappe à la porte à gau- 
che.) Entendez-vous?... 

LE VICOMTE. 

Un de mes prisonniers qui s'impatiente... il est dans son 
droit... il a faim... je m'étais chargé de leur logement, 
mais non de leur nourriture... allez vite. 

(Lachabeaassière sort.) 



SCÈNE IV. 
LE VICOMTE, poil LE MARQUlfe. 

W 

LE VICOMTE. 

C'est juste... on se bat et on déjeune... Ouvrons de ce 

côté, (il tire le verrou, la porte s'ouyre, le marquis entre vireBient.) 

Ciel ! mon oncle ! 

LE MARQUIS. 

Mon neveu! où suis-je? 

LE VICOMTE. 

Aux Menus-Plaisirs!... et on vous accusait déjà d'avoir 
passe la nuit dehors... quand vous n'êtes pas sorti de chez 
vous... Mais que diable faisiez- vous là? 

LE MARQUIS. 

Est-ce que je sais!... Mais ça ne se passera pas ainsi, 
nous connaîtrons celui qui a osé m'incarcérer depuis hier. 

LE VICOMTE. 

Je le connais, mon oncle. 

LE MARQUIS. 

Et qui donc? 



LES TROIS NICOLAS .20S 

LE VICOMTE. 

C'est moi ! 

LE MARQUIS. 

Toi. . . neveu dénaturé ! . . . 

LE VICOMTE. 

Pourquoi aussi vous trouvez-vous égaré et perdu dans 
les Nicolas?... Pourquoi ce domino... ce masque?... 

LE MARQUIS. 

Dans ton intérêt ! dans l'intérêt de ton honneur, de celui 
de la famille... Soupçonnant que sous ce costume devait 
s'introduire un amoureux.... un. séducteur... j'ai voulu le pré- 
venir et prendre sa place... Une idée que j'avais. 

LE VICOMTE. 

Eh! pourquoi avoir des idées? pourquoi sortir de vos 
habitudes?... 

LE MARQUIS. 

Je croyais bien faire. 

LE VICOMTE. 

Et surtout... pourquoi vous laisser amener au For- 
l'Évêque sans vous nommer? 

LE MARQUIS. 

Est-ce que je le pouvais? moi... surintendant des Menus.. . 
arrêté, masqué, la nuit, comme un carême-prenant, devant 
l'exempt... le gouverneur et les soldats du guet... J'étais 
ce matin la fable de tout Paris... et ma place... Encore si 
tu avais été là... 

LE VICOMTE. 

J'v étais, mon oncle. 

LE MARQUIS. 

Comment? 

Lfi VICOMTE. 

Continuez. 

IV. — xviii. 12 



1 



806 op^aii^s-caMiQUBs 

LK KARQUIS. 

£s-tu sûr que cela ne se saura pas quelque pent^. 

LB VIC0M7B. 

On ne saura rien... j'en réponds... le secret reste- entre- 
nous deux... et à moins que vous ne réclamiez pour abus- 
diQ pouvoir... et pour attentat à la liberté... 

LE MARQUIS^ 

Eh! non! 

LB VUSOMTB. 

Vous en avez le droit. 

LE MARQUIS. 

Eh non! te dis-je... Parlons de nos affaires... de ma 
place... de notre opéra... Où- tout cela en est-il depuis 
hi-er?' 

LE VICOMTE. 

Je vous le dirai tout à l'heure; 

LE MARQUIS. 

C'est pour cela que tu< es de si bon matin aux Menus- 
Plaisirs? 

LE VICOMTE. 

Oui, mon oncle... mais panions d'abord de ce séducteur 
que vous soupçonniez;, c'est ua<dô&< Nicolas? 

LE MARQUIS. 

Précisément, mais je me trompais peut-être... la preuve^ 
c'est que des trois... en voilà déjà un parfaitement inno- 
cent. . . 

LE VICOMTE. 

. Qui de trois ôte un... reste... Par la mordîeu! je m'en- 
vengerai. 

LE MARQUIS. 

En compromettant ma nièce, ta fiancée, ce que je voulais- 
éviter,.. 



LES TROIS Kl COLAS ^1 



LB VICOMTE. 

Nod!... nenl...}e me Tengerai d'eux en le« forçant de 
garder le silence... Et, tenez, en voici déjà un que Tan 
amène. 



* SCENE V. 

TRIAL, amené par des SoLDATS DU GUET; LE VICOMTE, L£ 

MARQUIS. 

TRIAL, les jeux bandés. 

Messieurs!... messieurs!... quels sont vos desseins? Pour- 
quoi m*avoir tiré du noir cachot où Ton m'avait plongé ? 

LE VICOMTE, à dsmi-roix. 

C'est Trial! 

LE MARQUIS, de même. 

Tu crois?... 

LE VICOMTE, de même. 

J'en suis sûr... 

TRUJL. 

Où me menez-vous.,, est-ce A la mort?... J'aime mieux 
que vous me le disiez tout de suite, (a part.) conséquences 
des bonnes fortunes!... C'est quelque frère... quelque mari 
outragé... 

LE VICOMTE, à demi-yoiz. 

Un des trois. Nicolas. 

LE MARQUIS, de même. 

Et pourquoi venait-il la nuit dans mon hôtel ?... 

LE VICOMTE, de même. 

Je l'ignore... Mais je vous réponds qu'il ne s'en vantera 
pas... Dites seul^nent comme moi... toujours comme moL.. 

LE MARQUIS, de même. » 

Je l'aime mieux... c'est moins diffîeilë. 



208 OPERAS-COMIQUES 



TRIAL, & part. 

Les bourreaux se consultent entre eux à voix basse! 
(Haot.) Grâce! messieurs, grâce pour mon talent, pour ma 
jeunesse! Je suis un artiste distingué.,, un grand chanteur... 
J'ai fait manquer hier le spectacle... j'en conviens... par 
indisposition: ce n*est pas la première fois que ça m'arrive... 

LE MARQUIS, à demi-roix. 

C'est bon à savoir. 

TRIAL. 

La vérité est que j'avais une affaire indispensable. 

(Le Ticomle et le marquis se sont assis sur deux feateuils, h gauehe du 
théâtre. Sur un premier geste du ricomte, on enlère à Trial le ban. 
deau qui lui courre les yeux ; snr un second geste du yicomte, les 
soldats se retirent par la porte du fond.) 

TRIO, 

TRIAL, encore tout étourdi, regarde autour de lui. 
Que vois-je?... où suis-je?... et quel nouveau miracle! 
La salle des Menus? 

( Apercèrent le marquis et s'inclinent.) 
Monseigneur ! 

LE VICOMTE, sérèrement. 

Votre chef! 

LE MARQUIS, de même. 
Oui, monsieur, votre chef. 

LE VICOMTE, à Trial et d'un ton sévère. 
Monsieur, je serai bref. 

LE MARQUIS, de même. 
Monsieur, je serai bref! 

LE VICOMTE. 

Vous avez fait manquer, hier soir, le spectacle! 

LE MARQUIS. 

Vous avez fait manquer, hier soir, le spectacle! 



LES TROIS NICOLAS S09 



LE VICOMTE. 

Pour VOUS le For-l'Évêque... 

TRIAL, à part. 

fâcheux pronostic ! 

LE VICOMTE. 

S'ouvrira quatre jours. 

TRIAL, arec fatuité. 

Tant pis pour le public! 

LE VICOMTE. 

Mais ce n'est rien encore! Hier, place Royale, 

Chez mon oncle, un quidam s*est dans l'ombre introduit, 

(Montrant la lettre qui est sur la table.) 
Du jardinier Hubert le rapport le signale 
Comme un adroit voleur, qu'en vain il poursuivit, 
En brisant, sur son dos, dans son zèle loyal. 
Un bâton qui sera joint au procès-verbal. 

TRIAL, à part. 

Aïe! aïe! aïe! 

Ensemble. 

TRIAL, tremblant. 

Pour un lovelace, 
Pour un séducteur. 
Ah! quelle disgrâce 
Et quel déshonneur! 
Que diront les belles. 
Voyant le bâton 
Maltraiter les ailes 
Du dieu Gupidon, 
Le dos et les ailes 
Du dieu Gupidon? 

LE VICOMTE et LE MARQUIS, à part, en riant. 
Pour un lovelace, etc. 

LE VICOMTE, à Trial. 

Protégé par la nuit et par l'épais feuillage, 

1^ 



2tO OPÉRAB^GOllIQURS 

Le malfaiteur a fui, laissant fiur son passage 
Un chapeau un! 

TaiM., A paru 
Odel! 

LE YICOMTEU 

Des gants neufs... que voici] 
(il prend sur la table le chapeaa et les gants plies comme des gants qu'on 
n*a pas encore mis, et s'adressent à Trial.) 
Voulez- VOUS bien, monsieur, lee essayer ici? 

TRIAL, résistant. 
Mais, messieurs... 

LE VICOMTE, froidement. 

On nous a char^é« àe «eUa cn^aâle» 

(a Trial, qui sésÂatA Jtonjewrs.J 
Il le faut! 

LE MARQUti». 

Il le faut ! 
(Le Ticomte place lui-même sur la tàH de Tnal te^chapeaa, qui le coiffe à 

merveille.) 

TRIAL, à part. 
La loudre est jsur ma tête I 

LE VICOMTE, le complimentant froidement. 
Il vous va bien! 

LE MARQUIS, A» mêma^ 
Très-bien! 

LE VICOMTE, froidement au marquif. 

C'est grave! 

LE MARQCriS, de même. 

€'est très-grave I 

LE VICOMTB, a Trial. 
Youlez-vous essayer ces gants? 

TRIAL. 

Mais permettez... 



• 



Ls« 'iuiiai<s MicoiâAe 2I2L 



LE VICOMTE, grayement. 
nie faut! 

LE MARQUIS) de même. 

llllei£aiitf! i^ 

TRIÂL, inqaiot, et, dans sa préeeonpation, essajant, tout en se parlant 
à lui-même et sans s'en aperceyoir, le gant de la main gauAe. 

Ah ! ces gante redoutés 
Peuvent me compromettre, et, quoique Ton soit brave, 
Je commence à trembler! 

(S'eperooront que 'le gant est mis») 
Ah I grand Dieu ! qu'ai^-jo iftiti? 

LE VICOMTE, lui faisant compliment. 

11 VOUS va bien ! 

Très-bien ! 

JJS iVlCPWLTE, 

C'est au mieux l 

.3*E «AJEIQUI^. 

C^'est parfait ! 

TRIAL. 

Écoutez-moi, joiessieuçs !.,,. 

LE V1GO0ITE, 'froidement. «n moniaia. 
C'e^t grave! 

LE MARQUIS, de même. 

C'est très-grave ! 
TRIAL, à. part. • 

Ah! de moi, c'en est fait! 

Bnsemhle, 
Pour 00 ^iofvélace, «etc. 

LE VICOMTE .et ^E MARQDISr 
Pour un lovelace, etc. 
\L6 TÎcomte sonne; les soldats t entrent -pa^ la. porte du fond, Rosette par 

U p«ele(d^al«n^7) 



^ 



212 OPâRAS-GOMIQUES 



SCENE VI. 
LE VICOMTE, LE MARQUIS^ TRIAL, ROSETTE, Soldats 

DU GUET. 

QUATUOR. 

ROSETTE, \vi TÎcomte. 
Ma maîtresse vient d'arriver. 
(Aperceyant Trial.) 
ciel! monsieur Trial! 

LE VICOMTE. 

Que je crois bien malade ! 
TRIAL, à Rosette. 
Hélas ! on veut, pour cause d'escalade, 
Me pendre ! 

ROSETTE, bas k Trial. 

Je suis bonne, et je viens vous sauver! 
(Haut an ricomte.) 
C'était pour moi, simple femme de chambre. 
C'était pour moi qu'il venait hier. 

LE IfARQUIS et LE VICOMTE, riant. 

J'entends... 

TRIAL, à part. 
Mensonge adroit! 

ROSETTE. 

Ce séducteur si fier, 
Au doux parfum de musc et d'ambre. 
De son anneau m'avait fait don. 

TRIAL. 

C'est vrai! 

ROSETTE, en riant. 

Je le lui rends au nom de Cupidon! 



r 



LES TROIS NICOLAS 213 



TRIAL, stupéfait. . 
Ah bah! 

LE VICOMTE, arec cévérité et riant sous cape. 
Vouloir séduire uue femme de chambre! 

LE MARQUIS, même jeu. 
Vouloir séduire une femme de chambre ! 

LE VICOMTE. 

C'est grave! 

LE MARQUIS. 

C'est très-grave I 

LE VICOMTE. 

Et Ton avisera ! 

TRIAL. 

Cet affront me tûra! 

LE VICOMTE, aux soldats. 
Qu'on remmène toujours!... 

ROSETTE. 

Le pendre pour cela ! 

LE VICOMTE, bas à Rosette. 
On n'ira pas jusque-là ! 

Ensemble. 

TRIAL. 

Adieu mes conquêtes, 
Missives secrètes, 
(Eillades coquettes, 
Adieu pour toujours! 
Par cette algarade 
Ma gloire est malade, 
Et la bastonnade 
Fait fuir les amours! ' 

LE MARQUIS, LE VICOMTE, ROSETTE. 

Adieu ses conquêtes, 
Missives secrètes, 



\ 



214 OPÉBiLS-CaïKÛUKS 

•« — . 

OËill%des coquettes. 
Adieu pour toujours ! 
Par cette incartade, 
Sa gloire est malade, 
Et la bastonnade 
Fait fuir les amours l 

LE VICOMTE, TSIAL, LB MARQUIS, HOBBTTB. 

Malheureux conquérant I 

LE VICOMTE. 

Qu'on l'emmène à rin»tant I * 

LE MARQUIS. 

Qu'on l'emmène k l'instant ! 

Ensemble. 

TRIAL. 

Adieu mes conquêtes, etc. 

LE MARQUIS, LE VICOMTE, ROSETTE. 

Adieu ses conquêtes! etc. 
(Trial sort par la porte du fond, emmené par les soldats da gvet ; Rosette 

le sait.) 

SCÈNE VIL 
LE VICOMTE, LE MARQUIS. 

LE VICOMTE. 

En voilà un qui ne parlera pas I 

LE MARQUIS. 

Tu avais raison... mais, pour le troisième... 

LE VICOMTE, 

D en sera de môme... 

LE MARQUIS. 

Je ne le crois pas. 






L£S TROIS KICOLAS ^15 



Vous le connaissez?... et, en effet, ce sédociéur dont votts 
me parliez... ce déguisement**, ce nom de Nicolas... Vous 
saviez donc?... 

LE MARQUIS. 

Je ne savais rienl... et c'est pour savoir que je me dégui- 
sais... 

LE VIOOIITE, 

Nous serons plus heureux, et, dès que Lachabeaussîère 
èera de retour, ce qui ne peut tarder, dès que nous aurons 
chacun notre témoin... 

LE MARQUIS. 

Que veux-tu faire? 

LE VICOMTE, allant s'asseoir sur le canapé à gauche. 

Me battre avec ce monsieur 1... moyen certain de le con- 
naître, car il ne se battra pas masqué, je le suppose ! 

(On frappe à la porte de droite.) 
LE MARQUIS, 

Ba attendant... il s'impatiente... entends-tu ce bruit?... 

LE VICOMTE, toujoon assiff sur le canapé .-^ 

Vous savez bien, mon oncle, que je ne m*effraîé pas du 
bruit... je suis musicien l 

(Une pierre à laquelle est attachée une lettre est lancée par rosil-de^hoiuf 
de droite, et Tient tomber au milieu du théâtre.) 

LE MARQUIS, se baissant ponr la ramasser. 

Une pierre I . . . une lettre ! . . . 

LE VICOMTE, toujours assis. 

A merveille!... voilà les relations qui s'établissent... lisez,, 
mon oncle ! 

LE MARQUAIS, lisant. 

« Si celui qui ine retient arbitrairement prisonnier est un 
« grand seigneur, il commet un abus de pouvoir dont i& 



216 OPÂRAS-GOMIQUES 

« demanderai justice; si c'est un confrère, un rival, un 
;< ennemi, c'est un fat et un lâche!... » 

LE VICOMTE. 

En vérité... 

LE MARQUIS, continuant de lire. 

« Et si je me suis trompé... s'il a du cœur... il me ren- 
" dra la liberté... pour que nous puissions nous voir Tépée 
«' à la main... » Signé... (s'arrétant.) ciel!... 

LE VICOMTE, toajoura étendu sur le canapé. 

Quel nom? 

LE MARQUIS, lisant. 

« Nicolas Dalayrac. » 

LE VICOMTE. 

Dalayrac... (Avec ironie.) Ce serait lui qui, la nuit dernière, 
se serait introduit dans votre hôtel... ce n'est pas possi- 
ble... pour qui? 

LE MARQUIS. 

Pas pour moi... à coup sûr! 

LE VICOMTE, avec explosion. 

Attendez donc I... ma cousine serait-elle cette beauté qui 
le désespérait... et dont il voulait s'éloigner ? 

LE MARQUIS. 

•Et c'est toi qui l'as retenu... 

LE VICOMTE, avec colère. 

C'est vrai ! 

LE MARQUIS. 

Et tu le vantais sans cesse à ta fiancée!... 

LE VICOMTE. 

C'est vrai... bien plus... je lui ai conseillé de lui écrire. 

LE MARQUIS. 

Il l'a fait... 



LES TROIS NICOLAS 217 

LE VICOMTE. 

De monter à Fescalade. 

LE MARQUIS. 

Il Ta fait... 

LE VICOMTE, ayec rage. 

Et c'est moi!... moi-même qui serais cause... Non pas, je 
ne me laisserai pas mystifier ainsi la veille de mon mariage. 

LE MARQUIS. 

Et si, comme je le crains... ta cousine l'aime... 

LE VICOMTE. 

Elle... raison de plus! un mari complet!... rapportez- 
vous-en à moi... je me vengerai, je vous le jure... et de 
tous les deux. 

LE MARQUIS. 

Silence... c'est ellel 

SCÈNE VIII.' 
HÉLÈNE, LE VICOMTE, LE MARQUIS. 

HÉLÈNE. 

Ah! je vous revois, mon oncle... si vous saviez combien 
j'étais inquiète de votre absence... 

LE VICOMTE. 

Des ordres supérieurs... 

HÉLÈNE. 

Pour le service du roi? 

LE MARQUIS, embarrassé. 

Oui... 

HÉLÈNE. 

Pour l'opéra de Fontainebleau? 

Scribe. — Œuvres complètes. IV«« Série. — I8»n« Vol. - 18 



"îiS OPBRAS-GOMIQUBS 

US MARQUIS. 

Oui... cet opéra... (Bas, au Ticomte.) qui maîntenant devient 
impossible... qui ne sera jamais achevé, et tout est perdu. 

LE VICOMTE. 

Laissez donc... (Haut.) Mon oncle, malgré ses affaires... 
s'est hâté de revenir pour notre mariage. 

LE MARQUIS, à part, «Tac oraiaM. 

Elle a tressailli... 

LE VICOMTE. 

Car c'est demain... ma cousine... demain que Ton nous 
marie... 

HELEXE. 

Je le sais... 

LE VICOMTE. 

Et vous y êtes toujours disposée?... 

HÉLÈNE. 

Toujours!... pourquoi me faites-vous cette demande ? (Avec 
embarras.) Est-cc quc de votre côté... vous auriez .changé 
d'idée? 

LE VICOMTE, avec chaleur. 

Moi 1 jamais I 

HÉLÈNE. 

Eh bien! j'ai juré à vous, à mon oncle!... je ne sais pas 
manquer à mes serments... et vous trouverez en moi, mon 
cousin... l'amie fidèle et dévouée que je vous ai promise. 

LE VICOMTE. 

C'est bien... cousine... très-bien... je saurai reconnaître 
un pareil dévouement... Si vous voulez nous attendre... 
dans le cabinet de mon oncle... nous allons vous rejoindre... 
et vous faire part des arrangements que nous aurons pris 
pour le mariage de demain, 

HÉLÈNE. 

Je vous attends. 

(Elle aotX par la droite.) 



LES TROIS NICOLAS 219 



SCENE IX. 
LE VïCOltfTE, LE MARQUIS. 



LE MARQUIS. 

Tu Tas entendue... 

LE VICOMTE. 

Oui... il est maintenant évident pour moi qu'elle en aime 
un autre. 

LE MARQUIS. 

Et qu'elle y renonce pour tenir sa parole. 

LE VICOMTE. 

Oui ! 

LE MARQUIS. 

Pour t'épouser... 

LE VICOMTE. 

Oui. 

LE MARQUIS. 

Et cela ne t'attendrit pas... cela ne te désarme pas?... 

LE VICOMTE. 

Non ! voyez-vous, mon oncle, ce qu'il y a de pire au 
monde, et surtout à Paris... c'est le ridicule... et quand il 
y a un bon duel... 

LE MARQUIS. 

Mais si tu as le malheur... non, le bonheur de le tuer... 
ta cousine ne t'en aimera pas davantage, au contraire!... 

LE VICOMTE. 

C'est un argument ! 



220 OPÉRAS-COMIQUES 

LE MARQUIS. 

Si tu as le malheur de le tuer... il ne finira pas mon 
opéra. 

LE VICOMTE. 

Autre argument. 

LE MARQUIS. 

Ca en fait deux. 

LE VICOMTE. 

Je ne peux cependant pas laisser impuni un homme qui 
me fait concurrence, un honmie qui me fait obstacle... un 
homme qui ne veut pas faire votre opéra... C'est pour le 
coup'que les rieurs seraient de son côté... et ce ne sera pas! 
Non, mon oncle, je vous le jure... et pour l'honneur de la 
famille nous aurons raison de lui, tous les deux... ma ven- 
geance est là ! 

LE MARQUIS. 

Laquelle? 

LE VICOMTE, se frottant las mains. 

Une vengeance éclatante, dont on parlera, je m'en vante! 
si vous me secondez... 

LE MARQUIS. 

Je ne demande pas mieux. 

LE VICOMTE, se mettant à la table, à droite, et écrivant. 

Si, comme je l'espère, (D'un air menaçant.) ma cousine elle- 
même m'obéit. 

LE MARQUIS. 

Y penses-tu?... 

LE VICOMTE. 

Il le faudra bien... je saurai l'y contraindre. 

LE MARQUIS. 

Qu'est-ce que tu fais là? 



LES TROIS NICOLAS 



221 



LK VICOMTE. 

J'écris au prisonnier, qui ne connaît pas mon écriture, 
rheure et les conditions du duel. 

LE MARQUIS. 

Tu nous perds ! 

LE VICOMTE. 
Je vous sauve ! (ll Ta fermer la porte à gauche, dont il prend la 

clef.) Venez... partons... Ah! auparavant... tirons les ver- 
rous de son cachot. 

(il tire les rerrous de la porte h droite et disparaît avec le marquis par 

la porte du fond.) 

SCÈNE X. 

DALAYRAG, sortant vivement de la porte à droite. 



Ah! je connaîtrai donc enfin Tatidacieux... l'insolent qui 
ose attenter ainsi à ma liberté... (Regardant" autour de lui.) Per- 
sonne ! . . . (courant à la porte du fond.) Et CCttC porte CSt fermée. . . 
(Revenant vers la porte à gauche.) Mais CClle-Ci... fermée auSSi... 

(Appelant.) Monsieur... monsieur... monsieur... paraissez... 
paraissez!... On vous le répète... vous êtes un lâche!... et je 
dirai... je publierai partout que vous avez refusé de vous 
battre avec moi... vous!... oui, vous... (s'arrêtant.) dont je 
ne sais pas le nom... Ah! une lettre sur cette table... à mon 
adresse... « A monsieur Nicolas Dalayrac, compositeur... » 
Enfin, je vais donc savoir... « Monsieur... vous voulez vous 
battre... » Oui... à mort ! « Quand on se bat, on risque d'être 
« tué... c'est ce qui vous arrivera probablement, tant je 
a suis sur de moi... » Le fat! c'est ce que nous verrons. « Il 
« faut donc, avant de se battre, mettre ordre à ses affaires, 
« c'est-à-dire payer ses dettes... » Mais des dettes... je ne 
dois rien, monsieur... (criant à voix haute.) rien à personne, 

entendez- vous ? (Reprenant la lettre et lisant.) « VouS dcVCZ Un 

« opéra, vous devez encore deux ou trois morceaux dont un 



22â OPÉRAS-COMIQUES 



« surtout est nécessaire à la répétition de demain. Dès que 
« vous Taurez terminé, on vous donnera toutes les satis- 
« factions que vous pourrez exiger... on vous le jure sur 
« Thonneur. » Pas de signature!... « Post-scriptum. » Ah! 
il y a un post-scriptum ! « On n'a pas de génie à jeun, et, 
« dès que vous le demanderez, votre déjeuner sera servi. » 
Et qui donc se permet de me railler, de me dicter ses or- 
dres...; de me contraindre?... Ah! si jamais il s'offre à moi, 
malheur à lui! malheur 1... Mais pour le connaître, il fau- 
drait travailler... composer... c'est-à-dire lui obéir ! jamais... 
jamais !... et pourtant... ma tête est en feu, mon sang bouil- 
lonne... je donnerais tout au monde... pour le voir face à 
face... le tenir là, Tépée à la main... n'importe à quel 
prix... Ah! cet air dont il me parle... celui que Lacha- 
beaussière .m'a remis il y a déjà huit jours... voyons, rappe- 
lons-nous... 

« Aussitôt que je t'aperçoi... » 

Si encore.., c'était un air de colère... de rage... lime semble 
que je serais inspiré... que les idées m'arriveraient, que je 
ferais quelque chose d'entraînant, de chaleureux... de su- 
blime... mille chants déchaînés et furieux se heurtent dans 
ma tête... et j'entends autour de moi mon orchestre qui 
gronde et qui mugit... mais cet air de l'amant d'Azemia ne 
renferme que des idées tendres... gracieuses... du Dorât... 
du Marivaux... Oui, je me le rappelle : 

« Aussitôt que je t'aperçoi, 

« Mon cœur bat et s'agite ! 
« Aussitôt que je t'aperçoi... » 
(S'arrôtant.) 

C'est lui... lui seul que je voudrais apercevoir! 
« De m'éclairer sur ce mystère 
« J'ai bien souvent prié ton père, 
«'Mais si tu voulais... tiens... je croi, 
tt J'en apprendrais plus avec toi! » 



LES TROIS NICOLAS 2Î2 



Ain. 

Efforts impuissants et frivoles! 
Je ne puis rien trouver sur de telles paroles! 

(Portant la main à son front.) 
Je voudrais môme encor chercher... je ne le peux! 
Ranimée un instant par ce transport fiévreux, 
Ma force tombe!... à peine... hélas! je mo soutien, 
Et mes yeux affaiblis ne distinguent plus rien ! 
(u tombe sur un fsuteail à droite. Une symphonie se fait entendre, une 
trappe s*oavre, une table richement éclairée et servie s'élève an milieu 
du théâtre.) 

Ah! ma faiblesse a-t-elle égaré ma raison? 

VOIX, en dehors et se répondant par écho* 
Non! non... non... non! 

DÀLAYRAC. 

La voix qui près de moi soudain a retenti 

Est-elle la voix d'un ami? 

Est-elle d'un ami? 

VOIX, dans le lointain. 
Oui... oui... oui... oui... 

DALAYRAC, «parctTBBt la table. 
Ah ! ce déjeuner est celui 
Qu'annonçait son impertinence ; 
Mais c'est une nouvelle offense ! 

Je ne veux rien de lui, 
Non, ma vengeance en fait serment! 
Plutôt niourir de faim! plutôt... 

(S'orrètant.) 
Et cependant, 
Pour châtier cet excès d'insolence. 
Pour se venger» paur punir tant d'affronts, 
U faut vivre, il le faut... 

(Se metUnt A Uble.) 
Allons, allon», mangeons 
Malgré moi!... seul moyen de donner, je l'cspôre, 



224 OPéRAS-GOMIQUBS 

Un nouvel aliment à ma juste colère!... 

(il mange et boit ayee précipitation.) 

HÉLÈNE, en dehors. 
Pauvre Nicolas, 
Ne perds pas courage, 
Car après Torage 
Tu me reverras. 
Pauvre Nicolas I 

DALAYRAG, se levant vivement de table. 
Dieu ! qu*entends-je? 
surprise étrange ! 

HÉLÈNE et LE CHOEUR, en dehors. 

Pauvre Nicolas ! 
Courage... courage, 
Pauvre Nicolas ! 

DALAYRAC. 

Voix céleste et chérie, 
suaves accents ! 
Votre douce magie 
Rend le calme à mes sens ! 

La haine et la souffrance 
S'éloignent de mon cœur, 
Et la douce espérance 
Succède à la fureur. 

Voix céleste et chérie, etc. 
(écoutant.) 

On se tait... on se tait... Voix si chère et si tendre, 
Revenez ! que Ton puisse encore vous entendre ! 
(La porte à gauche s'oavre : parait une jeune fille voilée. La porte à 
droite s'oavre, une autre parait ; puis, successivement, une demi- 
douzaine.) 

La porte s'ouvre... on vient, c'est elle! 
Non ! encore une... encor... laquelle ? 
Un voile épais 



LES TROIS NICOLAS • 225 

Couvre leurs traits. 
(Une des jeunes fillos s'avance et lui présente des tablettes.) 
(Parlé.) 

Des tablettes, lisons : 

oc Ne désespère pas... travaille, et la beauté 

« Dont la voix te console en ta captivité, 

« Plus généreuse encor, viendra par sa présence 

« Accorder au talent sa juste récompense, y* 

Ah ! que viens-je de lire ? 
Quel rêve, ou quel espoir soudain s'offre à mes yeux 
Et porte en mon cerveau... le trouble et le délire ! 

(L'orchestre exprime le travail de sa pensée et fait entendre en sourdine 
le motif de l'air d'Azémia qui se développe peu à peu.) 

Oui... oui... c'est l'amour qui m'inspire ! 
Oui... voilà ce chant... ce motif 
Que je cherchais en vain ! pur... ardent... et naïf! 

(Les jeunes filles pendant qu'il compose, ont jeté leur voile et forment 
des groupes autour de lui, pendant qu'en dehors on entend le chœur 
arec accompagnement de harpe.) 

LE CHOEUR, en dehors. 

Dieu des arts! toi qu'il implore, 
A ses efforts souris encore ; 
Inspire à son luth gracieux 
Les chants qui descendent des cieux ! 

DALÂYRAC, Yocalisant sur l'air d'Atémia. 

La, la, la, la, la, la, 
La, la, la, la, la, la ! 
(Areo exaltation et sur l'air même d*Aiémia.') 
Oui, Dieu des arts, toi que j'implore, 
A mes vœux tu souris encore ! 
(Composant.) 
J'y suis... j'y suis... le voilà 
Ce chant qui doit charmer Azémia! 

(chantant l'air d'Azémia qu'il tient à la main.) 
« Oui, si lu voulais... 
« Oui, si tu voulais... 
« Oui, si tu voulais... tiens, je croi, 

13. 



2S6 • OPÉRAS-GOMIQUKS 

€c J'en apprendrais plus avec toi, 
« J'en apprendrais plus avec toi I » 

LE CHOEtJR, en dehors. 

Bravo, 
Maestro ! 
(Au moment de l'entrée d'Hélène, lei danBensét sortAnt.) 



SCENE XL 

DALAYRAC) HËLËNË) entrant par U porte da fond et s'avancant 

▼ers Dalayrac. 

FINALE, 

HELENE. 
Oui, le" voilà, ce chant dig^ne de toi! 

DALAYRAC, poussant an cri de joie. 

Hélène ! 

HÉLÈNE. 

Et qu'à l'instant on retient malgré soi. 
« Aussitôt que je t'apcrçoi... 

DALAYRAC. 

<( Mon cœur bat et s* agite... 

HÉLÈNE. 

« Sitôt que je suis près de toi... 

DALAYRAC. 
« Il bat encor plus vite! 

HÉLÈNE. 

<c Et frémissant d'un doux émoi, 
« Je tremble et je ne sais pourquoi ! 

DALAYRAC. 

a Je tremble et je ne sais .pourquoi 
«c Le Dieu des arts me cache encore 
« Des secrets que ma lyre ignore... 



LES TROIS NICOLAS 227 



(A Hélène.) 
« Mais si tu voulais... tiens... je croi, 
« J'en apprendrais plus avec toi ! » 

Ensemble. 

DALAYRAC. 

Plus de souffrance. 

Plus de vengeance, • 

Devant l'espérance 
Le malheur a fui ! 

Non, plus de peine, 

Atteinte vaine! 
Près de mon Hélène 
Le bonheur a lui ! 

HÉLÈNE. 

Plus de souffrance, 

Plus de vengeance. 
Devant l'espérance 
Le malheur a fui ! 

Non, plus de peine, 

Atteinte vaine! 
Près de son Hélène 
Le bonheur a lui I 

DALAYRAC. 

L'amour m'enivre. 

HÉLÈNE. 

Aimer, c'est vivre. 

Ensemble. 
DALAYRAC. 

Plus de souffrance, etc. 

HÉLÈNE. 

Plus de souffrance, etc. 



/ •> 



228 OPERAS-COMIQUES 



SCENE XII. 

DALAYRAC, HÉLÈNE, trois Hommes masqués en dominos 
NOIRS, Seigneurs, Dames de la cour, Gardes du corps. 

(La porte da fqgd s'ourre. Trois hommes masqués s'araocent lentement 

y ers Dalayrac.) 

LES TROIS HOMMES à Dalayrac. 
Hélène est k vous ! 

HÉLÈNE, souriant et tendant la roain à Dalayrac, immobile d'étonne- 

ment. 
Hélène est à vous. 

DALAYRAC ; parlé. 

Qu'entends-je ! 

LE MARQUIS, tirant de dessous son domino deux épées qu'il présente i 

Dalayrac. 

Et maintenant... 

DALAYRAC, étonné. 
Qu'est-ce donc ? 

LE MARQUIS et LACHAREAUSSIÈRE. 

Battez-vous ! 

LE VICOMTE, ôtant son masque. 
Oui, battons-nous ! 

DALAYRAC, au yicomte. 
Moi ! tourner contre vous une main déloyale, 
Lorsque je trouve en vous... 

LE VICOMTE. 

Un cousin, un ami. 

DALAYRAC. 

Et cet ami... 

LE VICOMTE, reprenant le motif du premier acte. 
Ma foi, tant pis pour lui, 



Ce ten<lre ami, 
Tant pis, lanl pis pour lui I 

(Ad muqilil.) 

HeJD ! quand jo vous disais 

Que je tae \engeraial 
Vengeance eo non genre, oui, vengeance musicale ! 

Honneur k la musique 
Qui triomphe en ce jour t 
Sa puissance magique 
A couronné l'amour I 



N. B. Dans les théitres qui n 
primer la scène 1™ du lll* acte 
après la reprise de ta es 



I lieu de l'enlréo des danseuses, une seconde lettre est lan- 
ie par l'œil -de-boeuf, à droite; Dalayrac ramasse la lettre, ol 



1 



PETITS VIOLONS DU ROI 



LES 



0PERA«»GOMIQUB EN TROIS ACTES 

En société avec M. H. Boisseaux 

MUSIQUE DE L. DEFFÈS. 



Théâtre Lyrique. — 30 Septembre 1859. 



PERSONNAGES. ACTEURS. 



DO DÉI, majordome et factotum du cardinal Olazarin. MM. Wàrtbl. 

BÉCHAMEL Gabriel. 

PHILIPPE BEAUVAIS Fromant. 

LE COMMISSAIRE Leroy. 

M™« BEAUVAIS, première femme de chambre de la 

reine Anne d'Autriche y[mes Faivre. 

HORTENSE, sa nièce M. Faivrb. 

LULLI, \ i Girard. 

RISOTTO, >Patronnets chez Béchamel. . .< Ce la t. 

TOL-AU-VENT, ) ( C. Vadé. 

Marmitois. — Voisins. — Peuple. — Suitantes. — Soldats 

DU GUET, etc. 

Au restaurant de Béchamel au premier acte; à l'hôtel de Beauvais aux 

deuxième et troisième actes. 



I LES 

I PETITS VIOLONS DU ROI 



ACTE PREMIER. 



Le defant do raitBBmt de Biohamel, i la Pomme de Pin. — Dei bmca 
de pinre, de) tebles Wtonréet de treiUet. — An fond, le bonlcvard du 

SCÈNE PREMIÈRE. 
RISOTTO, VOL-AU-VENT, BÉCHAMEL ...pecum les 

PETITS PatRONNBTS qui pripatent nn dinar. 
ISTRODUCTIOS. 

BÉCHAMEL, DISOTTO et VOL-AU-VENT. 
Pour tenir en joie 
Nos heureux chalands. 
Que chacun déploie 
Ses jolis talentsi 



1 



234 0PÉRÂS-G0MIQUE8 



LE CHOBUR. 

Faisons tous en sorte 
Que de notre porte 
Nul gourmet ne sorte 
Sans dire eu chemin : 
Honneur au grand homme, 
Que Paris renomme 
Et qui tient la pomme, 
La Pomme de Pin! 

BÉCHAMBL. 

Je sors... 

(a Risotto.) 

Traite bien cette abaisse!... 
Pour un menu... 

(a un autre.) 
Plus mijoté... 
(a Vol-au-Vent.) 
Trop de chaleur!... 

(Aok autres.) 
Adieu! seuls je vous laisse. 
(Continuant son inspection.) 
Fais revenir! sauté! sauté I 

LE CHOEUR. 

Pour tenir en joie, etc. 
(Pendant cette reprise Béchamel s'habille et sort.) 



SCENE II. 

Les mêmes, excepté Béchamel. 

VOL-AU-VBNT. 

11 est bien loin ! 

RISOTTO. 
Qu'il aille où le diable l'envoie ! 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 235 



YOL-AU-VENT. 
Et maintenant, vive la joie! 
(Tous les patronnets quittent leur besogne et se mettent à danser en rond 

aatour de la table.) 

RONDE. 

AIR : Sur le pont d* Avignon. 

Quand les chats 
N'y sont pas, 

Des rats 

La danse 

Commence, 
Quand les chats 
N'y sont pas, 

Les rats 
Prennent leurs ébats t 

(Tumulte et cris. — Lulli parait.) 



SCENE m. 

Les mêmes; LULLI. 

TOUS. 

C'est Lulli ! 

LULLI. 

Nouvelle folie, 
Au lieu d'étudier!... 

TOUS. 

Merci ! 
Plus de travail! non, noni 

LULLI. 

Ainsi 
Vous oubliez le pacte qui nous lie ?... 



236 OPÉRAS-COMIQUES 



TOUS, se moquant de lai. 
A la tribune!... 

LULU. 
M'y voici. 
(U grimpe sur la table et de là les harangae.) 

AIR. 

Vous étiez des drôles fort tristes, 
La honte et Teffroi du quartier!... 

TOUS. 
C'est vrai! 

LULU. 

Je vous ai fait artistes !..- 

TOUS. 
C'est vrai ! 

LULLI. 

Quel plus noble métier ! 
A vous la gloire 
Et le talent, 
(niant et montrant son bonnet de coton.) 
Si VOUS suivez mon panache blanc!... 

TOUS. 

A nous la gloire 
Et le talent 
Si nous suivons son panache blanc!... 

LULLI. 

Osez me croire, 
Ce qui vous donnera 
Fortune, honneur, et caetera, 

Oui, c'est la musique 
L'art doux et magique 
Qui, si l'on pratique 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 237 



Ses doctes leçons, 
Nous livre à la ronde 
L'empire du monde 
Dont la voix profonde 
Redit nos chansons. 

TOUS. 
Oui) c'est la musique, etc. 

LULLI, continuant avec chaleur. 

Ainsi qu'en un rêve, 
Déjà je crois voir 
La place où m'élève 
Mon ardent espoir ; 
L'orgueil et l'idole 
D*un peuple jaloux, 
Comme au Capitole 
Je monte avec vous I 
Dames et marquises 
A nos chants vainqueurs 
Doucement surprises 
Entrouvrent leurs cœurs! 
Et le roi de France, 
J'en ai l'espérance, 
Peut-être demain 
Nous tendra la main! 

TOUS. 

Oui le roi de France 
Nous tendra la main! 

Ensemble. 

LULLI. 
Ah! c'est la musique, etc. 

LE CHOEUR. 

Oui, c'est la musique, etc. 



(Enthousiasme, acclamations A la fin de l'air.) 



238 OPÉRA s- COMIQUES 

LULLI. 

Et maintenant, aux armes!... 

TOUS. 

Aux armes!... 

(ils vont chercher leurs violons.) 
LULLI. 

Et répétons noire belle symphonie! y sommes- nous?... 

TOUS. 

Oui! 

LULLI. 

Attention au commandement! une, deux, trois... 

(il bat la mesure. — Répétition de la symphonie que Lulli dirige.) 

RISOTTO. 

Voici le maître qui revient!... 

TOUS. 

En place ! 

ills placent leurs rioIoQs et reprenMnt leurs casieroles.) 

LE CHOEUR. 
Faisons tous en sorte, etc. 

SCÈNE IV. 

BÉCHAMEL, LULLI, RISOTTO, VOL-AU-VENT, 

Patronnets. 

' BECHAMEL, entre d'un air soucieux et tout en ôtant son chapeau et son 
habit, tout en reprenant sa veste et son bonnet de coton, il débite le 
monologue suivant. 

Je croyais, par la sauce qui porte mon nom et que j'ai 
inventée, la sauce Béchamel, m*ôtre fait une réputation 
artistique, et dans tous les menus qu'on me commande... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 239 

« 

(Tirant un papier de sa poohe.) tout à Theure encore, chez M. le 
duc de Brézé... on place toujours en première ligne, les 
deux mets italiens inventés ou exportés par ce lazzarone do 
Lulli. Le soufflé au parmesan et le sorbet au melon!... 
C'est humiliant pour moi, pour la cuisine française... et 
plus j'y pense... pourquoi jusqu'à présent, à* moi son pro- 
fesseur et son maître, le petit drôle n'a-t-il pas voulu me 
livrer son secret que je finirai par connaître?... Serait-ce 
un serpent que j*ai réchauffe au feu de ma cuisine !... Vou- 
drait-il me faire concurrence un jour... et élever fourneaux 
contre fourneaux?... Ah! si, comme le disait l'autre jour 
monseigneur le cardinal, il y a des soucis sous la couronne... 
(Mettant son bonnet.) il y en a aussi SOUS le bonnet de coton. 

LULLI, à ses camarades. 

A quoi rêve-t-il donc ainsi? 

RISOTTO. 

A quelque sauce nouvelle!... 

VOL-AU-VENT. 

L'ambition l'empêche de dormir!... 

BECHAMEL, passant sa main snr son front. 

Allons, revenons aux affaires... Rentrons dans ma cuisin 
et voyons si j*ai été compris, (a Risotto.) Ta tourte aux pi- 
geonneaux?...- 

RISOTTO, apportant la tourte. 

Voilà, ra*sieu. 

BECHAMEL. 

Horreur! c'est du carton que tu m'apportes là!... je 
t'avais dit de faire mijoter... Tu n*as donc pas fait mijoter?... 

RISOTTO. 

Mais si, m'sieu. 

BÉCHAMEL. 

Tu es un petit misérable ! (a voi-an-vent.) Ton soufflé?... 



240 OPÉRAS-COMIQUES 



VOL-AU-VBNT. 

Voilà, m'sieu... 

BÉCHAMEL. 

Profanation 1 un soufflé en pierre de taille!... (a Laiiî.) 
Ta crème? 

LULLI. 

Voilà, m'sieu. 

BECHAMEL. 

Tournée! ma tête va faire comme elle... tout mon menu 
perdu! C'était si beau de plaire!... Mais vous êtes donc des 
brutes?... Ou plutôt, c'est une conspiration ourdie contre 
moi et contre l'honneur de ma maison. 

LES PATRONNETS. 

Monsieur Béchamel ! 

BÉCHAMEL. 

Allez vous-en, je ferais un malheur!... (a LuUî, Risotto et 
voi-au-Vent.) Restez, vous autres. 

(Lei autres patronnets se saaveit.) 
LULLI, à part. 

Gare à l'explication!... 

SCÈNE V. 
BÉCHAMEL, LULLI, RISOTTO, VOL-AU-VENT. 

BÉCHAMEL, sévèrement. 

Dans tout ceci, il y a un chef, et je veux le connaître. 

LULLI. 

C'est moi... 

RISOTTO. 

C'est moi... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 241 



VOL-AU-VENT. 

■ 

C'est moi... 



BECHAMEL. 

Tu quoque! Vol-au-Vent!... toi qui représentes ici la' 
cuisine française, tu trahis ton pays!... 

LULLI. 

Tenez, monsou Béssamel, ne sercez pas piou longtemps, 
le 'coupable, c'est moi ! 

BÉCHAMEL. 

Je m'en doutais, ce coup ne pouvait me venir que de 
loi... un ingrat que j'ai recueilli ici par charité. 

LULLI. 

Mon ser monsou Bessamel, c'est vous qui êtes ingrat de 
me parler ainsi; c'est vrai que ze n'étais pas cousu d'or 
quand vi m'avez rencontré dans la rue, ma nous sommes 
quittes ze crois, grâce aux deux belles recettes de cuisine 
que ze vous ai apportées et que moi seul peux exécuter. 

BÉCHAMEL, à part. 

C'est ce que nous verrons. 

LULLI. 

Recettes qui ont fait la réputation et la fortune de votre 
maison; le soufflé au Parmesan!... le sorbet au melon! et 
même que l'autre jour monsou de Scudéry... qui en avait 
mangé, a failli trépasser... ce qui aurait été bien flatteur 
pour un établissement comme le vôtre ; un poète qui meurt 
d'indigestion, ça ne se voit pas tous les zours. 

BÉCHAMEL. 

Mon Dieu, je ne nie pas que tu possèdes quelques talents, 
seulement tu y joins un défaut qui t'empêchera toujours de 
devenir un homme de génie, comme moi, je dis même un 
artiste ordinaire. 

IV. — xviii. 14 



:242 OPÉRAS-COMIQUES 



LVLLI. 

Un défaut! et lequel?... 

BBGUÀHEL. 

La musique. Tu passes ton temps à gratter de la mando- 
line, à racler du violon... une vilaine distraction pour toi et 
pour ceux qui t'écoutent. 

LULLI. 

Mon bon monsou Bessamel, vi savez bien que z'y ai 
renoncé. 

BÉCHAMEL. 

Bien vrai?... Qu'est-ce donc que ce bruit désagréable que 
j*ai entendu la nuit dernière!... 

LULLI, à part. 

Un bniît désagréable... le son de mon violon! (Haut.) Vi vi 
serez trompé, c'était sans doTite un rêve... 

BËGUAMEL. 

Un mauvais rêve!... Enfin, petit, si tu persistes dans tes 
dérèglements, je serai forcé de te mettre à la porte. 

LULLI. 

Che basta!... 

BÉCHAMEL. 

Tu dis?... 

LULLI. 

Je dis quel sagrin z'aurais là ! 

BÉCHAMEL. 

Bref, te voilà prévenu, je te pardonne encore ; mais qu'on 
n'y revienne plus ! 

LULLI. 

Oh! non!... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 243 



BECHAMEL. 

C'est bien! laissez-moi seul, allez à vos fourneaux!... 

SCÈNE VI. 
BÉCHAMEL seul, puis M»*» BEAUVAIS. 

BÉCHAMEL^ regardant LqIU sortir. 

Oui... le jour où j'aurai découvert ton secret... le jour 
où j'en serai maître, avec quel plaisir je te donnerai ton 
compte!... car je voudrais me le cacher en vain, je suis 
jaloux... jaloux de cet obscur marmiton! C'est plus fort que 
moi... Que voulez-vous, c'est ainsi dans les arts!... On 
n'aurait pas de génie sans cela!... Une voiture qui s'arrête 
à ma porte?... Quelque client sans doute, une femme, une 
grande dame? non, une simple grisette. 

M°»« BEAUVAIS. 

C'est bien ici la taverne de la Pomme de Pin?.., « 

BÉCHAMEL, d*an air dédaigneux. 

Oui, mademoiselle! Qu*y a-t-il pour votre service? 

M™® BEAUVAIS. 

Je voudrais pour ce soir un souper... 

BECHAMEL, d'un air matin. 

Je comprends ! . . . repas pour deux personnes. 

M"« BEAUVAIS. 

Pour cent cinquante personnes!... 

' BECHAMEL. 

ciel!... 

M™® BEAUVAIS. 

A six livres tournois par tête. 



244 OPÉRAS-COMIQUEIS 

BÉCHAMEL, lui arançant nue chaise. 

, Donnez-vous donc la peine de vous asseoir I... 

M™® BEAUVAIS. 

C'est inutile... et demain un déjeuner... 

BÉCHAMEL. 

Également pour cent cinquante?... 

M™** BEAUVAIS. 

Non, pour trois personnes seulement, à vingt pistoles par 
tête. 

BÉCHAMEL. 

Diable!... trois grands personnages... (Geste d'impatience de 
madame BeaaTais.) Je veux dire trois grands mangeurs!... 

M™® BEAUVAIS. 

A cet effet, vous vous transporterez dès ce soir... vous et 
vos gens... 

• BÉCHAMEL. 

J'entends!... avec armes et bagages; où cela? 

M"* BEAUVAIS. 

Rue Guénégaud, à l'hôtel Beauvais!... 

BÉCHAMEL. 

Chez madame Beauvais, la femme de chambre de la reine 
mère! la femme de chambre delà régente Anne d'Autriche? 

M"^*» BEAUVAIS. 

Précisément ! 

BÉCHAMEL. 

Quel honneur pour moil... surtout *si ce que l'on dit est 
vrai!... 

M"® BEAUVAIS. 

Et que. dit-on?... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 245 



BECHAMEL, è demi-Toix. 

On dit que notre jeune monarque, Louis quatorzième du 
nom, vient à peine d'atteindre sa seizième année et que déjà 
ce grand roi... quel grand roi!... et quel espoir pour la suite 
de son règne!... 

M'^^ BEÂUVAIS, ayec împatienco. 

Eh bien ? 

BÉCHABIEL. 

Eh bien I on dit qu'il est déjà amoureux de toutes les fem- 
mes... sans compter la femme de chambre de sa mère!... 

M™« BEAUVAIS, ayec colère. 

Monsieur Béchamel!... 

BÉCHAMEL. 

Eh bien!... en la comptant... 

M"® BEAUVAIS. 

Vous êtes un sot et un bavard... malheur à vous si vous 
répétez ou laissez répéter chez vous de tels propos!... On 
ne doit ici ouvrir la bouche... 

BÉCHAMEL, s'inclinant. 

Que pour manger... c'est juste!... Nous disons, ce soir 
cent cinquante personnes. 

M™® BEAUVAIS. 

On s'en rapporte à vous, pour le repas ; tâchez seulement 
de vous distinguer... 

BÉCHAMEL. 

C'est impossible... je suis toujours sublime... Quant au 
menu de demain... 

M°^« BEAUVAIS. 

Nous allons le régler ensemble... et d'abord on tient ex- 
pressément à un soufflé au parmesan et à des sorbets au 
melon!... 

i\. 



246 OPÉRAS-COIIIQUBS 



BÉCHAMEL, i part, atee indignatioa. 
Encore 1 que disais-je!... (Haut, à madame Baanrais.) Si VOUS 

voulez prendre la peine de passer au salon, (La conduisant vers 
le fond.) je cours vous y rejoindre avec plume, encre et pa- 
pier. 

(Madame Beaarais disparaît par le fond A ganehe, et Béchamel se dirige 
rers an petit boffet à droite sur le derant dn théâtre.) ' 

SCÈNE VII. 
BÉCHAMEL, seul. 

Toujours ces deux mets italiens!... quel affront pour 
moi!... affront qu'il faut bien digérer... jusqu'au moment... 

(il retire du buffet un encrier et du papier... puis le Tiolon de LulU.) 

Que vois-je?... profanation... cet instrument parmi les 
miens!... A qui appartient cet objet? 

(LuIU parait et pontae un cri en TOjrant son violon entre les mains de 

Béchamel.) 

SCÈiNE VIII. 
BÉCHAMEL, LULLL 



LULU. 



Mon violon!... 



BÉCHAMEL, avec colère. 

C'est à toi!... c'est ainsi que tu emploies un temps qui 
m'est du? 

LULLI. 

Eh bien, oui!... musicien avant tout! 

BECHAMEL. 

S'occuper de musique quand on a l'honneur d'être cui- 
sinier!... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 247 

LULLI. 

Ah! vi ne savez pas ce que c'est qu'une vocation d'ar- 
tiste ! 

BÉCRAHBL. 

Comment, je ne sais pas?... c'est moi qui suis artiste... 
et toi lu n'es qu'un ménétrier. 

LULLI.' 

Ménétrier!... c'en est trop! vi n'êtes qu'un gargotier! 

BÉCHAMEL. 

Gargotier!... il m'insuUe!... voilà pour te punir!... 

(il brise la riolon de Lulli.) 
LULLI, M jetant sur lai. 

Ah! misérable!... 

BECHAMEL, se mettant en défenee. 

Arrière! tu as osé lever la main sur moi! je te chasse, 
entends-tu, je te chasse!... 

(U sort par le fond en emportant avec loi Tencrier et le papier.) 



SCENE IX. 

LULLI, senL 

Cher compagnon de ma misère, 
C'est mon cœur qu'avec toi ce méchant a brisé; 
Rêve que l'avenir me promettait naguère, 
Désormais tu m'es refusé. 
Et me voilà seul sur la terre! 

ROMANCE. 

Premier couplet. 

Quand le refrain vif et clair 
De ta chanson folle 



248 OPÉRAS-COMIQUES 



Gomme un oiseau qui s'envole 

S'élançait dans l'air, 
La mienne agitant son aile, 
Là,-haut montait avec elle. 
Ton ami triste et confus 
Ne sautera plus, 
Oimé! 
Ze ne sauterai plus! 

Deuxième couplet. 

Quand résonnait ta gaité, 

Plus franche et plus douce 
Que n'est sur un lit de mousse 

Le soleil d'été!... 
Ze n'avais plus d'autre envie 
Que de rire de la vie ! 
Ah! sans toi, triste et confus 

Ze ne rirai plus, 
Oimé! 

Ze ne rirai plus ! 

Oh! ce méçant Bessamel, comme je le battrais... si j'étais 
le piou fort... ma, je ne le souis pas et, dans mon chagrin, 
je n'ai piou qu'à me zeter à Teau... ce qui est bien triste 
pour un mousicienl... N'importe!... j'y vais de ce pas! 

(Fausse sortie.) 

SCÈNE X. 

LULLI, PHILIPPE, qui entre rapidement et en désordre. 

PHILIPPE, à demi-YOÎx. 

(Test ma dernière ressource!... lui écrire mes adieux et 
me faire sauter la cervelle!... (Haut.) Garçon, un cabinet?... 

LULLI. 

C'est à moi que vous parlez?... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 249 



PHILIPPE. 

Eh! à qui donc?... 

LULLI. 

Pardon, mon beau seigneur, mais ze ne souis piou de la 
maison, ze m'en vais... 

PHILIPPE. 

Tu t*en vas? 

LULLI. 

Ze vais me tuer!...- 

PHILIPPE. 

Tiens!... moi aussi. 

DUO. 

« 

LULLI. 

Vous tuer?... 

PHILIPPE. 

Vous tuer?... un enfant! 

LULLI, le regardant. 

Moins qu'un homme! 

PHILIPPE. 

Vous n'ayez pas vécu ! 

LULLI. 

Mais j'ai beaucoup souffert!... 

PHILIPPE. 

C'est comme moi, l'existence m'assomme... 

LULLI. 

Pour moi la vie est un désert. * 

PHILIPPE et LULLI, très-gaiement. 
Môme sort nous rassemble, 
Ah! vraiment 
C'est charmant! 



■4 ^ 

J W 



1 



250 OPÉRAS-COMIQUES 



De ce pas allons ensemble 
Nous tuer gaîment!... 

LULLK 

Marchons!... 

PHILIPPE. 

Un mot... apprenez-moi, de grâce, 
Le motif... 

LULLI. 

Volontiers, j'avais un violon, 
Un instrument plus beau que celoui d'Apollon, 
Il est brisé!... 

PHILIPPE, riant. 
C'est ce qui vous tracasse!... 
Un violon, ça se remplace. 
Ah! ah! ah! ah! mourir pour ça!... 
La bonne histoire que voilà! 

Ensemble, 

LULLI, fAché. 

Quitter la vie 

Est mon envie. 

Bon ou chétif 

J'ai mon motif; 

Que vous importe! 

Mon désespoir 

En son pouvoir 

N'a qu'une porte!... 
Bref! je sens tant de chagrin là, 
Que je veux mourir... et voilà! 

PHILIPPE. 

Biaisante envie. 
Quitter la vie 
Pour un motif 
Aussi çhétif!... 
Pour qu'on en sorte 
Il faut avoir 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 251 



En son pouvoir 

Raison plus forte I 
Ah! ah! ah! ah! mourir pour ça!... 
La bonne histoire que yoilà ! 

LULLI. 

A voire tour, confiez-moi, de grâce. 
Le motif... 

PHILIPPE. 

Volontiers. J'aimais d'ardent amour 
Une femme, ou plutôt un ange... dans ce jour 
On la marie... 

LULLI, riant. 

Eh quoi ! ça vous tracasse ! 
' Ah! ah! ah! ah! mourir pour ça!... 
Une femme, ça se remplace... 

PHILIPPE. 

Monsieur, monsieur!... 

LULLI. 

Ah! ah! ah! ah! 
Ensemble, 
LULLI. 

Plaisante envie, etc. 

PHILIPPiC. 

Quitter la vie, etc. 

LULLI. 

Bref, dans mon projet je persiste!... 

PHILIPPE. 

Vous êtes fou, je ne dois pas 
Vous laisser courir au trépas ! 

LULLI. 

J'y cours. 



S52 OPÉRAS-COMIQUES 



PHILIPPE, l'arréUnt. 

Pardonnez si j'insiste... 
Un violon, est-ce bien cher? 

LULLI, soupirant. 
Hélas! oui, deux louis ! 

PHILIPPE, les lui donnant. 

C'est tout ce qui me reste! 
Prenez-les!... 

LULLI. 

Vrai? 

PHILIPPE. 

Bien vrai. 

LULLI. 

Je rêve, c'est fort clair!... 

PHILIPPE. 

Mais non... 

LULLI. 

Alors piou de prozot founeste! 

PHILIPPE. 

Ainsi j'ai donc fait un heureux! 

LULLI. 

Per Dio! vis en aurez fait deux!... 

PHILIPPE. 

Deux?... 

LULLI. 
.Votre sarmante maîtresse, 
Je vous la rends! à vous je m'intéresse 

PHILIPPE. 

Mêla rendre! par quel moyen? 
Dites, parlez! 

LULLI. 

Je n'en sais rien. 



LES PETITS VIOLONS OU ROI 253 



Mais prenez espoir et courage; 
Unis pour combattre l'orage, 
Tous deux en nous tenant la main 
Suivons gaîment notre chemin. 

PHILIPPE et LULLI. 
Oui, bataille! bataille! 
Et d'estoc et de taille ! 
Du destin je me raille 
Et je marche en ayant. 
En ayant ! 

Brayer le péril gaiment 
Le détourne bien souvent ; 
D'où vienne et souffle le vent. 
Marchons toujours, toujours en ayant. 
En ayant, en avant! 

Oui, bataille! bataille, etc. 

Nouveaux amis que Dieu rassemble. 
Au lieu d'aller mourir ensemble, 
Vivons, unis par l'amitié! 
Chagrin, plaisir, mettons tout de moitié! 

Oui, bataille! bataille, etc. 

LULLI. 

Mor^ bon ami, mon ser ami!... A propos, comment te 
nomme-t-on? 

PHILIPPE. 

Philippe Beauvais... et toi? 

LULLI. 

Jean-Baptiste Lulli. 

PHILIPPE. 

Français ? 

LULLI. 

Non, de Florence, un beau pays, tout en fleurs, comme 
son nom, puis quelle mousique là-bas!... si belle, que j'ai 

ScRiDE. — CEttvres complètes. IV»»» Série. — i8«"« Vo'.. — 15 



SSft 'japtoivs-^XMii^soBB' 



voulu la révéler à tes ânes «le "CMnpatpkrtes, je 9ouîs parti 
^ pied, le sac sur le dos...- et rien dedans... ma, j'étais risse 
♦d'espérance, car tel que ' tu "me vois, je souis un grand 
ihomme. 

PHILIPPE,' le regardant. 

Grand! tu as encore un. peu de chemin ta faire. 

UVLLI. 

Je le ferai, tu verras, j'ai dou zénie, ce qui n'est pas oune 
raison pour réoussir en France ; ma j'ai en outre de l'esprit, 
de l'adresse et une volonté de fer; ma c'est trop te parler 
de moi; à ton tour, camarade, et conte-moi ton histoire. 

JJefte Taî dite en trois mots! je suis amotrreux; (Avec un 
-•^upîr.) tu sais ce que destil 

LUIXI. 

JBa* -eneor. . . amoareuxi de qui? 

PHILIPPE. 

'De ma cousine Hortense, tout enfants nous faisions des 
"*^rojets de mariage... et voici, qu'au moment de les exécu- 
ter, on ne veut plus. 

.liUDU. 

<Qm ça?... 

BSIUPfiB. 

: Ma tante, madame Beauvais... '-Mon- •cher, quel car«ctère! 

LTfLXT. 

'^¥ne vieille dévote affreuse... 

PHILIPPE. 

..Dm tout, charmante et jeune encore!... 

LULLI. 

'3'Atttpis.,'<tu Q>'as pA&mâm6 Taspoir dlhériiar.d'cjiel 



LES P'BTITS VraL6N8 I^U ROI 255 

PBfUPPE. 

Sigare-^oiqcfe noa tante, ma propre tante ne me trouve 
pas, pour die, (f assez bonne fttmillel... 

LULLI. 

Eh! per Baccho!... d*où sort-elle donc?... 

PHILIPPE. 

Des piliers des halles, où son père était marchand de 
draps!... Madame Beauvaisi, d'abord .couturière de larme 
et plus tard sa femme de chambre, est arrivée dans ces 
derniers temps à un degré fle laveur tel que la tète lui en 
a tourné ! Elle ne rêve que giandeuns e* titras, et comme on 
lui oppose toujours sa famille, .elle veut nous élever malgré 
nous, aussi haut que possible. Elle a voulu me mariei' à 
une marquise douairière, j*ai refusé,.. Elle veut marier ma 
cousine Hortense à un vieux duc!... J'ai menacé de tuer 
mon rival et, pour m'en empêcher... elle prétend me faire 
jeter à la Bastille... 

LULLI. 

. Ça \om sera inpossibte. 

PHILIPPE. 

C'est déjà fait... la lettre de cachet est obtenue et doit 
lui être délivrée aujourd'hui. Elle a un crédit qu'on ne s'ex- 
pflique pas. Tu vois ma position : Hortense mariée à un 
autre, moi jeté en prison... autant mourir tout de suite! e 
j'y allais!... 

LULLI. 

Tou allais faire oune bêtise... et moi aussi. 

PHILIPPE. 

Quand on est sans ressources... 

UJLLJU 

.Uy eaia toH^ofinrs avec raudaec^ et.auttoutieihaisardji.iM 
aussi je compte sur lui!... 



256 OPÉRAS-GOIfIQUES 



PHILIPPE, qni a regardé dans le fond. 

Quevois-je? ma tante ici... sous un costume de gri- 
sette!... et causant avec un monsieur que je ne connais 
pas!... 

LULLI. 

Le hasard dont ze te parlais... il vient à nous... tâchons 
d'en profiter. 

PHILIPPE. 

Qui peut sous ce déguisement l'amener au cabaret? 

LULLI. 

Ze le saurai... mais qu'elle ne te voie pas. 

PHILIPPE. 

Cest juste. 

(ils disparaissent tous deux par la droite.) 

SCÈNE XI. 

M""® BEAU VAIS, ODODËIf descendant dn fond da théâtre; puis 

LULLI. 

ODODÉI. 

Vi voilà, ma sère madame Beauvais, la première au ren- 
dez-vous ! . . . 

M™* BEAUVAIS. 

Oui, sous prétexte de commander un souper pour mon 
bal de ce soir... et sous ce costume... 

ODODÉI. 

Qui VOUS rend piou charmante, si c'est possible I 

M™® BEAUVAIS, riant. 

Et vous, plus je vous regarde... qui reconnaîtrait sous 
cette défroque Tâme damnée du cardinal , le signor 
Ododéi ? 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 257 



ODODËI, effrayé. 

Zilto! iillo!... 

M"*« BEAUVAIS. 

Enfin que voulez-vous?... et quel est le but de cette mys- 
térieuse entrevue demandée avec tant d'instance? 

ododëi. 
Peut-on parler sans crainte ? 

M"® BEAUVAIS. 

Ici plus que partout ailleurs... on ne verra en nous que 
deux bons bourgeois. 

ODODEI. 

Qui viennent se rafraîchir. (Appelant.) Garçon, de la bière 
•t des échaudés ! 

LULLI, paraissant. 

Voilà, monsieur, (a port.) Quoique je ne sois plus de la 
maison... c'est égal. 

(il pose sur la table un panier d'échaudés et deux verres. Il débouche 
une bouteille et reste debout près d'eux.) 

M™« BEAUVAIS, le regardant. 

Qu'est-ce que vous faites là ? 

LULLI. 

Je reste pour vous servir I 

M™® BEAUVAIS. 

C'est inutile ! 

LULLI. 

Alors, je m'en vas. (a part.) Je m'en vas... me blottir der- 
rière la charmille. 

(n disparaît; madame Beaurais et Ododéi restent assis tous deux sous la 

tonnelle à droite.) 

M™« BEAUVAIS, à Ododéi. 

Parlez; j'écoute !... 



258 QpimjLB'COMUlfiEn 



Je vais parler francement. (Après une pause.) C^bz" la t car- 
dinal de Mazarin, mon maître, on s*est un peu inquiété des 
galanteries du jeune roi à votre égard ! 

MP^ BfiAUVAfS*. 

Amour platonique. # 

ODODÉI. 

Je le veux bien... mais à tort ou à raison, la reine mère 
alarmée a dû vous signifier votre congé. 

M"*« BEAUVAIS. 

Une injustice !... 

OT>X)DÉI. 

Que je déplore' d*aiilatit pioû' que le roi est tout âfeit 
guéri de cet amour. 

M^ BBAUPf AfS*. 

Vbu« croyez?... 

ODOOÉI. 

Mais pourtant les égards qu'il vous témoigne, les visites 
qu'il vous rend, et qu'on croit danzereuses 

H«'« BEAUVAIS. 

Dangereuses, pourquoi? 

ODODÉI. 

Eh ! l'exemple. 

M'** BÊAirVAIS. 

L'exemple, il est superbe, un roi tendre et* fidèle... 

ODODEI, arec une légère impatience. 

Ma que vi savez bien ce que ze venx vi (tire ! 

Mme BEACVAIfi. 

Nullement. 

ODOPfiC 

Alors, ze vais parler francement : zadis femase-de. okttn- 



LES PiETlTS VIOLONS DU ROI SB^ 

bre et confidente de la'.reôie^.Ykrasez dans vos mains toute- 
sa correspoodano&'.el'oeBe'du casdùia}.. 



^BEAUVAIS. 

Pai tout rendu. 

ODOOÉI. 

Non pas !... 

M"™ BEAUVAIS. 

Ou tout bWilô. 

ODODÉI. 

Excepté deux ou trois lettyes intimes adressées à vous- 
même... 

M"** BEAUVAIS. 

Oh ! celles-là je les ggacde comme un précieux souvenir l. 

onMéii 
On ne trouve pas cela, convenable. 

M™" BEAUVAIS, ironiqiitamit. 

On craint que je ne les montre.,au jeune roi... cette mé- 
fiance!... 

ODODÉI. 

On ne se méfie pas, ma on désirerait les javoic... etx*estf 
moi qu'on a sargé... 

M™" BEAUVAIS. 

De cette négociation, vous promettant sans doute, en «as- 
de réussite, une récompense... 

ODODÉI . 

Dont vi n'aurez pas la cruauté de me priver, d'autant: 
qu'à défaut d'arrangeiaect^. a» emploierait des moyens.... 

Hr"»» BSAVTAiSV se-1ivank 

Violents !... Jour de Dieal tqo'on essaie 1 si Ton mettait lék 
main sur moi, il y aurait du bruit en haat ll«ii i 



n 



260 OPERAS-COMIQUES 

ODODÉI, effrayé. 

Di calme ! je vi zoure que nous n'avons que des inten- 
tions caressantes. Toutes les petites douceurs que vi de- 
mandiez vis ont été accordées... tenez cette lettre de casset 
contre le zeune Philippe, votre neveu, la voici. 

M"« BEAUVAIS. 
Donnez ! (prenant la lettre de cachet et la regardant.) Ce n'est 

pas en règle... il y manque le sceau de la grande chan- 
cellerie. 

ODODÉI, reprenant la lettre. 

Il y sera apposé dans une heure. Vi voyez que nous som- 
mes des amis et qu'en cette qualité vi pouvez me rendre 
ces lettres. 

M™* BEAUVAIS. 

Trois pour une ! j'y perdrais... Voici mes conditions. 

LULLI, caché, h part. 

Quelle intrigante !... 

M™® BEAUVAIS. 

Hein?... 

ODODÉI. 

Ze ne dis mot. 

M™* BEAUVAIS. 

Primo. La place que j'occupais près de la reine, me sera 
rendue. 

ODODÉI. 

Diavolo ! ça sera bien désagréable à Sa Majesté. 

M™« BEAUVAIS. 

Je n'exige pas que ça lui fasse plaisir, 

ODODÉI. 

Enfin on avisera. 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 261 



M™« BEAUVAIS. 

Secundo... 

ODODÉI. 

Basta, basta ! 

M™* BEAUVAIS. 

J'exige, et sans retard, des lettres de noblesse avec le 
titre de baronne que j'ai vainement sollicités. 

ODODÉI. 

Ohl 

M™' BEAUVAIS. 

Ça vous étonne? 

ODODÉI. 

Non, sère amie, je trouve que vi les avez bien gagnés, 
ma on obzectera votre famille. 

M™® BEAUVAIS. 

Ils étaient trois dans Tarche, je ne sais pas duquel je 
descends... Tertio... 

ODODÉI. 

Basta ! basta ! 

M"*® BEAUVAIS. 

Comme un litre tout seul est chose ridicule, je veux être 
portée pour une pension de dix mille livres sur la cassette 
du roi . . . Voilà mes conditions . . . 

ODODÉI. 

Elles sont inacceptables, réfléchissez encore... 

M™* BEAUVAIS. 

Oh ! c'est tout réfléchi. 

COUPLETS. 

Premier couplet. 

C'est à mon tour 
D'être insolente, impertinente 

1Î5. 



1 



26S opiaÂ8/-GOiu{2UEs 



Comme vos daaies de la eour. 
En secret je suis dominante... 

Et je m'en vante... 
Enfin, je veux rêtteraa grand jouri 
A la fois hautaine et servile, 
Je ferai par la grande ville 
Tant de fracas, d'embarras, 
Qme ch«euii dir» t<mt hsa : 

Qu'on s'efface 
Devant la reine du jour I 
C'est à mon tour ! 

Point de scrupule, 
Quelque sotte qui recule I 
Rire de tout est le plus court, 
Bref^, je dirai, si l'oa me trouve ridicffle .- 

C'est à mon toarl 

Deuxième couplet. 

C'est à mon tour 
De m'entendre conter fleurette 
Par vos jolis muguets de cour!... 
J'étais coquette. 
Mais je l'étais ea cadie^to; 
Enfin jfi veux l'être, au grand jour- 
Je veux que pour moi l'on soupire 
Et qu'en me contant son martyre, 
Le plus fat ou le plus sot 
Di se en fripant â€& jabot : 
Ma mignonne. 
Soyez bonne 
Et payez -moi de retour. 
C'est à mon touri 

Point d». scrnpale, etc. 
OOtmÉi; ftyec colère. 

Vis en demandez trop!' c'est impossible... 



LES PBTnra^ viaLCTN» DU roi 20^ 

M™® BEAinaaif.de même. 

Alors rien de fait ! 

ODODÉI, MJmodérant. 

Cette sère madame Beauvais I (a part.) U faut gagner dui 
temps. (Haut.) Je vous dermmh à'y réflessir. 

M"« BEAUVAIS. 

Très-bien! je vous donne» jusqu'à demain matin. 

OBOMT. 

Z'ôusqu'à demain matin, miséricorde 1' 

M™« BEAUVAIS. 

Ma rentrée en faveur, le titre de baronne, une pension* 
de dix mille livres et ces lettres, de mon secrétaire dans; 
vo8;maiBâ;«. Sfiaani.** AdkHi sig»i»d 

ODODÉt, 

Ze vi baise les mains. 

SCÈNE XTÎ. 
ODODÉÏi imk LULLI. 



ODODÉI^ tfè*-agité. 

Des conditions par^iJULesi alkuzs^ c^est ua. essaiJ et. me- 
voilà privé de ces dix mille pistoles qu'en cas de réoussite^ 
Son Éminence avait daigné'me promettre!... Sango di me!.., 
dJxnriflte -pistoles! que de boBn«s action» j'aurais ^pu<5oin- 
mettre avec cela ! . . . Maudite Beauvais ! drx tnille pif^oJe» !*.'.« 
J'en donnerais quatre mille pour ravoir ces lettres ! 

Je les prends. 



264 OPÉRAS-GOlfIQUES 

ODODÉI. 

Toi! d'où sors-tu?... que veux- tu?... 

LULLI. 

Vis enrissir. 

ODODÉI. 

Un marmiton! 

LULLI. 

Le talent, il est bon à toutes sauces. Vi voulez obtenir 
trois lettres renfennées dans le secrétaire de la signora. . . 

ODODÉI. 

Gomment sais-tu? 

LULLI. 

J'ai tout entendu!... demain les trois lettres elles seront 
entre vos mains, moyennant la somme par vous promise. 

ODODÉI, Tiremeot. 

Deux mille pistoles. 

LULLI. 

Vis aviez dit quatre! Va pour deux... je ne marchande 
zamais. 

ODODEI. 

Ma, qui me dit, qu'une fois nanti de cet argent?... 

LULLI. 

Vous ne paierez qu'après!... donnant donnant. 

ODODÉI. 

C'est piou honorable et piou rassurant, ma qui m'assoure, 
petit, que tou réoussiras ? 

LULLI. 

Ze suis Italien, et vi savez, signor, qu'en fait d'intrigue, 
nous n'avons pas nos pareils. 



l 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 265 



ODODEI. 

J*accepte!.., (a part.) Car après tout, c'est le cardinal qui 
paiera. (Haut.) Voici donc nos conditions bien arrêtées. 

LULLI. 

Les vôtres, monsignor... car ze n*ai pas encore fait les 
miennes... 

ODODÉI. 

Ah! tou as de Tesprit et de la proudence... 

LULLI, le regardant. 

Ze regarde, monsignor, et z*étoudie. (lauehant du doigt la 
poehe d'ododéi.) Vis avez là, contre un de mes amis, oune 
lettre de cachet. 

ODODÉI, la tirant de sa poche. 

C'était pour être agréable à la Beauvais. 

LULLI. 

Vous n'y tenez plus dans ce moment, au contraire. 

ODODÉI. 

C'est vrai ! 

LULLI, prenant vivement la lettre. 

Ze la prends I... Il me faut ensuite un bel habit de cour. 

ODODÉI. 

A toi! 

LULLI. 

Ze vais au bal chez la Beauvais et ze ne puis m'y pré- 
senter sous ce costume. 

ODODEI, tirant une bourse de sa poche. 

Voici dix pistoles... 

LULLI. 

Mettez-en quinze pour le carrosse et le petit laquais... (a 
part.) Je prendrai gratis un de mes camarades... 



^S06 aPKitii&-caxiauB«^ 



ODOIlBi. 

PBnnets ckmci... H ne rtsAe pfais daa& maiboiBFBB: que 
cinq piiMesa 

LULLI, preiuuat la bourse. 

Mettons-les pour les frais imprévus... vous disiez tout à 
l'heure qu'il fallait de la prudence. 

ODODEI. 

Oui... mais qui me répond de. toi?... maintenant, qua tu 
as vingt pistoles!... 

LULLi: 

Per Dio! Tenvie que z'ai de gagner les adtresî.'.. 

ODODÉI. 

Ce mot, il est profond et me décide... (a part.) Après tout, 
c'est le cardinal qui paiera, (Regardant LuIU.) et puis il est 
encore trop jeune pour être fripon... (Haut.) Addîo... 

LULLI. 

Ah ! une invitation de "bal per me. 

ODODÉI. 

C'est zuste... il pense à tout... addio... piccol'oî 

(n sOTt a« moment où Philippe parait.) 

SCÈNE XIII. 
LULLI„PHILIPPE. 

FINALE. 

LULLI, . joyenaanaent» 
Victoire, victoire! 
Pour moi quelle gloire ! 
Déjà, pour début, 
J^ai tocpcbé le hat ! 
Salntà riuteiçuei 



LES PBTIDft VHODOJCS. DU ROI 26T 



Par qui, sans fatigue, 
On fait un chemin 
Rapide et. certain i 

MfïEÎPPE. 

Il chante vtet^ÎM! 
Mais puis-je le croire? 
Et dès le début 
Touchons-notis * \f but f 
Au pays:d'iliytri|«» 
Souvent qui se ligue, 
Cherche son chemin 
Û'tm.pas incertam 

A l'horizon plus de tempête; 
Et si cette nuit l'oa tlarréte, 
Ce sera bien de ton plein gro. 
(Lui donnant lai lattra dé caokat») 
Voici le premier coup paré! 

BHIUIVfi. 

Libre!... 

LULLI. 

Par moi, mais qu'on m'écoute; 
As-tu du cœur? réponds! 

PHILtlPPB. 

Ce doute... 

LULLI. 

Tu vas me le prouver. 

PHILIPPE. 

Gomment?... 

LCULI. 

En pratiquant Tenlèvementl 

PBIUPPE. 

Celui d'Hortense?..* 



268 OPÉRAS-COMIQUES 



LULLI. 

Zoustement I 
Tu vas, pour tenter l'aventoure. 
Préparer sevaux et voiture. 

PHILIPPE. 

C'est dit. 

LULLI. 

Sois prompt et diligent! 

PHILIPPE. 

Je vole... Ahl diable et de l'argent I 

LULLI, lai donnant ane bonne. 
Partageons. 

PHILIPPE. 

Miracle et merveille!... 
Vraiment je doute si je veille ! 

LULLI. 

Au jour naissant, devant Thôtel Beauvais 
Tu m'attendras... 

PHILIPPE. 

Mais!... 

LULLI. 

r 

Pas de mais!... 
6 mot, mon ser, n*est pas français! 

Ensemble, 

LULLI. 

Victoire, victoire! 
Pour moi quelle gloire ! 
Déjà pour début 
J'ai touché le but! 
Salut à l'intrigue, etc. 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 269 

PHILIPPE. 

Victoire! victoire! 
Il faut bien y croire, 
Et dès le début 
Nous touchons au but ! 
Salut à l'intrigue, etc. 

(llf sortent en courant et en se tenant par la main.) 

SCÈNE XIV. 
Marmitons, Voisins, Peuple. 

(Défilé des patronnets qni commencent à sortir de la maison de Béchamel.) 

MARCHE DES PATRONNETS. 

LES PATRONNETS. 
Gaiment, morbleu, 
Allons au feu! 
C'est Béchamel qui nous guide, 
Sous" ce chef intrépide 
Marchons au pas . 
Et l'arme au bras! 
(Pendant ce chœur, les fenêtres et les portes se sont ouvertes. Des yoisins 
du quartier s'amusent à regarder le défilé des patronnets et se moquent 
d'eux.) 

• LES VOISINS. 

Mais voyez donc que d'embarras ! 
Que d'embarras, que de fracas!... 
On les prendrait pour des soldats 
Qui vont conquérir des États!... 
Marchant au pas et l'arme au bras ! 
Ah ! ah ! ah ! ah ! 

LES PATRONNETS. 

Finissez, manants et pieds plats ! 



Ou nous vous jeton& tous à bas ! 
(Les patronnets jettent des pierrf«..auxj»illearji^ le» portes et les fenétres- 
se referment. — Les ^fituMBCtts-cie «oabjnmés au fond.) 

SCENE. XV. 

LULLI, reparaît, suivi de PHILIPPE; A sa Tue tous les PaTROX- 

NBIS l'enUMor^nt. 



Lulli!... 

RISOTTO. 

Nous savons ta disgrâce î 
Pour toi quel malheur!... 

LULLI. 

C'est selon ! 
De la cuisine L'on me chasse,. 
Mais il me resld le .saloir 1.^. 

LtTLXI. 

Adieu! je pars; mB,is de là fôi promise 
Gardez toujours le souvenir vainqueur; 
N'oublions pas notre chère devise : 
Pour nous aimer, n'ayons qu'un même cœur... 

IM&^ IUkTAQNNEXS« . 

Tu pars! a<li8iii^.maâB<dc»:la ff» poeoisfi! 
Nous garderons kiS0Uv«iiif7-v«iittq«>eisrl. 
Et nous dirons iii»te«f cltôrar^dniitisfi -: 
Pour nous aimer n'ayons ■qu'iun mèlne cœur. 

BaïUPPE. 

Déjà Isu xuilt nAas..fa;yofisQ, 



LES PKTlTtSiTIOliaNat BU ROI 2711 

L'espoir s'éy«ille/ daA« moBtCoeuri 
Partons, que.le cielnoMs conduise^ ^ 

Et que le bon droit soit vainqueur ! 

SCÈNE XVI. 
Les mêmes ;.BÉCHAM£L.«t ODÔDÉL; Voisins. 



BÉCHAMEL^ apercevant LulU. 
Viens ça, petit, je te pardonne... 

(a part.) 
Car au fait, j'sâ b«9«ift'^^M. 

LULU. 

A mon oreille encor résenne. 
Mon violon brisé... nctn, non, tout est fini ! 

ODODÉI, entrant et glissant on papier dans la main de Lnlliv 
Voilà ton invitation. 

LULLI, à demi-voix. 
Merci ! 

BÉCBÂMEIL4 

Partons d^ci. 

LES FATIUUST^ËTS. 
Partons d'ici ! 
(Les voisins reparaissent aux j'Ortes et aux fenêtres.)' 

MARCHE DES PATRONNETS. 

Ensemble. 

LES PATRONNETS. 
Gaiment, morbleu! etc. 

LES VOISINS. 

Mais voyez donc que d'embarras! etc. 

LULLI. 

Adieu, je pars! mais de la foi promise, etc. 



272 OPBRAS*GOMIQUES 

RISOTTO et VOL- AU- VENT. 

Tu-pars, adieu, mais de la foi promise, etc. 

PHILIPPE. 

Déjà la nuit nous favorise, etc. 

ODODÉI, regardant Lulli. 
Oui, grâce à lui notre entreprise 
M'apparaît sous un jour flatteur ; 
J'ignore encor ce qu'il avise. 
Mais désormais, je n'ai plus peur. 

BECHAMEL, regardant LuUi. 

J*ai fait je crois une sottise, 
Car il est fier, il a du cœur; 
Dissimulons, c'est ma devise, 
Pour ramener le débiteur. 





ACTE DEUXIEME 



Un élégant boudoir; salon au fond. — Portes A droite et à gauche. Croi-* 
sées à droite sur le second plan. Une toilette. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

M«« BEAUVAIS, HORTENSE, en grande toilette. 
M"® BEAUVAIS, entrant. 

Je n'en puis plus, j'étouffe de chaleur et de joie !... Quel 
triomphe pour mon hôtel!... Des marquis, des barons à 
n*en savoir que faire!... puis quel luxe céans, comme on a 
festiné ! quelle cohue, quel vacarme ! 

HORTENSE, soupirant. 

Hélas!... 

M™* BEAUVAIS. 

Dites donc,' ma mie, vous êtes toujours à soupirer comme 
une colombe; je vous plains fort, vraiment! Être duchesse 
de la Vauguyon, voilà un malheur ! 

HORTENSE. 

Oui, quand avec ce titre on m'impose un mari que je 
déteste ! . . . 

M™® BEAUVAIS. 

A-t-on donc tant besoin d'adorer son mari? Duchesse!... 
Mort de ma vie, je voudrais être à votre place! 



274 OPÉHAS-GOHUàU 



HORTENSE. 

G*est bien facile, ma tante. 

M™** BEAU VAIS. 

Ehl je ne suis pas libre!... je veux dire que Monseigneur 
le duc ne pense nullement à moi, mais à vous!... Il vous 
raime à en perdre Uespiill 

HORTENSE. 

Pour ça, je Ten défie. Non, tout décidément, ma tante, 
Je préfère entrer en religion. 

M™® BEAUVAIS. 

Ta, ta, ta!... Le couvent ou Philippe, c'est connu; mais je 
:suis là, ma nièce, et vous n'aurez ni l'un ni l'autre. 

Pauvre Philippe!... 

611- n*était que ifaorre ! . . . mais soia^z donc, ma- diérie , 
«que soapère vendait du drap. 

HORTENSE. 

Le mien aussi, ma tante, le vôtre aussi. 

M™* BEAUVAIS. 

Ehl à qui le dites-vousl... Us avaient tous cette rage-là 
•dans notre famille; mais moi, je ne l'ai pas. Je .vai&.étre 
baronne, vous duchesse ; ainsi renemcez don& à vous enca- 
nailler. 

ûhl ma. tente! 

M"® BEAUVAIS, s'asseyant. 

Hortense, écoutez-moi! On me (jroit en disgrâce; on se 
tratu^ La .reine mère, 'liont fai possédé les secrets, me 
•déteste, c'est inai; siftis elleime.cTaiiit.' Quant .an jeûnerai. 



LES PETITS fWlOL'O^B 1>U ROI ÎTÎÔ 

il n*a jamais cessé d'être «niible "Vfec 'moi, et il m'en 
doime une preuve qui va surpirtadre et :tsoiifondre. tous les 
-envieux. Le roi, la reine, le cardinal sont arrivés ce soir 
de Saint-Germain à Paris pour visiter demain l'hôtel de la 
Monnaie. Lorsqu'il en sortira, le roi doit demander avec 
indifférence : « Quel est donc cet élégant pavillon que j'aper- 
çois d'ici?... — Celui de M"^* Beauvais, Sire. — Ah! je se- 
rais curieux de le parcourir. » Caprice de roi est toujours 
•obéi. Le roi viendra chez moi ; l'exercice donne de l'appétit, 
et le roi aura faim : il daignera 'accepter avec indifférence 
un fruit, un sorbet ; il trouvera une .collation magnifique 
■que mes ennemis intimes, la reine et le cardinal, ne pour- 
ront se dispenser de partager avec lui... Au dessert, je me 
jetterai aux pieds de mesiibistDBs hôtes, et je les supplierai 
d£ m'aeiMxider Tinsigne fareur .ée^jàgmr voira castrat i de 
mariage. Le roi consentira, toujours avec indifférence, et, 
grâce à celte petite scène improvisée que je prépare depuis 
un mois, mes rêves seront accomplis et me voilà plus ^en 
faveur que jamais. Je n'ajouterai qu'un mot : c'est que 
M. Philippe, qui semble faire obstaek à tous mes projets, 
•est à cette heure sous clef, horjs d'étal «ide! une. iisire,Ji la 
Bastille enfin, d'où il ne sortira que lorsque vous aurez 
consenti à devenir duchesse de la Vauguyon. 

HORTEXSE, se lerant. 

Philippe à la Bastille I à cause de moi !... Vous n'aurez pas 
le cœur de l'y retenir? 

M"« BEAITVAIS. 

Je vous ai dit, ma mie, que ça dépendait devons seule !... 
Épousez, il est libre. 

HORTENSE, pleurant. 

J'épouserai... j'épouserai. 

M"« BEAUVAIS. 

Vous voilà raisonnable ; je vafe dès ce soir m'entendre 
avec le duc, pour le contrat. 



276 OPÉRAS-COMIQUES 



HORTENSE) joignant l«s mains. 

Ma tante, quoi! mon chagrin... 

M"® BEAUVAIS. 

Je vous Tai dit, ma chère, on ne se marie pas pour son 
plaisir. 

(Elle sort.) 

m 

SCÈNE IL 

HORTENSE, puis LULLI, en habit de cour. 

HORTENSE. 

Oh ! non, je le vois bien! C'est fini... plus d'espoir... Tout 
m'abandonne... 

LULLI, qui est entré peu arant ces derniers mots. 

Excepté moi. . . 

HORTENSE, effrayée. 

Monsieur, qui ôtes-vous?... 

LULLI, vivement. 

Un ami ; je viens de la part de Philippe. 

HORTENSE. 

De Philippe? oh! parlez! où est-il? que fait-il? 

LULLI. 

Il est libre comme l'air, joyeux comme le soleil. 

HORTENSE. 

Libre ! 

LULLI. 

Oui, grâce à moi!... 

HORTENSE. 

Mais vous êtes donc un ange? 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 217 

LULLI. 

Ze souis votre serviteur, mademoiselle, et pas autre 
chose, à condition que vous suivrez mes avis. 

HORTENSK. 

Oh ! je VOUS le promets. 

LULLI. 

Et vous ferez bien, car je n*en donne que de bons. Votre 
tante sort d'ici ? 

HORTENSE. 

Oui, monsieur. 

LULLI. 

Vous avez refusé ce mariage qu'elle vous proposait? 

HORTE^'SE. 

Oui, monsieur... J'ai refusé d'abord... 

LULLI. 

Et ensuite ? 

HORTENSE. 

J'ai promis d'obéir; la liberté de Philippe était à ce prix. 

LULLI. 

Sacrifice inutile, Philippe n'ayant plus rien à craindre. 
Vous allez dire à votre tante que tout décidément vous 
refusez l'honneur qu'elle veut vous faire. 

HORTENSE. 

Mais ma tante se fâchera. 

LULLI. 

Non, elle se calmera. 

HORTENSE. 

Oh ! VOUS ne la connaissez pas ; ma tante ne se calmera 
jamais. 

LULLI. 

Autre moyen : vis allez dire au duc de la Vauguyon que 
IV. — XVIII. 16 



'SrS opiBAJ(-ceMï<iirft« 



vis. le trouvez laid... sot à manf^er de l'herbe... que vis ne 
voulez ,pfts de Ijû, m^A. 

HORTENSE. 

Mais, monsieur, ce ne sont pas des raisons pour qu'il ne 
veuille pas de moi. 

'C'est jUiSte. Autre jam^n^ vis alkz peenâre votne voix la 
pious irrésistible pour demander un sourcis à yobve ftitôur 
jousqu'à demain ; vous ajouterez que votre bonheur vous 
effraie, que vis avez besoin de vous y habitouer ; ça Le Jflat- 
xera, et... 

HOBTEKSE. 

Et demain ? 

LULLI. 

Demain vous serez sauvée; l'important est de gagner 
quelques heures. 

HORTENSE. 

J'obéirai,.. Après? 

LULLI. 

Après, vis irez vous cousser, c'est-à-dire non, vi ne vous 
mousserez pas ; vis attendrez le point du jour, et lorsque les 
gens d'ici seront fatigués de leur nuit, commenceroat à 
«dormir, vis reviendrez ici ; nous y serons. 

HORTENSE. 

■Qui, vous?... 

LULLI. 

Philippe^ et moi, per Dio! 

JiOBJEJMSE. 

Quel bonheur!... et après? 
AfH^ès, nous vis enlèverons. 



LES PB'CITS VI0L.QN8 DU ROI 27^ 

HORTBIlâE. 

M'e&lev^r? okl jcnniâl j6 ndv€cux.{»»' qu'on m'edève. 

LULLI. 

Ahl si vis avez peur d*tm rienl... Je vous joure, cère- 
enfarrt, epie ce n'est- pas désagréfable du totrt d'être ôntev^^ 

HORTENSE. 

Mais monsieur... quitter ainsi cette maison... 

LULU. 

Souivez mon nûsdnaéBiant : il tous faudra toujours la 
quitter, soit avec votre mari, soit avec votre amant ; or ne- 
vaut-il pas mieux souivre ITiomme qu'on adore que celui 
qu'on déteste?... ah !... 

HORTENSE. 

C'est vrai!... 

LULLI. 

Vi voyez bien! 

HORTENSE. 

Eh bien! monsieur, c'est dit ! je me laisserai enlever !.... 
Après? 

Luax^ 

Après?... ma foi ! Philippe vous dira ce que vous aurez à 
faire. 

Mais ma tante?... 

IAJUmI. 

Ze m'en sarze ! J'espère trouver bientôt certain naoyen 
pour la faire conseivtâr à votre noariage. 

HORTENSE. 

Que vous êtes boa!... C'est dit! je m'abandonne à votre 
sagesse, à votre expérience. 



280 OPÉRAS-COMIQUES 



LULLI. 

A mon expérience, c'est ça. Rentrez sans piou tarder, 
on pourrait nous surprendre. 

HORTENSE. 

Oh! je ne crains plus rien. Si vous saviez combien 
vous m'avez donné de courage I 

LULLI. 

Et si vous saviez combien vis allez donner de zoie à 
Philippe!... Vis allez me donner un tout petit baiser, ça 
fait que tout le monde aura eu quelque soze ! 

HORTENSE. 

Ah! monsieur! 

LULLI, l'embrassant . 

Mon droit de commission... à bientôt! 



HORTENSE. 



A bientôt!... 



(Elle sort.) 



SCENE III. 
LULLI, sçui. 

Tout s'arrange à merveille ! un amant qui va se touer, 
une zeune fille qu'on enlève, ça ferait un joli opéra. Main- 
tenant, à nous deux, madame Beauvais. 

AIR. 

(Fièrement*) 
Le sort en est jeté, commençons la bataille ! 

(S'arrêtant.) 

Mais qu'ai-je donc au moment du combat? 
Voici mon cœur qui se trouble, qui bat, 
Et qui de ma valeur se raille. 



V- 



I 
I 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 281 



Malgré moi, 
Doux émoi 
Me pénètre.,. 
C'est la peur! 
C'est peut-être 
Du bonheur! 

Cœur si brave, 
Craindrais-tu 
D'être esclave 
Et battu?.,. 
Ou, sans force, 
A l'amorce 
D'être pris 
Et surpris?... 

Malgré moi, etc. 

Mais de ma lâcheté je devine la cause : 
Voici l'heure discrète où la fuite du jour 

Berce dans un songe d'amour 

Le monde assoupi qui repose. 

■ 

Dans la nuit 
Et loin du bruit, 
Quand l'étoile d'or qui luit 
Au pays du rêve 
Déjà nous enlève... 
Dans la nuit 
Qui passe et fuit. 
En ce doux réduit 
Conduit, 
Quel trouble inconnu me poursuit 
Dans la nuit? 

Dans la nuit. 
Vraiment c'est grand dommage, 

Dans la nuit, 
De me montrer si sage. 
Ah! si je voulais, 
Ah! si je l'osais, 

16. 



1 



28â OPÉRA.S-COMIQUBS 



Quels charmants secrets 
J'apprendrais I 



Dans la nuit, etc. 

Mais tais-toi, m«ii corar, tan-toi! 
A l'amitié je yeux garder ma foi I 
Tais-toi, pauvre cœur, et dis-toi 
Qu'ici je ne viens pas pour mm. 
(Soupirant.) 

N'importe, c'est grand dommage 
De montrer un pareil courage. 
Ahî 

Dans la nuit, etc^ 

Je crois qu'on sort du bal, on vient ici... c'est elle sans 
doute... oimél elle n'est pas seule!... Où me cacher?... ici! 

(il sft cache foua la toilette»^ 



SCENE IV. j 

j 
M°»« BEAUVAIS, SuiTAîn-ES, LULLI, caché. 



LES SUIVANTES. 

A notre maitresBe, 
Loin des yeux jaloux, 
Prouvons notre adressa 
Et signalons-nous! 

M»^ BEAUVAIS, à pvt. 

De Monseigneur, j'ignore la pensée ; 
Mais pour signer il remet à demain. 

J'ai voulu résiste!" en vain... 

Une miit est bientôt passée. 

(a ses femmes.) 

A-t-on mis maître Béchamel 
Dans la serre de mon hôtel? 



LES PBTIT» VIOitONS DU ROI 283^ 

LES SUIVANTES. 

Oui, madame. 

M"^« BEAUVAIS. 

C'est bien, allons et qn'ùn se pressB! 

LES SUITANTES. 

A notre maîtresse, et<;. 

M"® BEAUVAtS, derant sa glace. 

ARIÉtfE. 

Seul ami fidèle, 
Des confidents le modèle, 
Dont la voix révèle 
A mon cœur discret 

Plus d'un secret 
Bien coqiiet. 
Fais qu'aux ans rebelle, 
Je sois toujours belle! 
Pais durer lougtenrps 
M9« }o^9 printemps I 
Leur main trop cruelle, 
Dis-moi, viendra-t-elle 
Arrêter le cours 

Des gais amours? 
Ab ! faig^ies durw toujoirrs î 

LULLi, caché. 
Femme qui beJitlle 
Et se déshabille, 
Dieu que c'est joli!... 
Pauvre petit LulU! 

'Ah! 
Seul ami fidèle. 
Des confidents le modèle, 

Rends-moi toujours belle ! 
A mon cœur discret 



^^^:^ 



284 OPÉRAS-COMIQUES 



Dis un secret 
Bien coquet. 

(a ses femmes.) 

Et maintenant^ la nuit s'avance, 
Bonsoir et partez en silence; 

De mon réduit 

Partez sans bruit. 

LES SUIVANTES. 

Partons sans bruit 
De ce réduit!... 

(Les suivantes sortent.) 



% 



SCENE V. 
M^« BEAUVAIS, LULLI. 

^me BEAUVAIS) jetant un coup d'œil à son miroir. 

Décidément, Sa Majesté n'a pas trop mauvais goût. 

LULLI, qui est sorti tout doucement de sa cachette. 

Je souis de cet avis. 

M"^® BEAUVAIS, effrayée. 

Hein? Ciel! que voulez-vous? 

LULLI. 

Je veux... ou pioutôt ze voudrais être le roi de France. 

M™® BEAUVAIS. 

Qu'est-ce à dire?... (Le regardant.) Ticus ! ce* petit jeune 
homme qui, toute la soirée, m'a sufvie des yeux... et qui en 
dansant m'a serré la main.;. Retirez-vous, insolent!... 

LULLI. 

Madame, ne criez pas. 



I^ES PETITS VIOLONS DU ROI 285 



M°*® BEAUVAIS. 

Par exemple! (a part.) Non vrai» il n'y a plus d'enfants.. 
(Haut.) Attends un peu! 

DUO, 

M™® BEAUVAIS, appelant. 

Au secours, à l'aide! 
A Taide, au secours! 

LULLI, cherchant A la fnire taîro. 

Il faut qu'on me cède, 
Car ces murs sont sourds. 

Ensemble. 

LULLI. 

Dans votre demeure, 
Tout dort à cette heure, 
Et nul n'entendra, 
Nul ne répondra! 
Qu'entre nous, de grâce, 
Dans votre intérêt. 
Tout ici se passe. 
Se passe en secret! 

M"® BEAUVAIS. 

Oui, dans ma demeure. 
Tout dort à cette heure, 
Nul ne m'entendra. 
Ne me répondra! 
Quel excès d'audace! 
Mais mon intérêt 
Veut que tout se passe, 
Se passe en secret! 

M™^ BEAUVAIS, se calmant. 
Puisqu'il le faut, je vous écoute! 



» • r^l 



288 OPÉRAS-COMIQUES 



LULLI, qui a tronyé l«s papiers. 

Grâce au sort tutélaire, 
Ma ruse téméraire 
Triomphe en cette affaire 
Et je tiens cet écrit l 
Vive la contrebande! 
Vivent les gens d'esprit! 
Quand l'audace commande 
La fortune obéit I 
(li revient près de madame Beauvais et lui remet la clef après l'aTOÎr 

saluée.) 
Voici le jour. 
L'heure où l'amour 
En tapinois fait sa retraite!^.. 
Mais ze le sens, 
Ze le regrette, 
Z'ai bien mal employé le temps. 

M"*® BEAUVAIS, arec ironie. 
Je vous plains fort ! 

LULLI. 

Bonne et zolie!... 
Votre cœur est si généreux 
Que vous m'accorderez, si ze vous en supplie 
Un baiser!... 
(Geste de refus de M™® Beauvais, Lulli continue en montrant son pistolet.) 

Soit! z'en prends deux. 

Ensemble. j 

M™^ BEAUVAIS, pendant que Lulli l'embrasse» 
Hélas! laissons-le faire, etc. 

LULLI. 

I 

Doux et tendre salaire! •; 

Parlez-moi d'une affaire 



K. 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 289 



Où rien n'est ordinaire, 
Ni danij^er, ni profit!... 

Vive la contrebande! etc. 
M"« BEAUVAIS. 

Eh bien ! il reste là ; mais à quoi pensez-vous ? 

LULLI. 

Je pense que vis êtes belle!... 

M"*® BEAUVAIS, d part. 

Des compliments... Au fait ! s'il pouvait s'attendrir et me 
rendre mes diamants. (Haut.) Dites-moi, monsieur, comment 
se fait-il que, si jeune, vous ayez choisi une profession si... 

LULLI. 

Que voulez-vous? madame, notre r^tat doure si peu qu'on 
ne saurait le commencer trop tôt. 

M™® BEAUVAIS. 

Tenez, je sens que, malgré moi, je m'intéresse à vous, j(» 
voudrais vous sauver... vous... 

LULLI, soupirant. 

Me sauver, vous, madame, qui êtes faite^ pour daniner 
tout le monde ? 

M"™® BEAUVAIS, le regardant. 

Mais c'est qu'il est gentil à croquer. (Haut.) Voyons, un 
bon mouvement ; dites-moi que vous vous repentez. 

LULLI. 

Oh! oui, je me repens de ne vous avoir pris que deux 
baisers quand je pouvais vous en demander quatre. 

M°*° BEAUVAIS. 

Monsieur!... 

LULLI. 

Ne Criez pas, je veux bien vi les rendre. 

Scribe. — Œuvres complètes. IV"* Série. — ISo^e Vol. — n 



• - --•^ 



S90 OPBRAS-COMIQUSa 

M'^^ ]»AU¥M8, à i«rW 

Il est incorrigible, et je serais bien bonne d^avoir de la 
pitié... (Haat.) Pai*tez1^^ roonsiear, partez I 

VCliJk. 

Je le désire, mais je ne vois que cette fenêtre |mr où je 
puisse... or je craindrais de vous compromettre (a part.) et 
de me rompre les jambes. 

M™* BEAUVAIS, à part. 

Ah ! mon petit filou, je te tiens ! (Haut.) Par ici, une issue 
secrète . • • 

(SHe va lai mgrmr la parte da niiTaal ) 
LULLI. 

Celle des amants heureux... 

M^^ BEAUVAI6. 

Hein? 

LULLIy M? le sanil et loi «nri^fent àt baiaerâ* 

Ze pars!... Dieu! que ze sonis fasse de ne pas en aToir 
pris une douzaine et le treizième par-dessus le marché !... 

(U son.) 

SCÈNE VL 

M»e BEAUYAIS, q^ donne YivemeiU an tfsr 4« tM^ 

Enfin!... ah! tu es bien habile, mon jeune drôle... mais 
pas assez pour moi; il n'y a pas d'issue, te yoilà pris au 
piège, et vite, sonnons Talarme... (Eiie sonne.) Ils n*enlen- 
dent pas... Ma nièce, mes gens... holà!... 

LULLI, derrière la porte. 

Madame... madame... ouvrez... c'est une traliîfiODl 



. LES PKfrims vixhuy.HB .du roi â9i 

Ahl ah! ah! Je vous tifins et nous allcois Men me... le 
guet, le commissaire vont arriver ici, et vous serez pendu^. 
Jean Lira, mon bel ami ! 

LULLI, frappant toujours. 

Ouvrez, ou bien je brise la porte ! 

M™* BEAUVAIS. 

Elle est solide!... 

LULLI. 

J*ai sur moi un brîqtrrt, je -vais incendier la maison! 

M"'^ BEAUVAIS, effrayée. 

C'est qu'il en est capable... Dieu ! mon nouvel hôtel I... Au 
secours!... au secours!... C'est comme si je chantais. (Eiie- 
sonne et LuUi frappe.) Yoyoi», 'par loette fenêtre!... justement 
un caivalier gui passe .et impasse dans la juel... (criant.) 
Monfiieur, .monsieur! Je .ews .une pauvce iemme à .^ui on. a 
tout prisl... Oui, monsieur, un voleiu*. qu'il sfa^^it d'arrêter... 
il m'entend!... Il s'élance sur les pierres en saillie... Le 
bon, le brave jeune homme ! .(PhlUiys fexMXu) -Mon coquin de 
ivevâu l**- 

SCÈNE VIL 
M°»« BEAUVAIS, PHILIPPE. 

PHILIPPE. 

Matante! 

Vous êtes assez osé pour reparaître icf?... 



Mais, mon aimable tante, c'est vous qui ni^vn ^a^z prié. 



"SOS OPÉRAS-COMIQUES 



M"*« BEAU VAIS. 

Vous n*êtes donc pas à la Bastille ? 

PHILIPPE. 

Vous le vovez. 

V 

M»« BEAUVAIS. 

J'enrage 1 

PHILIPPE. 

Du calme... je sais bien que ce n*est pas votre faute si... 

M"** BEAUVAIS. 

Eh! allez vous promener! 

PHILIPPE. 

J'en arrive. 

M"** BEAUVAIS, A part. 

D'un côté mon neveu!... de l'autre mon voleur!... et 
mes gens qui continuent à dormir! C'est à devenir folle. Je 
vais' avertir moi-môme les voisins, le commissaire, puis 3e 
reviens en force pour faire jeter Tun de ces deux coquins 
-en prison et l'autre à la porte. 

(Elle sort Tirement.) 

SCÈNE VIII. 
PHILIPPE, HORTENSE, puis LULLI caché. 

PHILIPPE, riaat. 

Ah! ah! ah! malgré elle, me voilà dans la place ; courons 
prévenir Hortense. 

HORTENSE, accourant. 

Je suis prévenue. 



\ 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 293^ 



PHILIPPE. 

Hortense! 

HORTENSE. 

Et je serais venue plus tôt, mais j^entendais ma tante quit 
appelait au secours; je n'avais garde de paraître. Ètes-vous- 
prôtà m'enlever? 

PHILIPPE. 

Mais qui donc vous a dit?... 

HORTENSE. 

Votre ami!... 

PHILIPPE. 

Lulli? mais où est-il? 

LULLI, frappant de nouvaaa. 

Par ici... par ici! 

HORTENSE. 

C'est lui ! 

PHILIPPE, oarrant la porte. 

Que fais-tu là? 

LULLI. 

Je me fais du mauvais sang. 

PHILIPPE. 

Qui donc t*a mis sous clef? 

LULLI. 

Ta tante ! 

HORTENSE. 

Pourquoi?... 

LULLI. 

Perché je l'ai volée!... 



^4' 0i>^As-K2xrMrotrR9 . 

HORTENSfi el.PaiLIPPE. 

Volée?... 

LULU. 

hohtïînse: 
Ah 1 vous avez bien fait. 

LULLK 

Sans doute, et vis allez devenir mes complices. (Remettant 
4es lettres à Philippe.) Preuds c&s papiers, cache-lcs, ne les 
jemets qu'à moi. 

PHILIPPE. 

Sois tranquille ; mais que faire ? 

LULU. 

Eh! per Dio, c'est bien simple. 



Fi. 
LULLI. 

Tout d'abofd esquiyons-notift 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Tousl' 

LULCI. 

L'aube s'éyeillo et* la nuit... 

PHILIPPE et HOHTENSS: 
Fuit! 

LULLI. 

Et pour n'être pas surpris!... 

PHILIPPE et. HORTENSE . 

Pris! 



LES FS^tlS VIOLONS DU ROI 295 

LtLfi,!. 

Partir est I0 sfettt moyen. 

PHILIPPE 6t HOlltBïiSE. 

Bi«tà! 

Sans retard esquivons-nous. 

LUIXi. 

Tous! 

PHILIPPE et HOttTENSE. 
ici nous serions surpris... 

LGLU. 

Pris! 

PHILIPPE et HOftTENSE. 
L'aube s'éyeille et la nuit... 

LVLU. 

Fuit ! 
PHILIPPE, HORTENSB et LULLI. 

Puyons comme elle, sans bruit! 

LULLI, regardant par Ui ftaétrc.- 

Hélas! dans la rue 
Partout se rue 
La foule accrue! 

PHILIPPE. 

Comment 
En ce moment 
Tenter un enlèvement 1 

LULUL. 

Toute une cohorte 
A cette porte 
Se transporte. 



19-3 OPÉRAS-GOMIQUBS 



PHILIPPE 6t HORTENSE. 

Nous sommes perdus ! 

LtJLLI, gaiement. 
Nous serons peut-être pendus I 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Ah! j'en perdrai la raison! 

LULLI. 

Non! 

PHILIPPE et HORTENSE. 
Tout est fini désormais! 

LULLI. 
Paix! 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Qui calmera notre efifroi? 

LULLI. 

Moi! 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Dans ce péril inouï? 





LULLI. 




Oui! 


Voyons, un peu de raison. 




PHILIPPE et HORTENSE 




Non! 




LULLI. 


Il en 


faut plus que jamais. 




PHILIPPE et HORTENSE 




Ms^is... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 29T ^ 



LULLI. 

Je calmerai votre effroi. 

PHILIPPE et HORTENSE. 
Toi? 

LULLI. 

Je vous en donne ma foi ; 
Plus de plainte 
En cette enceinte ! 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Mais toi? 

LULLI. 

Je nargue le sort^ 
Plus que lui je suis fort ; 
Cette cheminée 
A me sauver est destinée... 

Petit flibustier, 
M'enfuir par là c'est mon métier. 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Quoi! ton métier? 

Ettsemùle* 
LULLI. 

Plus d'ennui, plus de chagrin 

Vain! 
Au trébuchet, dans ces murs 

Sûrs, 
Je suis comme une souris 

Pris! 
Mais j'ai des tours dans mon sac^ 

Crac! 
Et loin d'avoir en mon cœur 

Peur, 
Bravant prison et cachot, 



IT. 



« i 



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Tôt 
Je m'envole dans les deux 

Bleus, 
Ainsi qa'uB>aniiiiaîjayBaKL 

PHILIPPE et HOHSÏNSE. 

Plus d'ennui, plus de chagrin 

Vain ! 
Au trébuchet dans ces-nrars^ 

Sûre; 
Il est comme une souris 

Pris! 
Mais grâce aux tours de son sac, 

Crac ! 
Et loin d'avoir en son cœur 

Peur, 
Bravant prison et cacliiDt; 

Tôt 
Il s'envole dans les cieuR' 

Blea9> 
Ainsi qu'un oiseau joyeusî 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Adieu I 

LULLIj s'iatroduisant dans la cheminée. 
Bonsoir! 

PHILIPPE ec HOfaTENSE. 
Eh bien*?' 

LULLI^. s'éloignaDiU 

Toilà ! 

PHILIPPE et HOAIEENSE. 

Il part, ii est bien- Ibin* déjà;!' 

LULLIy aa loui«- 
Ah! 



• 



LES PBriTS vi»i,aiiia bu roi 29d 



SCENE IX. 

\An. moment où Lolli disparaît» les gens de lecTiee et Le gœt accourent 

uecMsivemeot.) 

PHILIPPE, HORTENSE, M«« BEAUVAIS, Gens de la 

maison et VoiSINS^ SoLDATS Dg'GUET, LE GOMMSSAIRE, 

ODODÉI. 

FINALE. 

LES GENS de la maison, 

tiue se passe-t-il ici?.., 
£t pourquoi drier aiftAÎ?^^ 

Dieu merci. 

Nous voici! 
Expliquez-nous tout ceci,,. 

LES VOISINS. 
Que se passo4-il ici^ etc« 

LES SOLDATS DU GUET. 

Que se passe-t-il ici? etc. 

M™« B£AUVAIS« 

Me laisser crier ainsi. 

Ah ! c'est par trop fort aasii ! 

Dieu merci, 

Vous voici! 
Mais j'ai cru périr ici. 



TOUS. 

ûue se passe-t-il ici? etc. 
M*»® BBAUYAIS* 

Signor.*^ 



(Ododëi entre.) 



HOO OPÉRAB-GOMIQUES 



ODODËI. 

Je viens pour notre affaire. 

Mn>« BEAUVAIS. 

Il s'agit bien de notre affaire ! 
J'attends monsieur le commissaire. 

ODODÉI, A part. 

Fort bien, je devine l'affaire! 
Tâchons de l'embrouiller si bien 
Que nul n'y reconnaisse rien!... 

(Le commissaire entre.) 

TOUS. 

Voici monsieur le commissaire! 

M°^® BEAUVAIS, au commissaird. 
Sachez... 

LE COMMISSAIRE. 

Un moment! un moment!... 
Le devoir d'un commissaire 
Est d'agir en cette affaire 

Prudemment, {Bis.) 
Surtout sans entraînement. 

M°^® BEAUVAIS. 

Le devoir d'un commissaire 
Est d'agir en cette affaire 
Bravement, (Bis.) 
Surtout sans ménagement. 

PHILIPPE, HORTENSE, ODODÉI et LE CHOEUR. 

Le devoir d'un commissaire 
Est d'agir en cette affaire 

Prudemment, (Bis,) 
Et sans nul entraînement. 

L^ COMMISSAIRE. 

Parlez, quel malheur vous accable? 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 301 

M™« BEAUVAIS. 

Un enfant, chez moi, cette nuit 
Pour me voler s*est introduit I 

ODODÉI, d'un air de doute. 

C'est incroyable, 

Invraisemblable ! 

Un voleur qui n'est qu'un enfant l 

LE COMMISSAIRE. 

Oui I l'on se trompe si souvent ! 

LE CHOEUR. 

Si souvent!... 

M™* BEAUVAIS. 

La preuve est qu*en ce secrétaire, 
Il m'a dérobé mes bijoux. 

ODODËl, è part. 

Le maladroit 1 c'est fait de nous I 

LE CHOEUR. 

Voyez, monsieur le commissaire. 

(Le commissaire ouvre le meuble.) 
Eh bien? eh bien?... 

LE COMMISSAIRE. 

Eh bien! mais il n'y manque rien. 

TOUS. 
Rien! rien! rien! rien!... 

M™* BEAUVAIS; 

C'est pis encore, et je suppose 
Que l'on m'a pris bien autre chose 

LE CHOEUR. 

Eh ! quoi donc ? 



LE COMMISSAIRE. 

P^s un !, 

L& CIMKWMMJIUI» 

ÂUCMtt 

C'est incroyabfe, 
Invraisemblable ! 
On ne yole pas du papier ! 

LE G&MBQSSAIAE» 

Le fait est que c'est singulier! 

Singulier^ 

M"** BEAUVAIS. 
J'enrage ! 

Paix ! dans cette aflbirei 
Le devoir d'un commissaire 
Est d'agir prudemment, 
Sans entrahi^meuff 

M"** BEAUVAIS. 

Le devoir d'an commissaire,, etc. 
Le devoir d'un commissaifo^, etc. 



\ 

j 



LES psnTS vroirai!!» du roi 303 



LE dCnVHfiC&^RfiV à PikiUppd.. 

Ça, connaissez-vous Texistence 
De ces papier» 2^ 

m 

BTon. 

LE GOMMISSAIVEV S nbrMirse'. 
Et: liNnOB?... 

aoUTimse. 

Non! 

LE COMMISSAIRE, aux gens de la maison. 
Et VOUS 2 

TOUS. 

Non! non!... 

LE COimSBAIRE. 

C'est bon D 

(à madame BeauTais.) 
Et vous avez rêvé, je pense!' 

M"*® BEAU VAIS. 

<2ui? moi, j'ai rêvé? C'est trop fort! 

LE COMMISSAIRE. 

Vous avez tort! 

TOUS. 

Vous avez tort! 
LE. GOaiMIâSAIRfiw 

€ranti tort! 

M"^^ BSÂiUVAIâ, ^imlmvrrf. 

Ils me fevost perdre lia liètc!... 
Mais poor édwcir' v^tre* esiçaétev 



304 OPERAS- COMIQUES 



Sachez que, par moi bien scellé, 
Mon Toleur est ici sous clé!... 

LE COMMISSAIRE. 

Ah! c'est différent! la justice 
Croyez-le, fera son office!... 
Et par nous, dûment entendu. 
Le coupable sera pendu I 

ODODÉI, yirement. 

Ce n'est pas assez, je demande 
Qu'avant de l'entendre on le pende ! 

LE COMMISSAIRE. 

Entrons ! 

LES SOLDATS DU GUET. 

Entrons ! 

(Le commiisaire lortant dm c«bioet.) 

TOUS- 
Eh bien? eh bien? 

LE COMMISSAIRE. 
Je ne vois rien! 

TOUS. 

Rien! rien! rien! rien! 

ODODÉI, à part, respirent. 
mon patron, je te rends grâce!... 

M™® BEAUVAIS/ 

Il aura donc quitté la place! 
Mon neveu, ma nièce étaient là!... 
Interrogez-les!... Les voilà!... 

LE COMMISSAIRE, à Philippe et à Hortense. 

Vous avez vu, parlez sans feinte, 
Quelqu'un sortir de cette enceinte? 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 805 



PHILIPPE. 

Non! 

HORTENSE. 

Non!... 

LE COMMISSAIRE. 

Ah! parbleu, c'est trop fort! 
(a madame Beaurais.) 
Vous avez tort!... 

TOUS. 

Vous ayez tort!... 

ODODEI, à madame Beaurais. 

Et le devoir d'un commissaire 
Serait d'agir en cette affaire 
Contre vous justement, 
Justement, sévèrement. 

M™« BEAUVAIS. 

Vraiment ! 
La chose serait neuve!... 

ODODÉI. 

Quoi! vous éveillez le quartier 

Tout entier! 
Nous accourons! pas une preuve 
Je vous le dis!... vous avez tort! 

TOUS. 

Vous avez tort! 

LE COMMISSAIRE. 

Grand tort! 
Ensemble, 
LE COMMISSAIRE. 

Vous êtes folle 



I . 



•906 opARA8-£<suiQirB« 

Sur ma psaoto^ 
Vous avez rêvé tout cela! 
Plus de prudence, 
Moins d*^ittS9leitc», 
Ou contre vous on sévira ! 

« 

HORTENSE 6« PBtLIPPE. 

Ma crarnte foQe 
Soudain s'envi^y 

La bonne histoire que voilft^ 
De rassuraBC«% 
Douce espérance ! 

Le daùger est bien loin déjà!... 

ODODÉI. 

Ma crainift folle, etc. 

Sur ma parole, 
Je deviiens f&Ret 
Ici tout m'accable, oui-da! 
Mais 9atiânce.l 
Faisons silence! 
On verra qui bieoCét tira! 

£E ClVGCfni. 

La SAUvre folle 
6c«Mt ^'oa la vole... 

Mais elle a rêvé tout cela. 
Quelle déxmsaadl 
Mais l'évidence 

Contre elle se tourne déjà!... 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Àh! ah! ah! ah! 
J'en ris UvM bfts. 
Ah! ah! ahl ah! 
Ma tante, hélas î 
A beau faire ; on ne kt &tm.t fàs. 



LES PETITS ▼lOLOKSF DU ROI 



907 



Ifine BlUMrVAIS. 

JUlI.aiKl aiiil ahl 
Oui l'on verra ! 
Âh! ah! àhl ah! 
Oui l'on verra 
Qui de nous remportera ! 

ODODÉI. 

Ah!ahl ahf ahT 
J'en rnr tout ïm^ 
Ah! ah! ah! ah! 
Et sans combats 
■J'ai su me tircv d'oindiarrait !i 

IX. GHOiini.. 

Âh ! ak!> ahl «k! 
Voyez-vous ça, 
Elle est folle, Mte-, ournla! 

ODODÉfly êVL eommfsMlrfl. 

Vous allez me prêter main-forte 
Et me suivre avec votre escorte ; 
Plus tard je vous dirai pourquoi. 

M™« BEAU VAIS, à Hortense et A Philippe. 
Rentrez, sortez! et qu'on m'écoute! 

HORTKIVBE et PHILIPPE. 

Malgré l'hymen que je redoute. 
Je ne serai jamais qu'à toi ! 

M"™* BEAUVAIS. 

Partez, monsieur le commissaire!... 
Mais pour moi, la chose est bien claire, 

(Montrant Ododéi.) 
Avec lui vous êtes d'accord. 

LE COMMISSAIRE. 

Vous insultez le commissaire!... 
Ah! c'est trop fort! 



308 0PÉRA8-C0MXQUK8 



TOUS. 

Vous avez lortl 

Ensemble. 

LE COMMISSAIRE. 

Vous êtes folle, etc. 

HORTENSE et PHILIPPE. 

Ma crainte folle, etc. 

ODODÉI. 

Ma crainte folle, etc. 

M™° BEAUVAIS. 

Sur ma parole, etc. 

LE CHOEUR. 

La pauvre folle, etc. 





ACTE TROISIÈME 



Premier tableau 



L'intérieur des cuisines de ThAtel Beauvais. — La broche tourne, les four- 
neaux flambent. Tous les marmitons sont à l'ouvrage. Un grand escalier 
comœiiniqae des cuisines aux appartements supérieurs. 



SCENE PREMIERE. 



RISOTTO, VOL-AU-VENT, Patronnets, Marmitons. 



LE CHGEUR. 

Joyeux marmitons, 

Luttons 
D'ardeur et de zèle; 
Qu'au son des chaudrons 

Se môle 
Le bruit des chansons! 

Rôti§sons> 

Pâlissons, 

Fricassons, 

Cuisinons ! 

Joyeux marmitons, 

Luttons 
D'ardeur et de zèle; 
Qu'au son des chanson 

Se mêle 



310 OPiRÂS-Ct)MIQUES 

Le bruh det chaudrons ! 
(Crii de tonte part.) 

Potage au potiron, 
Timballe de jambon ! 
Filets de canneton ! 
Emincé ck s^vnon ! 

Joyeux marmitons, etc. 

Mais Yoici maître Béchamel. 
Qu'il a l'air nankkkM) <it iirftlwmfil ! 

Les HÊIŒS y BEGflÂMEL, tragique et som'bn» 

héobamel. 

Dire que j*ai la recette dans la tête, que j'ai tous les élé- 
m^ats de ia «oinpa^kHHi sous M bmujl -et -que je n'jKmve à 
faire que de la ratatouille!... c'est le mot! je ne puis pour- 
tant pas servir ça au roi ! .•» Gh ! mon honneur ! . .. que faire ?. . . 
trahi par mon génie, je n'ai plus qu'à vider le calice amer 
de l'humiliation ! . . . Vol-au- Vent ?, .- 

VOL-AU-TBNT. 

Voilà, m'sieu ! 

BECHAMEL* 

Toi qui Tas vu à l'œuvre, saisHba ©omment ce petit Lulli 
traitait le soufflé au parmesan'? 

VOL-AU-VENT, 

Non, m'sieu. 

BECHAMEL. 

Petit sot!... Risotto?... 



LES P:S.TI7& VJOLOJiS I)U ROI 3ii 

JII&OTXQ. 

Voilà, m*sieuJ 

BÉCHAMEL. 

Peux-tu m'élaborer un sorbet au melon?... 

RISOTTO. 

Non, m'sieu ! 

JKÉCBÀMEL. 

fmbédle!... (a psrt, «?•« «•«•.) J*y suis presque, j'y t(Hi- 
che... c'est ça... «t le temps presse! (omL) Va, eoiurs près 
de LuUi. 

VOL-AU-VENT. 

Lulli que vous avez chassé?... 

BÉCHAMEL. 

Sans doute... Dites-lui qu'il peut revenir, que je lui par- 
donne... non dites-lui... — Jusqu'où le désespoir ne peut-il 
pousser un homme!... — dites-lui qtie je lui demande par- 
don... allez. 

HI60TTO. 

Mais nul ne sait ce qu'il est devenu. 

VOL-AU-^'BNT. 

Pauvre LiUlî! 

LES MARMITONS. 

Infortuné Lulli ! 

BÉCHAMEL| arrec désespoir* 

Ce n'est pas lui, c'est moi qu'il faut plaindre... c'est le 
pays... quel affront pour votre gloire nationale et pour la 
mienne en particulier ! 

UNE VOIX, ea Iksst de l'escalier. 

Qu'on serve le dîner de Sa Mfljesjfé I- 




312 OPBRAS-COlfIQUBS 



BECHAMEL, tresMÎUant. 

Voilà... voilà... rinstant fatal!... oh! vertige et folie! 

LES PATRONNETS. 

Monsieur Béchamel, du calme. 

BÉCHAMEL, sombre. 

Du calme, j'en aurai. Le roi n'en est encore qu'au premier 
service... qui sait?... je trouverai... et si je ne trouve pas, 
ma résolution est prise! Béchamel déshonoré devant son 
souverain... n'a plus qu'à mourir. Continuez. 

LES PATRONNETS. 

Mais... 

BÉCHAMEL, sortant. 

J'ai dit : Continuez ! 

LE CHOEUR. 

Joyeux marmitons, etc. 

Pâle et se soutenant à peine, 

C'est Lulli... Qu'est-ce qui l'amène? 

SCÈNE III. 
Les MÊMES, LULLL 

LULLI. 

AIR. 

Perdu, 
Pendu, 
L'affaire 
Est elaire. 
Je vous 
Confie 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 3iS 



Ma vie 
A yousl 

Tantôt, 
Là, haut 
Perché, 
Caché, 
J'entends 
Des gens 
Qui passent, 
Repassent ; 
Ce bruit 
Me frappe. 
J'échappe, 
Je fuis! 
La foule 
Qui roule 
Me fait 
La chasse. 
On sait 
Ma trace; 
Je cours 
Toujours! 
Bravant, 
Trompant 
Leurs cris 
Maudits 
Et leur 
Fureur. 
Mais vite 
Un gite; 
Aniis 
Chéris, 
Je vous 
Confie . 
Ma vie 
A vous! 

LE CHOEUR. 

Par ici! par ici! 
IV, — XVIII. 18 



h 



^14 OPjÊR^«*€Oa£'IQJU.EB 

^ — - - ' j ■ ■■ , I I 

LULU. 

Grand merd ! 
(Lnlli sort. — Tous mb remettent à la besogne.) 

LE CHOnDR. 

Joyeux marmitons, -ête. 



SCENE m. 

Les Patronnets, RISOTTO, TOL-AU-VENT, le 
Commissaire, Soldats du guet. 



LE GOIBIISSAIRE. 

Marmitons, patronnets, silence... et répondez. N'avez- 
VOUS pas vu un jeune seigirenr... ©-«st-à-dire un bandit qui 
ftiyait par ici?... 

les PATRefmSFS. 

Non... rien... 

LE GOSnlKSB aIHE . 

Prodigieux!... nous étions sur .sa trace, nous allions le- 
saisir, lorsqu'il a disparu au haai de ce corridor qui longe 
cette cuisine. 

les patronnets. 

Nous n'avons vu personne ! 

LE COMMttfiAHIE. 

Prodigieux!... mais il n'échuppera pas à mon œil de 
vautour! quelle est cette porte?... 

YQIr-JOJ-YENT. 

Celle de l'office de réserve. 



I 



■ J 



LES PBrPlTS ViOIiO'NH I^O ROI 3t5 

LE mmmsmms^ êam*sm». 

Voyez, messieurs, entrez. 

RISOTTO, à pari. 

Il est perdu I 

(au même instant, Lolli sort ftirbatt«Mt.4Hi»«rème9 il a repris son costume 

de patronnet.) 

SCÈNE' V. 
Les BÉHiis; HOLLI. 

Qu'est-ce donc ?. .. . que se: paese-tl-ilîr 

LE e&ÊoasmmBB, 

Encore un patronnet: L«. Bi»HnoÉ, petilF,>n!eiâ2^ entré pcnr- 
sonne dans ce caveau ? 

LULLI. 

Personne, voyez plutàt^.. (jftur mu gyste du commissaire, 1«i 
gardes entrent dans le careau. — Lulli h ses camarades.) Sauvé, je 

suis sauvé! 

VOL-AU-VENT. 

AL Béchamel aussi. 
Béchamel?... 

RISOTTO- 

Qui ne sait comment Caire Le sorbet du roi ! 

V0L>A<IrYB2fT. 

VâM^VêlreeiMitent!:.. Nous allons lui'aimoncer qu^'ttr es 
de retour. 



316 OPÉRAS-COMIQUES 



LULLIy battant ta crèina. 

Et que je suis à Tœuvre. 

(YoI -an-Vent» Risotto et les patronnets sortent.) 



SCENE VI> 
Le Commissaire, ODODÉI, LULLI, dans le fond ; Soldats du 

GUET. 
LE COMMISSAIRE. 

Prodigieux I . . . personne. 

ODODÉIf entrant -virement par la droite. 

Eh! bien, le fougitif, ravez-vousvu?... 

LULLI, à part. 

Mon protecteur qui vient me défendre. 

ODODÉI. 

L'avez- VOUS arrêté? 

LULLI, écoutant. 

Hein?... 

LE COMMISSAIRE. 

Non, j'y perds mon savoir... il était au grenier... il était 
à la cave... vingt fois nous avons eu la main sur lui, mais 
crac!... il jouait des jambes et déroutait les nôtres. 

« ODODÉI. 

Mort ou vif, ze le veux ! 

LE COMMISSAIRE. 

Il ne peut être sorti de l'hôtel, dont les portes ont été 
immédiatement fermées ; nous finirons donc par l'atteindre... 
et alors, les ordres de Monseigneur... 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 311 

ODODÉI. 

Vous commencerez par le fouiller et m' apporter, sans les 
lire, les papiers qu'on trouvera sur lui. 

LULLI, qui s'ett approché tout en battant sa crème. 

C'est bon à savoir. 

LE COMMISSAIRE. 

Et après?... 

ODODÉI. 

Vous le conduirez à M. le lieutenant de police, qui a 
Tordre de jeter ce petit drôle dans quelque bonne prison. 

LE COMMISSAIRE. 

J'entends. 

LULLI. 

Et moi î'e comprends. 

ODODÉI. 

De sorte qu'il ne soit plus jamais question de lui. 

LULLI, à Toix basse à Ododéi et toujours battant sa crème. 

Oui-dà, mon associé, c'est ainsi que vis exécutez no» 
traités? 

ODODÉI. 

« 

Qu'entends-je?... ô ciel! c'est lui! 

LULLI, de même. 

Loui-même, mon doux seigneur, qui, se doutant de votre 
trahison, n'avait eu garde de conserver sur lui ces papiers 
précieux. 

ODODÉI. 

Que dis-tu?... 

18. 



(yp BIT Aa -craM rcpir e b 



Fooiflfea-mm^ si' vema? variiez. 

ODODÉI. 

Ces lettres, qu'en as-tu fait?... Je les veux... 

LULLI, battant toujours sa cré'me. 

Cela dépend de vous... Efafcorcf, au lieu de deux mille 
pistoles, il m'en faut quatre mille comme gratiâcaitioa à mes 
camarades. 

QDODBIyi «9»c ODlàre. 

Ib-l pefib fouztah 

LOLfcl.. 

Vous êtes mon maître... Et pouis... 

ODODÉI, nrec'éaiin et curiosité. 

Et puis?... 

LULLI, battante ttmfiMtrs sa crème. 

Je n'ai paff le teanps dfftnusrle dir&' em ce.'motnasnt;... ze 
souis occupé pour Sa Majesté, (criant à ses camarades.) Mettez 
la glace dans l'es sorbetières, préparez les moules î 

VOL-AU-VENT, criant à droite. 

La glace dans les sorbetières. 

ODODÉI, furiBux. 

Ah! c'en est trop. 

Tant d'audace sera, puoio,, 

(Au commissaire.) 
fth'bn Fàrrétô à rinsttint! 

LULLI, riant. 

Qui, moi? 
Retenu dans ces lieux pour service du roi, 
Allons donc, je vous en défiel 



LES PBTFIVg Vt0L0V9^ UtV ROI 319 



ODODEI. 

11 m'en défie! 

EiuemhU. 

ODODÉI, an eDatmiOTaire. 

En prison, en prison ! 
Que l'on serve mca! Tnngfiance, 
11 aura le temps, je pense, 

D'y perdre lai raison. . 

LULLI, railftaar. 

En pvisfikn^eii prison!. 
Par bonheur, je puis, je pense, 
Déjouer sans violence 
Cette insigne trahison! 

CE' CBOeiTR; 

En prison, en prison T 
Sans bruit et' Mttr résist^Bee; 
11 faut nous auÏTre etf siSéaotf 
Dehors de cettb oraiaoH. 

SCÈNE VHl 

Les MEMES ; BÉCHAMEL, eatmat «t 4Miinnttlèi UOli ; PaTRONNETS 

et MAfUlfiTOlf». 

BÉCHAMEL. 

C'est lai) o^est) luÂl: ^, 

Quoi, ta voiciy. 

Mon boOiLuUtvi 

Mon cher ami ! 

¥ôici l'instant; 

On nous afUaudt. 

Les entE6mét0- 

Sont déj^ pr^ts;, 

Faut-il. dEessas 



S2Q OPÉRAS-COMIQUES 



Et commencer 
Notre service? 

LULLI, toujours battant sa crème. 

Non, un caprice 
De la police 
Veut m'arracher... 

BÉCHAMEL. 

Toi! 
Arrêter le sorbet du roi! 
Qui l'oserait? 
Soldats du guet, 
C*est vous tous que j'arrête î 

Ensemble. 

BÉCHAMEL, ayec emphasa. 

Je tiens sur votre tête 
La foudre et la tempête. 
Mes patronnets, à moi! 
Place au sorbet du roi! 

LULLI. 

Je puis, levant la tête 
Défier la tempête ! 
Rangez-vous devant moi, 
Place au sorbet du roi! 

ODODEI, regardant les soldats du g:net. 

Chacun courbe la tête 
Et se trouble et s'arrête, 
Lâche et frivole efifroi 
Qui retombe sur moi! 

LES PATRONNETS à LuUî. 

Oui, déjà la tempête 
Se dissipe et s'arrête; 
Plus de crainte ou d'effroi, 
Nous voici près de toi. 



K 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 321 



LES SOLDATS DU GUET et LE COMMISSAIRE. 

Craignons sur notre tète 
D'appeler la tempête, 
Faisons, dans notre effroi, 
Place au sorbet du roi! 
(Défilé sur la marche des marmitont. Lei loldata présentent les armes. 
Sortie triomphante de Lalli et des patronnets.) 

Deuxième tableaa. 

Un salon, style Louis XIII« — A droite une grande porte donnant sur la 

salle à manger. Porte an fond. 



SCENE VIII. 

PHILIPPE, seul. 

VILLANELLB. 

Le matin qui s'allume 
A dissipé la brume 
Et deyancé du jour 
Le gai retour! 

Seul ici je soupire, 
Quand tout semble sourire, 
Quand la terre et les cieux 
Se montrent si joyeux! 

Le matin qui s'allume, etc. 

Vient- il comme un présage 
Me dire : prends courage. 
Comme l'ombre des nuits 
S'en iront tes ennuis! 

Le matin qui s'allume 
A dissipé la brume 



322 0PÉRA9*GaKI(rCTK8 



Et pnoaiB. uir beanr jmr 
À moa amoarl 



SCENE K. 
PHilJPPfi, HOfPTMVSE. 

PHiiippr. 

Eh bien! quelles nouvelles?... 

Mauvaises ! le roi est là, la reine aussi ; M. de la Vau- 
guyon attend dans le salon voism. Ma tante doit le pré- 
senter au moment où Leurs Majestés seront de belle hu- 
meur. 

PHILIPPE; 

Mais LuUi, que fait-il ? 

SCÈNE X. 

Les mêmes ; LULLI en habit de ville, eutrvnf et tenant un plateau sur 
lequel sont posés trois sorbets. DeCX J^BXITS PATlkONNETS entrent 
arec lui et se tiennent aa lond. 

CtLU. 

Il fait votre mariage. 

PHILIPPE. 

Ah! le temps nous presse et le n'espère qu'en toi... 
Qu'est-ce que tu tiens là?. 

Vous voyez : des sorbets; mtlmt dm roil sorbet de la 
reine ! sorbet du cardinal ! 



L ES PETIiCS V^aLOKB DU ROI SfiS 

PHILIPPE. 

Au diable les sorbets! il s* agit bien de ça... sais-tu que 
le dîner s'avance, que le tnoraent approche. 

LUIXI. 

Je sais, je sais... la preuve, c'est que je fais porter ce» 
sorbets. 

PHILIPPE. 

Je te parle mariage, tu me réponds... 

ruLLi. 

Sorbets... ça se tient. 

"HORTEIfSE. 

Que dites-vonsf... 

LULLI. 

Votre bonheur est là, dans ces trois petits verres» 

PHILIPPE. 

Il est fou! 

HORTENSE. 

Mais vous ne savez donc pas que ma tante a dans sa 
poche le contrat tout préparé .«. et qu'apnès le.sepfts, ;qu'il 
a daigné accepter chez elle, le roi n'aura rien à lui refuser,, 
il signera. 

LDX.U. 

Peut-être! 



324 OPÉRAS-COMIQUES 



SCENE XL 
Les mêmes; M"'^' BEAUVAIS. 

M°^« BEAUVAIS, accoarant. 

Les sorbets du roi! servez vite. 

LULLI. 

« 

J'y vais. 

M"^^ BEAUVAIS, se trourant faoe à face arec loi et poussant un cri. 

Ah! mon voleur, ce petit scélérat qui cette nuit... chez 
moi... je le reconnais! 

LULLI. 
Vous croyez... (Tournaot le dos à la salle à manger.) Alors, je 

m'en vais... 

M"^« BEAUVAIS. 

Et ces sorbets, que Sa Majesté demande? 

LULLI. 

Je les emporte avec moi. 

M"*® BEAUVAIS. 

Par exemple... c'est moi qui dois avoir l'honneur de les 
servir au roi 1 il me l'a permis. 

LULLI. 

Ils sont à moi, et je ne vous les livre qu'à une condition. 

M°»« BEAUVAIS. 

De ne pas te faire pendre et dô te pardonner!... Soit... 
donne. 



1 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 325 

LULLI. 

Non, je veux être pendu... mais je veux auparavant vous 
voir déchirer, devant moi, un contrat que vous avez là dans 
votre poche. 

M"® BEAUVAIS. 

Eh ! que t'importe ce contrat ? 

LULLI. 

Eh! que vous importent ces sorbets? 

■m 

M™* BEAUVA^g. 

Comment?... 

LULLI, Toyant qu'elle veut se récrier. 

Silence, ou je les mange. 

M™® BEAUVAIS, hors d'elle-même. 

Un crime de lèse-majesté! 

SCÈNE XII. 
Les mêmes; ODODÉI. 

ODODEI. 

Eh bien I le roi attend. 

M™« BEAUVAIS. 

Le roi! ma tête se perd... tout mon plan renversé! 

LULLI. 

Dessirez... dessirez. 

HORTENSE. 

Oh! ma tante, déchirez... 
Scribe. — Œuvres complètes. IV«« Série. — 18«« Vol. — M) 



326 OPéRAS-COMIQUSS 



PHILIPPE. 

Pas pour nous, mais pour vous, pour vous seule. 

M™® BEAUVAIS, déchirant le contrat. 

Je déchire. (Elle prend Tiyement le plateau des mains de LoUi et 
entre dans la salle à manger à ganclie.) Enfin, je Suis sauvée! 



SCENE XIII. 

HORTENSE, LULLI,* PHILIPPE, ODODÉI, deux 

Patronnets. 

ODODÉI, souriant. 

Elle est perdue! (a part.) Tant mieux, car je n'aime pas 
les intrigants. 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Comment cela?... 

ODODEI, d'un air sournois. 

Le roi et la reine mère ont Tair fort contents jusqu'ici 
du diner... qui... il est fort beau en effet. Ma, la Beauvais, 
elle a oublié le principal. 

LULLI, à part. 

En vérité? 

ODODEI. 

Le roi, depuis quelque temps, il veut de la mousique 
après son dîner, il ne peut s'en passer ; la Beauvais ne le 
sait pas, je ne le lui ai pas dit, et quand tout à l'heure Leurs 
Majestés vont dire : Faites entrer les violons; elle sera 
frappée de la foudre... elle échoue au port, et au lieu des 
compliments qu'elle attendait, voyez-vous d'ici la mauvaise 
humeur du roi! 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 327 

■ i-'i^— — i-M^^ ■■■■■»»■■■■■ Il ■■■■■ ■■ ■^■^, I . , . ■■ ■■ ■■■ .!■ ., _ 

(Pendant ce récit, Lulli a remonté le théâtre, il a parlé bas aux 

patronnets. ) 

LULLI, aux patronnets qui sortent. 

Vous m'entendez... courez, la boutique en face, rue 
Guénégaud. 

OBODÉI, se retournant. 

Ahl te voilà, petit... (a demi-Toîz.) Ces lettres, je t'en 
supplie ! 

LULLll 

Elles seront remises à la reine et ai» cardinal... moyen- 
nant... 

ODODÉI, Tirement. 

Quoi donc?... 



SCENE XIV. 
Les mêmes; M"« BEAUVAÏS; puis tous les Patronnets. 

M°** BEAUVAÏS, sortant tont en désordre de la porte h gauche. 

Des violons... un orchestre... où les trouver? 

ODODÉI. 

Qu'avez-vous donc? 

M°*« BEAUVAÏS. 

Le roi vient de dire : Faites commencer la symphonie ! 

ODODEI. 

Eh! oui sans doute... au dessert c'est l'usage mainte- 
nant! tout le monde vous le dira... c'est de rigoureuse éti- 
quette. 



328 OPÉRAS-GOMIQUES 



M™« BEAUVAIS. 

Et vous ne m'en avez pas prévenue î 

ODODÉI. 

Je n'y ai pas pensé, je souis si distrait. 

M"®.gBEAUVAIS. 

C'est fait de moi... et à moins d'un miracle... 

•i 

LULLI. 

Et si je le faisais, ce miracle. 

M™® BEAUVAIS. 

Qui, toi?... oh! la grâce... plus encore... ta fortune! 

LULLI, montrant Philippe et Hortense. 

Rien pour moi, tout pour eux. 

M"*'* BEAUVAIS. 

Parle... mais cet orchestre?... 

LULLI. 

Regardez... 

(Tous les patronnets commencent à défiler, ili tiennent chacun un yiolon 
et un archet; Torchostre jone la marche des marmitons.) 

TOUS. 

Ahl bah! 

M™* BEAUVAIS. 

C'est de la sorcellerie... n'importe... qu'ils commencent! 

» 

LULLI. 

Non, le premier coup d'archet ne partira que quand vous 
aurez marié ces jeunes gens. 



— ^■■■■« r-.»— ■ ^ !■■ ^ .^^ 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 329 

M"*® BEAU VAIS. 

Philippe, un homme sans aïeux... impossible! 

LULLI. 

• 

Bah! il aura des descendants... Quant à sa position , 
(Montrant ododéi.) grâce au signoF, il en a une, une belle place 
dans les aides ou dans les fermes générales. (Bas à ododéi.) 

Vous la lui accorderez... (Tendant la main à Philippe qui lui remet 

le paquet de lettres.) en échange de ces lettres... que vous 
aurez... mais après. 

ODODÉI. 

Il aura la place dès demain. 

LULLI y & madame BeauTais. 

^ Vous Tentendez... il cède... vous aussi? 

PHILIPPE et HORTENSE. 

Ma tante I 

LULLI. 

Vi voyez... ils s*adorent... et le roi s'impatiente. 

M°'<' BEAUVAIS, Tirement. 

Je consens. 

LULLIy domrant le tigoal de Tattaque. 

Une... deux... trois I 

FINALE. 

(symphonie pendant laquelle on exécute cet ensemble.) 

Ensemble. 
. LULLI. 

Honneur à Jean-Baptiste! 

10. 



•^^>m 



380 OPéRAd-GOMlQUBS 



Non, rien ne lui résiste; 
Et, fidèle à son plan. 
Il parle, tout lui cède 
Et le beau temps succède, 
Succède à l'ouragan ! 

HORTENSE «t PHILIPPE 

Brare et Joyeux artiste, 
Non, rien ne lui résiste, 
Et, fidèle à son plan, 
Il parle, tout lui cède 
Et le beau temps succède, 
Succède à l'ouragan ! 

ODODÉI et M"* BEAUVAIS. 

Ah I vraiment, c'est fort triste. 
C'est en vain qu'on résiste 
A ce petit Satan ! 
Il faut qae tout lui cèdOi 
Et je crains qu'il possède 
Un secret talisman. 



SCÈNE XV. 
Les mêmes ; BÉCHAMEL. 

(itoique en teonHiM à r«Mhetne.) 

BÉCHAMEL. 

Mais qui diable m'a volé mes. marmitons?... Que vois- 
je?... (a Lniii.) Ah 1 misérable, tu fais encore des tiennes! 

LULLI. 

Et je m'en vante. 

PH1UPPB. 

Silence I le roi applaudit. 



LES PETITS TI0L0N8 DU ROI 331 

HOnSNSE. 

La reine aussi I 

M"« BEAITVAIS, ravie. 

Quel triomphe I 

PHILIPPE. 

Mais paix doncl... ils demandent Fauteur de cette sym- 
phonie ! 

LULLI, t'élancant. 

Et ze vais le leur dire... jouez toujours... jouez piu fort. 

Entemile. 
LE CHOEUR. 

Honneur à Jean-Baptiste ! etc. 

HORTENSB «t PHILIPPE. 

Brave et joyeux artiste, etc. 

ODODÉI et M"* BEAUVAIS. 

Âhl vraiment, c'est fort triste, etc. 

(LuIU reparaît tout rayoïmant de joie.) 

LULLI. 

Mes amis... mes amis... j*ai vu le roi de France, il m'a 
parlé. 

TOUS. 

Ociel! 

LULLI. 

« De qui est cet excellent sorbet? — • De moi, sire. — Et 
cette excellente musique? — Touzours de moi« •-«> Alors tu 



■■? j^-i> ' " ^ " ^^ XAJ ^ 1^1'^ w> ■■** ■^■^ ^jAi^j — <' l^ ■■■ " 



382 OPéRAS-GOMXQUES 



peux me demander tout ce que tu voudras... » Et moi j'ai 
demandé... j'ai demandé beaucoup. 

TQUS. 

Quoi donc? 

LULLI, à madame BeaaraiB. 

Pour vous le titre de baronne. 

M"^® BEAU VAIS, chancelant. 

Le rêve de toute ma vie! soutenez-moi... je chancelle... 

LULLI, Â ses amis. 

Pour vous, mes amis, la place de musiciens ordinaires 
de Sa Majesté ; vous serez désormais les petits violons du 
roi! 

LES PATRONNETS. 

Vive le roi! Vive le roi ! 

LULLI à Ododéi. 

Quant à vous dont z'avais à me venzer... 

ODODÉI, tremblant. 

Qu'as-tu fait?... 

LULLI, changeant de ton et rapidement. 

J'ai remis les lettres en question au cardinal ministre... 
vis aurez vos dix mille pistoles. 

OOODÉI. 

Tiens! tu es un amour... merci! 

M"*® BEAUVAIS. 

Merci ! 

HORTENSE, PHILIPPE et LES PATRONNETS. 

Merci linçrci! 



LES PETITS VIOLONS DU ROI 



333 



BECHAMEL, à part. 

Et dire que tout cela est sorti de ma cuisine ! 

LE CHOEUR, reprenant le motif du premier acte. 
Vive la musique, etc. 




TABLE 



Pages. 

La Chatte métamorphosée en Femme. . . , . . 1 

Broskovano 49 

Les Trois Nicolas 117 

Les Petits violons du Roi 231 




Soc. (l'imp. Paul Dupont, Paris, 41, r. J.-J.-Rousscaa. 359.9.80. 



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